Selon une étude dans la revue Nature au début du mois d’août, plus de 47'000 européens sont morts de causes liées à la chaleur l’année dernière, la plus chaude à l’échelle mondiale depuis le début des mesures. Le chiffre n’a été dépassé qu’en 2022 avec 60'000 décès.
Selon une autre étude publiée ce mois-ci sur le site thelancet.com, ce chiffre pourrait même être triplé d’ici à la fin du siècle si le réchauffement atteint les 3°C à 4°C à l’échelle mondiale, par rapport aux niveaux préindustriels. En regardant cependant de plus près les différentes études, les chiffres divergent. En cause les méthodes de calcul.
Deux grandes écoles s’affrontent : la première consiste à suivre la façon dont les taux de mortalité évoluent en fonction de la température ; la seconde préconise de ne tenir compte que du nombre de décès excédentaires enregistrés pendant les vagues de chaleur officiellement déclarées.
Les défenseurs de la première méthode – dite du large spectre - soutiennent que le simple fait d'examiner les vagues de chaleur occulte les décès qui se produisent au-delà de ce qui est considéré comme extrême. Alors qu’ils y sont imputables.
« En ne regardant que les vagues de chaleur... vous ne voyez qu'une partie du gâteau », explique Barrak Alahmad de l'Université Harvard dans un article paru la semaine passée dans la revue Science. « Les températures élevées auxquelles les travailleurs en plein air sont par exemple confrontés ne correspondent pas nécessairement à la définition standard d'une vague de chaleur. À la longue cependant, leur santé peut être affectée. En tenant compte de tout le spectre des températures, c’est comme si on considérait l’ensemble du gâteau ! »
Les tenants de la seconde méthode arguent au contraire que le fait de se concentrer sur les vagues de chaleur permet de mieux cerner les conséquences des évènements extrêmes. Atout non-négligeable dans la mise en place de politiques de prévention, d’autant que ces évènements sont en général les plus meurtriers.
Le comptage des décès pendant les vagues de chaleur capture également l'impact cumulatif sur la santé de plusieurs jours chauds d'affilée, une nuance que les études axées sur les températures quotidiennes peuvent manquer. Le différend n'est pas seulement académique. Les vagues de chaleur attirent les gros titres et l'attention des décideurs. Le public y est également plus sensible.
L'une des méthodes est bonne et l’autre mauvaise ? Pas sûr. Mais par la force des choses les chiffres divergent, d’où la nécessité de connaître les spécificités de chaque étude avant de se lancer dans d’éventuelles comparaisons.
La Suisse applique la méthode du large spectre
Depuis 2023, la Confédération utilise l’indicateur « Décès dus à la chaleur »., qui livre une estimation du nombre de décès statistiquement imputables aux températures accrues en Suisse entre mai et septembre. L'impact de températures moyennes journalières plus ou moins élevées est analysé pour trois plages de températures correspondant à des seuils fixés par Météosuisse.
Ce choix s’explique par le fait qu’en Suisse la plupart des décès liés à la chaleur sont dus à des températures moyennes journalières modérément chaudes (supérieures à la température optimale spécifique à l'année et inférieures à 25°C) et chaudes (à partir de 25°C et inférieures à 27°C). Ces jours-là, le risque de décès lié à la chaleur est certes moins élevé que les jours très chauds (à partir de 27°C), mais ils sont nettement plus fréquents.
Le graphique ci-dessous, issus d’une étude menée par SwissTPH sur mandat de l’OFEV et de OFSP montre bien l’impact des fortes canicules sur la mortalité, notamment pendant l’été 2003. Il met également en évidence le fait qu’une simple hausse de températures au-delà de la normale, entre mai et septembre, puisse s’accompagner d’une hausse du nombre de décès. Hausse moindre certes, que celle constatée pendant des évènements extrêmes. Mais bien décelable.
Toujours au chapitre de la méthode, on précisera la mortalité liée à la chaleur est déterminée par la corrélation entre le nombre de décès effectifs imputables à ce genre d’évènement et les températures moyennes journalières mesurées. Les critères selon lesquels un décès peut être imputé à des températures élevées sont définis de manière empirique.
Grâce à cette méthode, l’influence des journées modérément chaudes et des périodes caniculaires peu marquées peut être prise en compte. Il est également possible d’attribuer des décès à la chaleur même si plusieurs événements extraordinaires ont eu une influence simultanée sur la mortalité au cours d’un été. Cet indicateur complète le monitoring de la mortalité de l’OFS, qui compare chaque semaine le nombre de décès attendus et le nombre de décès effectivement survenus.
Comme évoqué plus haut, il n’existe à l’échelle internationale aucun rapport uniforme sur les décès dus à la chaleur. Cet indicateur ne peut faire l’objet d’une comparaison internationale, en tout cas sous sa forme actuelle.
Philippe Jeanneret