Le record a été effectué à bord du Marion Dufresne, navire de recherche français affrété par l’Ifremer et spécialisé dans la récolte de sédiments marins. Pour la petite histoire, c’est le même bâtiment qui détenait le précédent record, établi dans le golfe de Californie en 2012, avec une longueur de 65 mètres.
Pour faire le prélèvement, il a d’abord fallu plonger un carottier géant "Calypso" à près de 2300m de profondeur au moyen d’un câble, puis déployer un tube télescopique de plus de 70 mètres et le planter dans le sol à la manière d’une grosse seringue. Une fois ponctionnés, les sédiments et le tube - pesant plus de 4 tonnes - ont été remontés à la surface. Menée dans une des mers les plus agitées du globe, l’opération a duré environ 9 heures.
Une fois remontée sur le pont du Marion Dufresne, la carotte a été découpée 94 morceaux de 1,5 mètres de long. Après avoir été soigneusement numérotés, ces derniers ont été placés dans des containers frigorifiques et envoyés en France à la carothèque du laboratoire Environnements et Paléocenvironnements Océaniques et continentaux (EPOC, CNRS/Université de Bordeaux), pour être analysés par les équipes locales et internationales.
Analyser les carottes de sédiments pour comprendre le passé
L’intérêt des sédiments marins est qu’ils se déposent inlassablement sur le fond des océans au fil du temps, centimètre par centimètre. Ils renferment de précieuses informations sur la période à laquelle il se sont déposés, mais également sur les conditions environnantes, permettant par exemple de déterminer le niveau marin. Chaque tranche représente une époque.
Lorsque la vitesse de sédimentation est lente (1 ou 2 cm par millier d’années), il est possible de remonter aux conditions climatiques d’époques vieilles de quelques millions d’années. A l’inverse, lorsque les sédiments s’accumulent plus vite (plus de 30cm par millier d’années), la remontée dans le temps est plus faible mais les informations ainsi obtenues sont plus détaillées. Ce qui est très utile pour étudier les variations rapides du climat.
Le prélèvement effectué le 5 mars dernier devrait permettre de mieux comprendre les changements climatiques qui se sont opérés entre 1,5 millions d’années et 800 000 ans avant notre ère. Lesquels ont été marqués par une augmentation de la durée des périodes glaciaires qui ont passé 40'000 ans en moyenne à 100'000 ans.
"Nous pensons que ce changement résulte d’une modification du système climatique interne de la Terre", explique Xavier Crosta, directeur de recherche CNRS au laboratoire (EPOC) et chef de cette expédition scientifique. "Mais nous ne comprenons pas encore pourquoi. Avec cette carotte où sont figées 1,5 millions d’années de climatologie, nous pourrons probablement déterminer la manière dont les différents compartiments du système climatique terrestre (océan, cryosphère, atmosphère et biosphère marine) ont interagi et ont conduit à cette transition climatique."
Si de telles informations sont précieuses pour comprendre le passé géologique, elles le sont également pour entrevoir l’avenir : "Nous espérons en savoir plus sur les raisons qui poussent la Terre à se réchauffer, outre bien sûr l’action humaine qui se concentre sur une très courte période de temps. Quels processus s’opèrent ? Quels en sont les rouages ? Mais aussi, de quelle résilience est capable de faire preuve notre planète ?"
Philippe Jeanneret