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La fumée africaine arrive jusqu’en Amazonie et ça pollue!

Forêt amazonienne près de Manaus, au Brésil. [Wikipedia - Neil Palmer]
Forêt amazonienne près de Manaus, au Brésil. - [Wikipedia - Neil Palmer]
Jusqu'à deux tiers de la suie qui se trouve au-dessus de la forêt amazonienne provient d'Afrique. Ce sont les résultats d'une étude qui vient d’être publiée dans la revue Nature. Les chercheurs ont constaté que la pollution qui en résulte amène en Amazonie centrale des taux de pollution comparables à ceux des agglomérations européennes.

La forêt tropicale brésilienne contient de l’air particulièrement pur, comparé aux autres régions continentales du monde. Mais cela n'est vrai que pendant la saison des pluies, lorsque la concentration de particules est très faible.

Pendant la saison sèche, de nombreux incendies, dus à la déforestation, ravagent la forêt amazonienne. La suie et d'autres émissions provoquées par les incendies entraînent une réduction drastique de la qualité de l'air. Laquelle atteint des niveaux comparables à celle des agglomérations urbaines européennes. La concentration de particules de suie dans l'atmosphère, au-dessus de la canopée forestière, fluctue ainsi entre très faible et très élevé.

Étude inédite sur les causes de la pollution de l’air

Pour la première fois, une équipe de recherche a étudié les origines des particules de suie au-dessus de la forêt amazonienne. Elle a fait une découverte surprenante : une grande partie des particules ne proviennent pas d'Amérique du Sud mais arrivent depuis l’Afrique au terme d’un périple d’environ 10 000 kilomètres au-dessus de l'Atlantique.

Le carbone noir est émis dans l'air lorsque des combustibles fossiles et des biocombustibles, tels que le charbon, le bois et le gazole, sont brûlés. Il est présent dans le monde entier. [NASA]

Ces particules se déplacent le long de la zone de convergence intertropicale qui sépare la circulation de l’hémisphère Nord et de l’hémisphère Sud et qui s’accompagne d’un courant d’Est sur une grande partie de la couche d’atmosphère (voir ci-dessous).

Circulation générale des courants atmosphériques [MPI for Chemistry/Wikipedia - Meinrad O. Andreae]

La suie provient d'incendies de brousse naturels, de pratiques de coupe et de combustion de la biomasse. « Nous ne nous attendions pas à cette découverte », explique Bruna Holanda, qui a dirigé l'étude en tant que chercheuse doctorale à l'Institut Max Planck de chimie. "Nous avions estimé que la quantité de fumée en provenance d'Afrique serait d'environ 5 ou peut-être 15 %. Or, il s'avère qu'elle atteint parfois jusqu'à 60 %.". Selon la physicienne de l'atmosphère, cette valeur montre l’importance des transferts de masses d’air entre l'Afrique et l'Amérique du Sud.

Des particules physiquement et chimiquement distinctes les unes des autres

Afin de déterminer les différentes sources des émissions de suie, les chercheurs ont analysé les particules présentes dans l'air au-dessus de l'Amazonie sur une période de deux ans à l'Amazon Tall Tower Observatory (ATTO). L’endroit est situé dans une région pratiquement intacte de l'Amazonie centrale. Il dispose entre autres d'une tour d'observation de 325 mètres.

Mât de mesure de l'Amazon Tall Tower Observatory (ATTO), en Amazonie centrale [MPI for Chemistry - Dom Jac]

L'équipe a identifié deux types de suie : les particules de suie d'Afrique tout d'abord qui sont considérablement plus grandes que celles de la région amazonienne et qui présentent une faible concentration de matières organiques. Les chercheurs attribuent cela au fait qu'en Afrique, les régions brûlées sont principalement des prairies, des savanes et des forêts ouvertes. Les incendies sud-américains ensuite, qui se produisent dans les forêts denses et humides. Ce carburant plus humide conduit à une combustion fumante, ce qui entraîne cette fois une suie avec une plus grande concentration de matières organiques.

Feux de forêts entre l'Angola et la République Démocratique du Congo, le 10 juin 2019 [NASA]

En utilisant des données météorologiques telles que le champ de vent principal et l'imagerie satellite, dans lesquelles les nuages de fumée sont parfois visibles, Bruna Holanda et ses collègues ont ainsi pu déterminer des différentes sources de fumée.

Les chercheurs ont également mis en évidence deux périodes particulièrement favorables au déplacement de la fumée de l’Afrique vers l’Amazonie : la saison des pluies de janvier à mars et la saison sèche d'août à novembre.

La fumée a un impact sur le climat et sur le cycle de l'eau

La suie et les autres particules présentes dans la fumée absorbent et dispersent la lumière du soleil, ce qui influence le rayonnement solaire et les bilans radiatifs sur Terre. Les particules de suie sont particulièrement déterminantes pour le rayonnement, car elles absorbent beaucoup plus de lumière du soleil qu'elles ne le reflètent, retenant ainsi la chaleur dans l’atmosphère.

Les particules de poussière et de suie sont également importantes dans la formation des noyaux de condensation et de gouttes d’eau dans l’air. Elles influencent de manière significative la formation de nuages et les précipitations ; elles ont à ce titre un fort impact sur le cycle de l'eau.

Cycle de l'eau [Wikipedia - Neil Palmer]

"Nos résultats peuvent aider à améliorer les modèles du climat et du système terrestre, qui ont jusqu'à présent insuffisamment reflété les composants de fumée africaine", explique Christopher Pöhlker, chef de groupe à l'Institut Max Planck de chimie.

Selon le chercheur, la fumée africaine atteignait déjà l'Amérique du Sud à l'époque préindustrielle, dans la mesure où les feux en Afrique existe probablement depuis des dizaines de milliers d'années.

"Nous soupçonnons que la suie a longtemps joué un rôle important dans la fertilisation des sols et la formation des forêts dans la région amazonienne, ainsi que dans les cycles du carbone et de l'eau", poursuit le chimiste de l’atmosphère.

Cependant, des effets auparavant positifs, tels que celui-ci, peuvent maintenant devenir préjudiciables. "Le taux de déforestation, le nombre d'incendies et la suie qui en a résulté au cours des années précédentes n’ont jamais été aussi élevés, ce qui pourrait avoir de graves conséquences sur le climat", conclut Christopher Pöhlker.

Philippe Jeanneret avec le concours du Max Plank Institut

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