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Les victimes de viol découragées de poursuivre devant la justice suisse

Le viol devant la justice
Le viol devant la justice / Mise au point / 14 min. / le 20 novembre 2016
En 2015, 82 personnes ont été condamnées pour viol en Suisse. Au-delà des jugements qui font débat, les procédures s'avèrent difficiles à vivre pour les victimes. A tel point que des psychologues mettent en garde contre la voie juridique.

Moins d'une centaine: c'est le nombre de condamnations pour viol chaque année, alors que plusieurs études estiment que trois agressions sexuelles se produisent chaque jour à l'encontre d'adultes en Suisse. Les victimes hésitent parfois à s'adresser à la justice et vivent souvent avec difficulté les procédures judiciaires.

Face à cette situation, la psychothérapeute Eva Zimmermann, codirectrice de l'institut romand de psychotraumatologie, déconseille parfois à des patientes de porter plainte.

"Certaines de mes patientes ont été retraumatisées par les procédures juridiques et je veux éviter cela", explique la psychologue et formatrice. "Si la victime n'a pas de preuve du viol, pas de trace et que l'agresseur rejette ces accusations, il y a très peu de chances qu'il y ait une condamnation, ajoute-t-elle. La procédure est donc beaucoup trop lourde pour qu'au final elle ne débouche sur rien."

Mise en garde face à un long chemin

Chez d'autres psychologues chargés de l'aide aux victimes, l'approche est plus nuancée. Ces spécialistes mettent en garde les victimes de viol face au long chemin de la justice et aux attentes des femmes elles-mêmes.

"Nous expliquons notamment comment va se dérouler la procédure: à quel rythme, dans quel délai, les droits en lien avec la loi sur l’aide aux victimes, par exemple la non confrontation entre la victime et l'agresseur, et le risque de classement, le doute profitant aux accusés dans le droit suisse",  précise Christophe Dubrit, du centre de consultation vaudois pour victimes d'infractions.

Du côté des autorités, la plainte demeure la seule marge de manoeuvre pour s'attaquer au problème du viol, une fois celui-ci commis. "J'ignorais que des psychologues déconseillaient la voie juridique", explique Antonello Spagnolo, chef de section au sein du Département vaudois de la santé et de l'action sociale. "Mais d'un point de vue de légaliste, le seul outil efficace pour réprimer cette violence une fois l'agression commise, c'est d'attaquer l'agresseur en justice, détaille-t-il, tout en accompagnant la victime de la meilleure manière possible."

"Je n'ai pas eu la sensation qu'on m'ait donné la parole!"

Car les femmes peuvent ressortir brisées d'une telle procédure. "Je pense qu'un procès n'est pas du tout thérapeutique", confie Théa, qui accuse un de ses professeurs de l'avoir abusée enfant. La jeune femme a vécu comme un calvaire les cinq ans et demi qui ont suivi sa plainte. "Je n'ai pas eu la sensation qu'on m'ait donné la parole! On m'a plutôt interrogée sans relâche, comme si c'était mon propre procès."

Pour éviter ce genre de drames, Carlo Häfeli, avocat et président de l'organisation d'aide Weisser Ring, propose une méthode combative. Pour lui, il est essentiel que chaque cas soit dénoncé, pour la justice et pour les victimes elles-mêmes.

"Je suis d'avis que si on prépare bien la victime, elle y arrivera", estime-t-il. "Et je trouve dommage que des thérapeutes empêchent les victimes d'avoir du succès dans leur démarche." Pour préparer ses clientes, il les entraîne comme des sportives avant un affrontement: les victimes sont confrontées aux procès-verbaux d'auditions et l'avocat endosse avec sévérité le rôle du policier ou du procureur.

"Comment se fait-il que nous ayons une justice qui s'occupe si mal des victimes de viol qu'on en arrive à leur déconseiller de porter plainte", se demande de son côté Rachel, violée par un collègue de travail. "Je suis allée porter plainte le jour où je me suis rendue compte que plainte ou non, je vivais dans la peur." Après un procès en France, Rachel verra son agresseur condamné à 15 ans de prison.

Béatrice Guelpa/Tamara Muncanovic

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