Valentine Bagnoud: "La vérité judiciaire se base sur les preuves, pas sur ce qu'on ressent"
Les affaires criminelles provoquent de vifs débats au sein de la population. Invitée dans La Matinale de la RTS, l'avocate pénaliste Valentine Bagnoud estime que la justice doit pouvoir se distancier de l'opinion populaire. "Les bonnes et saines décisions de justice doivent être rendues de manière sereine et dépassionnée."
"C'est-à-dire qu'il faut faire abstraction du tapage qu'il y a autour, pour rendre des décisions qui sont indépendantes et impartiales. Ce qui est difficile pour nous, c'est qu'on a toutes et tous une attente vis-à-vis de la justice. On a ce sentiment ancré en nous de ce qui serait juste ou pas juste."
L'avocate genevoise poursuit: "Le système judiciaire suisse est bien fait, c'est-à-dire qu'on part du principe que toutes et tous sont innocents jusqu'à ce qu'une culpabilité ait été établie. Il ne s'agit donc pas de prouver l'innocence de quelqu'un, mais de voir si les preuves du dossier permettent d'établir une culpabilité ou non".
Deux versions opposées des faits
Valentine Bagnoud, qui s'exprimait avant le verdict du procès de Tariq Ramadan, reconnaît toute l'émotion qu'un tel jugement induit. "Dans un cas comme celui-ci où il y a vraiment deux versions opposées des faits, peu importe la décision, une des deux parties aura le sentiment que cette décision est injuste."
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"Et c'est pour ça que je parle de vérité judiciaire, cela ne doit pas enlever le crédit du ressenti des deux personnes, mais le travail de la justice, c'est ça. La vérité judiciaire n'est pas LA vérité. Il y a une vérité par personne, et on le voit très bien dans cette affaire."
Dépasser l'image de l'avocat ténor
En parallèle de son activité d'avocate pénale, Valentine Bagnoud a récemment publié 'Parole d'avocate', un livre collectant le témoignage de plusieurs avocates et qui permet entre autres de dépasser l'image de l'avocat ténor forcément homme, à la voix puissante et au geste auguste.
C'est d'une telle violence de se retrouver à la place de prévenu qu'on a besoin d'avoir à ses côtés quelqu'un qui pourra opposer cette même violence
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"On a dans l'imaginaire collectif cette mythologie de l'avocat qui doit avoir cette corpulence, cette voix. Je pense aux personnes qui du jour au lendemain - et ça peut nous arriver à toutes et à tous - se retrouvent sur le banc des accusés. C'est d'une telle violence de se retrouver dans cette place-là et d'être prévenu, on a besoin d'avoir à ses côtés quelqu'un qui pourra opposer cette même violence ou cette même intensité face à ce qui nous arrive."
"Et peut-être qu'on se dit qu'un homme arrivera mieux à incarner cette puissance. Or notre livre montre que non, que beaucoup de femmes incarnent aussi cette puissance-là."
Propos recueillis par David Berger/asch