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Des "investisseurs suisses" menacent le Costa Rica de crise gazière

Un camion de l'entreprise Gas Nacional Zeta, au centre d'une bataille juridique qui passe par la Suisse.
Des "investisseurs suisses" menacent le Costa Rica de crise gazière / La Matinale / 1 min. / le 3 août 2018
En tentant de prendre le contrôle d'une des plus importantes sociétés gazières du Costa Rica, deux sociétés boîtes aux lettres suisses liées à un milliardaire mexicain pourraient provoquer une crise d'approvisionnement dans ce petit Etat centraméricain.

Cervin Investissements SA et Rhône Investissements SA, deux entités enregistrées en Valais et administrées par une fiduciaire genevoise, ont convoqué la presse du Costa Rica début juillet pour annoncer qu'en tant qu'actionnaires uniques de l'entreprise Gas Nacional Zeta, elles exigeaient d'en prendre le contrôle opérationnel.

Cette tentative de mainmise s'inscrit dans un scénario digne des meilleures "telenovelas" - séries télévisées latino-américaines, mêlant jeu de pouvoir, intrigue familiale et argent. Et le scénario passe cette fois-ci par la Suisse.

Au coeur de ce coup de force se trouve le divorce de Miguel Zaragoza, un octogenaire mexicain à la tête d'un conglomérat gazier transnational. La procédure de séparation, en cours depuis 2014 aux Etats-Unis et à la demande de son ex-épouse, a laissé transparaître que sa fortune dépassait le milliard de dollars.

"Un stratagème pour cacher des biens en Suisse"

Le magnat du gaz a refait sa vie avec une employée domestique de plus de 30 ans sa cadette. Une amante que l'on retrouve d'ailleurs au registre du commerce suisse, détenant des droits sur une galaxie de sociétés suisses dont Miguel Zaragoza est directeur et qui sont toutes administrées par un trio de gestionnaires helvétiques.

Dans un climat houleux, l'ancien couple marié se dispute des biens, parmi lesquels l'entreprise Gas Nacional Zeta, sous contrôle de proches fidèles à l'ex-épouse, et les sociétés suisses, qui semblent servir de paravent au milliardaire.

Cervin et Rhone sont un stratagème pour cacher les biens et le patrimoine de Miguel Zaragoza

Carlos Quesada, avocat de Gas Nacional Zeta

Contactée par la RTS, l'administration actuelle de Gas Nacional Zeta dénonce la structure suisse. "Cervin et Rhône sont un stratagème pour cacher les biens et le patrimoine de Miguel Zaragoza", a soutenu Carlos Quesada, avocat de la société gazière.

César Gómez, avocat de Cervin et Rhône au Costa Rica, s'est contenté d'affirmer qu'il "n'existait actuellement pas de lien" entre le milliardaire mexicain et les sociétés suisses, malgré les inscriptions au registre du commerce indiquant le contraire.

"Les administrateurs suisses continuent à agir"

Le juge texan en charge du divorce avait, dans une première décision, attribué à l'ex-épouse 50% des propriétés du milliardaire, dont la totalité des sociétés suisses et costariciennes. Il avait par ailleurs prononcé en début de procédure des mesures provisionnelles sur tous les biens qui pourraient revenir à l'ex-épouse lorsque le divorce sera prononcé, interdisant a priori tout type d'intervention sur ces sociétés.

"Les administrateurs suisses - qui n'ont jamais mis les pieds au Costa Rica - ont connaissance des mesures de protection, mais continuent à agir", dénonce l'avocat de Gas Nacional Zeta. La défense de Miguel Zaragoza affirme, elle, qu'étant donné que la première décision de partage "50-50" a été renvoyée, ces mesures de protection, aspect central du conflit, n'existent plus.

Comptes bloqués en Suisse

Dans le but de protéger les intérêts de sa cliente, l’avocat suisse de l’ex-femme du milliardaire avait aussi obtenu fin 2015 des mesures provisionnelles auprès du Tribunal de première instance de Genève, bloquant tout acte d’administration de dix sociétés et douze comptes bancaires ouverts auprès de Credit Suisse, UBS et BNP Paribas.

Ces mesures ont été révoquées depuis, mais une requête similaire est actuellement étudiée par un tribunal valaisan.

Crainte pour l'approvisionnement

En attendant, la menace pèse sur l'approvisionnement du pays centraméricain. Dans une mise en garde à peine voilée, le chargé de la communication des sociétés suisses a affirmé lors de sa conférence de presse de début juillet que "Cervin et Rhône espéraient qu'il n'y aurait pas de nouvelle crise d'approvisionnement". "Nous devons garantir que les écoles, les hôpitaux, les restaurants et les foyers de tout le pays ne manquent pas de gaz", a-t-il ajouté.

Cervin et Rhône espèrent qu'il n'y aura pas de nouvelle crise d'approvisionnement

Le porte-parole des sociétés valaisannes

Le communicant faisait référence à un épisode remontant à 2015. Accompagnée par la police, une équipe loyale au milliardaire mexicain avait alors réussi à chasser momentanément l'administration historique à la tête de Gas Nacional Zeta, avant que la justice n'intervienne et s'oppose au coup de force. A l'époque, l'entreprise représentait près de 70% du marché du pays de 4,7 millions d'habitants.

Cette éviction manu militari avait mené à une crise gazière, la nouvelle équipe étant incapable d'assurer la totalité des services. Durant 17 jours, des dizaines de milliers de foyers costariciens n'avaient pas pu recharger leurs bombonnes jusqu'au retour de la direction précédente, à la tête de laquelle se trouve un gendre fidèle à sa belle-mère.

Contactés, les gestionnaires suisses de Cervin et Rhône Investissements SA ont affirmé ne pas pouvoir répondre aux questions de la RTS.

Marc Renfer

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Un arbitrage perdu par les "investisseurs suisses", qui ne payent pas

Le 7 mars 2017, une cour d’arbitrage internationale de la Banque mondiale a rejeté une demande des deux sociétés valaisannes. Elles exigeaient 75 millions de dollars de dédommagement à l’Etat du Costa Rica.

Cervin Investissements et Rhône Investissements, s'estimant lésées en tant "qu'investisseurs suisses", avaient évoqué un accord de protection des investissements signé entre la Confédération et le Costa Rica.

Déboutées après quatre années de procédure, Cervin et Rhône ont été condamnées à rembourser les frais de justice du Costa Rica à hauteur d’un million de dollars. Selon les informations de la RTS, ce paiement n'a toujours pas été effectué, malgré les rappels de l’Etat centraméricain.