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Affaire Kadhafi: Washington était prêt à aider Berne

Micheline Calmy-Rey et Hillary Clinton, notamment, ont parrainé ces accords.
Micheline Calmy-Rey et Hillary Clinton s'étaient rencontrées à Zurich en octobre 2009.
Les télégrammes diplomatiques américains révélés par le site WikiLeaks confirment que les Etats-Unis étaient prêts à soutenir la Suisse - bien que discrètement - dans l'affaire Kadhafi. Et que les restrictions aux visas Schengen ont irrité les Etats européens.

Selon les documents transmis par WikiLeaks au magazine allemand Der Spiegel, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton était informée de l'affaire Kadhafi lorsqu'elle est venue à Zurich le 10 octobre 2009 pour participer à la signature d'un accord entre la Turquie et l'Arménie, avec ses homologues russe, français et européen.

Dans l'intérêt des Etats-Unis

Dans un message envoyé avant ce voyage à Hillary Clinton, l'ambassadeur à Berne Donald S.Beyer se disait "convaincu qu'il est dans notre intérêt de faire tout ce que nous pouvons, aussi au vu des nombreux efforts faits par la Suisse pour aider les citoyens américains en Iran", écrit le Spiegel, repris jeudi par L'Hebdo.

Cinq jours plus tard, l'ATS révélait que la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey avait évoqué la crise libyenne en marge du sommet de Zurich. Mais que "seuls les Américains (étaient) prêts à accepter un bras de fer avec les Libyens", avait alors regretté une source diplomatique suisse de haut rang.

Les Européens ne sont en effet intervenus qu'en février 2010, lorsque la Libye a refusé des visas d'entrée aux citoyens de l'Union européenne, en représailles à la "liste noire" de hauts responsables libyens que la Suisse voulait interdire d'entrée dans l'espace Schengen.

L'ambassade américaine au front

Rachid Hamdani et Max Göldi ont déjà passé plus de 500 jours détenus en Libye.
Rachid Hamdani et Max Göldi ont déjà passé plus de 500 jours détenus en Libye.

Berne avait haussé le ton en raison de l'enlèvement le 18 septembre précédent de Max Göldi et Rachid Hamdani. Washington a été rapidement au courant de ce "kidnapping", ce qui ne manque pas de surprendre le chargé d'affaires suisse à Tripoli, Stefano Lazzarotto, écrit le Spiegel.

Selon le magazine, Stefano Lazzarotto ne sait pas que Berne a demandé à Washington d'intervenir en faveur des otages. Un diplomate américain s'étonne de ce "manque de communication entre Berne et son ambassade".

Max Göldi et Rachid Hamdani pourront regagner l'ambassade cinq jours après le durcissement de la politique des visas par Berne. Stefano Lazzarotto a à cette occasion remercié les Etats-Unis. Le Spiegel ne précise pas les raisons de ce message, mais souligne que l'ambassade américaine s'est occupée "intensivement" du dossier.

L'affaire des visas Schengen a irrité plusieurs pays européens

L'ambassade suisse à Tripoli.
L'ambassade suisse à Tripoli.

Les documents cités par le "Spiegel" confirment également que les restrictions aux visas Schengen ont provoqué la colère de plusieurs Etats européens - en particulier l'Italie et Malte. "Les Suisses se sont mis à dos précisément les Européens à qui ils demandent maintenant de les soutenir", note l'ambassadeur américain en Libye.

Berne avait demandé à plusieurs diplomates d'être présents aux procès des deux otages suisses pour violation des lois sur le séjour et le travail, qui ont débuté à la fin novembre 2009 - une demande refusée par les Etats-Unis et l'Union européenne.

Cette position s'est ensuite assouplie: fin janvier, la Radio Suisse Romande indiquait que les représentants de plusieurs ambassades étrangères, dont l'Allemagne, avaient accompagné Max Göldi lors de son procès en appel pour "séjour illégal". Et plusieurs ambassadeurs de l'Union européenne se sont rendus à l'ambassade de Suisse en février pour empêcher un assaut des forces de l'ordre libyennes visant à "déloger" l'otage.

Relations tendues entre Berne et la mission suisse à Tripoli

Ce revirement pourrait être dû à l'engagement de l'Allemagne et de l'Espagne, qui a pris la présidence de l'Union européenne le 1er janvier. Plusieurs réunions ont eu lieu à Madrid ou Berlin pour tenter de trouver une issue à la crise et un plan d'action a été signé le 13 juin dans la capitale espagnole. Le lendemain, Max Göldi pouvait rentrer en Suisse.

