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La justice suisse casse la décision de renvoi d'une journaliste vers le Brésil

La journaliste Hülya Emeç est détenue depuis 25 jours à l'aéroport de Zurich. [Keystone - Gaëtan Bally]
Le TAF désavoue le Secrétariat d'Etat aux migrations sur le renvoi d'une journaliste kurde / Forum / 3 min. / le 9 février 2018
Le Tribunal administratif fédéral (TAF) a cassé une décision de renvoi du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) concernant une requérante kurde détenue depuis 25 jours à l'aéroport de Zurich, a appris la RTS vendredi.

Hülya Emeç, journaliste kurde de 29 ans, est détenue depuis 25 jours à l'aéroport de Zurich. En Turquie, elle travaillait pour plusieurs médias kurdes, dont l'agence Dicle, fermée en 2016 par les autorités d'Ankara.

Comme de nombreux écrivains et journalistes, Hülya Emeç est condamnée, le 9 octobre 2017, à 7 ans et demi de prison, pour "soutien au terrorisme", selon la formule officielle. Et d'autres procès la menacent.

Fuite en Amérique du Sud

Avant qu'elle ne soit enfermée, elle choisit la fuite, dans ce qui devient un véritable périple clandestin. Elle débarque d'abord au Pérou, où elle est placée en garde à vue. Libérée, elle franchit une nouvelle frontière en direction de Sao Paulo, au Brésil.

Là, elle achète un billet pour la Turquie, avec une escale à Zurich. C'est là qu'elle arrive, le 15 janvier dernier. Lorsqu'elle affirme son intention d'entrer en Suisse, la police cherche à la renvoyer... en Turquie.

Sur le formulaire de demande d’asile, elle écrit en kurde: "Je suis journaliste, j’ai une peine de prison en Turquie. Je souhaite migrer en Suisse".

Denise Graf, coordinatrice réfugiés chez Amnesty Suisse, confirme la réalité des menaces. "Hülya Emeç est menacée en Turquie, car il s'agit d'une journaliste condamnée pour ses activités de journaliste. On lui reproche d'être une terroriste. C'est le cas pour plus de 170 journalistes, avec des accusations absolument farfelues, en raison de leur usage de la liberté d'expression."

Enfermée dans l'aéroport

La jeune journaliste kurde dépose une demande d'asile. Il aura d'abord fallu que ses avocats appellent l'aéroport pour que la police accepte d'enregistrer sa requête. Mais Hülya Emeç ne sortira pas de la zone de transit. Si elle veut se déplacer, même pour accéder à une terrasse, elle doit se soumettre à une fouille corporelle, ce qu'elle refuse. Les seules personnes qu'elle peut voir sont ses avocats.

Le 24 janvier, le Secrétariat aux migrations (SEM) lui annonce le rejet de sa demande, ordonnant qu'elle soit refoulée au Brésil, considéré comme un "pays sûr". Ses avocats déposent un recours auprès du Tribunal fédéral administratif (TAF).

Le SEM doit revoir sa copie

Ce dernier vient de rejeter la décision des juristes du SEM, a appris la RTS vendredi. Le principal argument est que le Brésil ne peut pas être considéré comme un pays sûr, c'est-à-dire à même d'offrir à Hülya Emeç une procédure d'asile équitable, notamment à propos d'un possible renvoi en Turquie.

Le Tribunal fédéral administratif demande donc au SEM de revoir sa copie. Hülya Emeç, elle, reste pour l'heure enfermée à l'aéroport de Zurich. Dans des conditions difficiles, selon Ahmet Tamer, l'un des conseillers juridiques de la journaliste.

"Elle ne peut se déplacer qu'en certains endroits. Ce n'est pas aussi étroit que la prison, mais cela reste un emprisonnement. Elle est en situation de stress, un peu désespérée par sa situation. Nous tentons de lui donner du courage. Psychologiquement, elle n'est pas en bonne condition."

Renvoi vers la Turquie "impensable"

La balle retourne maintenant dans le camp du SEM - qui par ailleurs ne commente ni ne confirme la décision du TAF - afin de statuer une nouvelle fois sur le sort de Hülya Emeç.

Selon Amnesty, les critères sont réunis pour obtenir l'asile. Un renvoi vers la Turquie semble impensable. Si c'est le cas, ce pourrait être une violation claire du principe de non-refoulement, estime l'ONG.

Pierre Crevoisier/kkub

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