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La drogue sur le "darknet", un marché et beaucoup de pièges

Avec la collaboration de l'Ecole des sciences criminelles, Nouvo a testé l'achat de drogue sur le "darknet". Un marché bien sûr illégal... et risqué.

L'enveloppe est bien arrivée par la poste. A l'intérieur, un gramme de cocaïne, emballé et dissimulé dans un boîtier DVD. Et un petit cadeau non commandé: deux pilules de MDMA, une drogue de synthèse. Un geste commercial en somme.

L'expéditeur a évidemment mentionné un faux nom et une fausse adresse. Pour Ludovic Staehli, assistant doctorant à l’Ecole des sciences criminelles de l'Université de Lausanne(UNIL), le paquet est sans surprise: "Le vendeur essaie de faire que son produit paraisse le plus légitime possible: le timbre, l’adressage. Et dans le cas de la cocaïne qui est une poudre, le vendeur a utilisé un plastique antistatique thermosoudé, pour éviter que les particules de cocaïne ne collent."

Arnaques et escroqueries

La qualité du produit, en revanche, n'est pas conforme aux promesse du vendeur. Ludovic Staehli a analysé des échantillons de la poudre, vendue comme "pure à 95%". Le résultat est bien inférieur, 33% de pureté, "similaire à ce que l'on trouve dans la rue". Tellement similaire que l'expert estime même, au vu de la signature chimique, que cette drogue achetée par correspondance et un échantillon du marché de rue "ont fait partie d'un même pain de coke".

Si la plateforme précurseur en matière de drogue Silk Road a fermé en 2014, elle a fait des petits. Des dizaines de cryptomarchés ont pris le relais, apparaissant et disparaissant souvent au bout de quelques mois. Car ces sites ressemblent à des cagnottes. Quentin Rossy, professeur assistant à l’Ecole des sciences criminelles, explique ainsi que "le marché est très instable, à cause des actions policières, mais aussi des escroqueries. Ceux qui gèrent ces sites, dès le moment où le volume d’argent stocké est élevé, vont dire 'on ferme tout et on prend l’argent'".

Sur les réseaux sociaux aussi

Si ce commerce illégal existe depuis longtemps sur le "darknet", il déborde aujourd'hui sur des plateformes moins confidentielles. Ainsi trouve-t-on, sur les réseaux sociaux, des groupes fermés où en langage codé s'échangent des denrées illégales. Mais là aussi, aucune garantie pour l'acheteur. "Il y a visiblement des groupes fermés où l'on peut raisonnablement suspecter qu’il y ait des ventes ou des discussions en vue de ventes", selon Quentin Rossy, mais "est-ce que ce sont de vrais vendeurs ou de l’escroquerie?"

La Suisse, 8e marché au monde

Quoi qu'il en soit, ces marchés en ligne restent, en la matière, secondaires. Pierre Esseiva, professeur à l’Ecole des sciences criminelles, explique qu'il représente "moins de 1% du marché global", selon les estimations. La Suisse serait tout de même le huitième plus gros marché au monde pour la drogue en ligne, avec des vendeurs toujours plus nombreux.

Pourtant, la drogue vendue en ligne n'est pas de meilleure qualité et le risque d'escroquerie réel. Et surtout, comme l'explique Quentin Rossy, "même si on pense qu’on y est anonyme, la traçabilité reste". Dans le monde, de nombreuses polices commencent à lancer des campagnes de sensibilisation. Notamment parce que la simplicité de ces sites fait presque oublier qu’y passer commande est passible de 3 ans de prison.

Antoine Multone

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