Les documents de WikiLeaks confirment encore les relations tendues entre Berne et l'ambassadeur à Tripoli Daniel von Muralt, qui a pris sa retraite le 1er mai 2009. En janvier 2009, Daniel von Muralt regrettait auprès de diplomates américains que Berne soit "trop faible" et n'ait aucune compréhension pour les points de vue libyens. Il reprochait aussi à Micheline Calmy-Rey de penser de manière "typiquement suisse". Ces informations se retrouvent dans le rapport de la Délégation des commissions de gestion publié vendredi dernier.

ats/hof

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Principales révélations sur la Suisse

8 décembre - L'affaire libyenne vue par Londres
Des télégrammes américains rapportent que l'ambassadeur britannique à Tripoli a "exprimé son soulagement" en apprenant la libération imminente d'al-Megrahi: "Ils (les Libyens) auraient pu nous couper les jarrets, tout comme ils l'ont fait aux Suisses", aurait déclaré l'ambassadeur britannique, Vincent Fean, en référence à la violente réaction libyenne après l'arrestation à Genève du fils du dirigeant libyen, Hannibal Kadhafi.

6 décembre - Les sites suisses que Washington protège
Selon les documents révélés par WikiLeaks, le groupe pharmaceutique Roche, producteur du Tamiflu, un vaccin contre la grippe porcine, figure sur la liste des sites dits sensibles que Washington veut protéger. La société Berna Biotech, productrice de vaccins contre la fièvre typhoïde, et le groupe CSL Behring, qui produit de l’immunoglobine intraveineuse.

1er décembre - Ressortissant américain retenu en Iran
WikiLeaks publie une page dans laquelle on apprend que l'ambassade de Suisse à Téhéran, qui représente les intérêts américains en Iran, a été en contact avec un ressortissant américain d'origine iranienne venu en visite en Iran en 2008 et retenu 7 mois avant de fuir en Turquie.

30 novembre - Une "démocratie alpine frustrante"
Parmi les documents américains secrets concernant la Suisse, on peut lire dans un protocole écrit en 2008 par l’ancien ambassadeur américain en Suisse, Peter Coneway, que la Suisse est "une démocratie alpine frustrante". Les relations entre la Suisse et les Etats-Unis sont certes cordiales, mais pas vraiment émotionnelles, nous apprenait Radio Basel. L’actuel représentant américain en Suisse, Donald S.Beyer, a réagi, relevant que son prédécesseur représentait l’administration Bush, notant que c'était "un autre temps, un autre contexte".

30 novembre - Les politiciens suisses
Dans plus de 500 télégrammes en provenance de Genève et Berne, les diplomates américains s'intéressent aussi à certains politiciens suisses. Après son élection, Ueli Maurer est qualifié de fidèle suiveur de Christoph Blocher. Ce dernier est par ailleurs désigné comme étant le "gourou" du parti par l’ambassadeur américain dans une autre note.

30 novembre - L’antiaméricanisme des services secrets
Dans une dépêche datant de 2006, les Etats-Unis se sont plaints de la coopération défaillante avec la Suisse, notait Radio Basel. Le patron des services secrets suisses, Urs von Däniken, est décrit comme peu coopératif. Son attitude est considérée comme antiaméricaine.

30 novembre - Les relations avec Téhéran
Les relations helvético-iraniennes (la Suisse défend les intérêts américains en Iran, Washington n’ayant pas de relations diplomatiques avec Téhéran) ont été l'un des thèmes principaux des deux dernières années. La plus grande tension est née en 2008 de la conclusion d’un contrat de livraison de gaz. La conseillère fédérale en charge des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey était présente à Téhéran lors de la signature de cet accord.

30 novembre - La Libye et le secret bancaire
Parmi les autres thèmes évoqués dans les notes diplomatiques américaines concernant la Suisse révélées ce jour-là, on retrouve en vrac l’affaire libyenne et les tensions entre Washington et Berne au sujet du secret bancaire sans que rien de notable ne puisse en être dit.

29 novembre - Les comptes suisses d'Erdogan
WikiLeaks a révélé que le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan détenait des comptes bancaires en Suisse, comme l’affirme une des 250'000 notes diplomatiques américaines que le site fondé par Julian Assange a commencé à divulguer. Dans une note diplomatique classée "secrète" du 30 décembre 2004, l’ambassadeur de l'époque en poste à Ankara, Eric Edelman, écrivait: "Nous avons entendu de deux contacts qu’Erdogan a huit comptes dans des banques suisses". Le Premier ministre turc a vivement réagi, démentant avec véhémence ces informations.