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Il y a 20 ans, une Suisse divisée disait non à l'EEE

La mine noire des conseillers fédéraux Jean-Pascal Delamuraz, René Felber et Arnold Koller, le 06.12.1992. [Keystone - Rolf Schertenleib]
La mine noire des conseillers fédéraux Jean-Pascal Delamuraz, René Felber et Arnold Koller. - [Keystone - Rolf Schertenleib]
Le 6 décembre 1992, une date qui reste dans les mémoires, un "dimanche noir" selon les mots du conseiller fédéral de l'époque Jean-Pascal Delamuraz. Ce non cinglant à l'Espace économique européen a marqué le début de la voie bilatérale.

Il y a exactement 20 ans, les Suisses rejetaient l'adhésion à l'Espace économique européen (EEE). Au terme d'une campagne très émotionnelle et avec près de 80% de participation, ce scrutin du 6 décembre 1992 avait divisé la Suisse comme jamais entre Romands et Alémaniques.

Au final, la grande majorité des cantons et 50,3% du peuple ont rejeté l'objet et le vote a creusé plusieurs fossés: les grandes villes ont dit oui, les campagnes non. Les couches de population à bas revenus ont mis en minorité l'élite bien formée. Mais, surtout, la Suisse romande a voté oui d'une seule voix et nettement, alors que la Suisse alémanique, à l'exception des deux Bâles, a dit non en bloc.

Ce que signifiait l'EEE pour la Suisse

La Romandie s'était sentie trahie par les Alémaniques. [Str - STR]

"C'est un dimanche noir", la réaction du ministre de l'Economie d'alors, le Vaudois Jean-Pascal Delamuraz, un europhile convaincu, avait encore davantage divisé les Helvètes. Cette date avait en outre modifié le paysage politique suisse, avec la montée en puissance de l'UDC de Christoph Blocher et avec le début de la voie bilatérale entamée par la Suisse avec l'Europe.

L'idée de l'Espace économique européen était la création d'un marché commun entre la Communauté européenne (CE) et l'Association européenne de libre-échange (AELE), dont fait partie la Suisse. L'accord devait assurer les "quatre libertés": la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux. L'EEE aurait conféré moins de droits à la Suisse qu'une adhésion à la CE, mais elle lui imposait aussi moins de devoirs.

L'agriculture et la fiscalité étaient exclus de l'accord, les répercussions sur les institutions helvétiques auraient été faibles. La Suisse n'aurait pas été contrainte d'adopter automatiquement de nouvelles lois promulguées par la CE. Des solutions auraient dû être trouvées au sein du comité de l'EEE par voie de négociations. En cas de litige, un tribunal arbitral aurait été compétent.

Une campagne agressive

La campagne avait été longue et passionnée. [Str]

Tout autant que le résultat, la dureté de la campagne a marqué les esprits. La force motrice derrière cette campagne émotionelle était le président de l'UDC zurichoise d'alors, Christoph Blocher. Avec son parti et soutenu par l'Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), il s'est lancé contre les rangs serrés de l'"establishment" politique et économique. Les adversaires de l'adhésion à l'EEE conjuguaient la perte de souveraineté et le spectre des "juges étrangers". Ils mettaient en garde contre des coûts élevés de l'accord, une baisse des salaires ainsi que des carences institutionnelles.

Leur arme la plus redoutable a aussi été une déclaration du conseiller fédéral Adolf Ogi: selon lui, l'EEE n'était qu'un "camp d'entraînement" pour l'adhésion à la Communauté européenne. Or les analyses de vote ont montré plus tard que deux tiers des votants étaient opposés à une adhésion à la CE, ancêtre de l'Union européenne.

Avec sa campagne agressive, Christoph Blocher a marqué le style politique qui allait profiler avec succès l'UDC. Le parti, un poids plume en 1992 avec 11% d'électeurs, a su tirer profit d'une profonde méfiance de l'électorat conservateur face aux appétits de l'élite urbaine et des politiciens. Le non à l'EEE a marqué le début de la voie bilatérale poursuivie par la Suisse dans ses relations avec l'Union européenne. Les objets y relatifs ont à chaque fois passé plutôt haut la main en votation populaire.

La Suisse reste eurosceptique

La personnalité de Christoph Blocher avait aussi marqué le scrutin. [Str - STR]

Certaines voix, comme le président du PDC Christophe Darbellay récemment ou l'ancien secrétaire d'Etat Franz Blankart, demandent d'ailleurs de faire revoter le peuple sur l'EEE. Car, vingt après le non, la Confédération mise toujours sur les négociations bilatérales. L'UE en revanche verrait bien la Suisse dans l'EEE ou du moins une simplification des relations.

En juin, le Conseil fédéral a transmis des propositions aux institutions de l'UE. Il propose une autorité nationale et indépendante pour la surveillance de l'application des accords bilatéraux. Mais l'UE ne devrait pas s'en contenter. De plus, un "mécanisme de développement" tenant compte du droit helvétique doit "dynamiser" les accords. Des sources non officielles parlent de propositions "inutilisables" jusqu'à une reconnaissance de l'"effort" suisse.

Toutefois, selon une récente enquête de l'institut de sondage de Berne GfS, le "non" de la Suisse de décembre 1992 est une "bonne décision" pour 54% des interrogés, alors que 23% estiment le contraire. Seuls 6% des Suisses pensent que leur pays devrait adhérer à l'UE, selon ce sondage et 11% se déclarent pour l'adhésion à l'EEE.

boi avec ats

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