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Antonio Hodgers: "A force d'insister sur cet avenir apocalyptique, on enlève les perspectives de vie"

#Helvetica : Antonio Hodgers, Conseiller d'Etat GE
#Helvetica : Antonio Hodgers, Conseiller d'Etat GE / #Helvetica / 22 min. / le 20 mai 2023
Les discours alarmistes en matière de dérèglement climatique sont contre-productifs, estime Antonio Hodgers samedi dans l'émission Helvetica. Dans un manifeste qu'il vient de publier, le conseiller d'Etat vert genevois plaide au contraire pour une "écologie de l'espoir".

Il faut agir en faveur du climat, Antonio Hodgers en est convaincu. Le problème, selon lui, réside dans la manière de présenter la situation à la population. Les récits catastrophistes n'amènent pas, à ses yeux, une mobilisation collective.

A force de montrer des faits catastrophiques, tels que la fonte de la calotte glacière par exemple, le cerveau humain les met en second plan. "Quand on tire la sonnette d'alarme une fois, deux fois, trois fois, au bout d'un moment, les gens ne viennent plus", résume-t-il.

Une écologie positive

"L'écologie ne progresse plus tant que ça", constate Antonio Hodgers. Ce phénomène peut s'expliquer selon lui par cette mauvaise stratégie, les discours apocalyptiques pouvant provoquer une réaction défensive chez certains citoyens.

"En faisant peur aux gens, est-ce qu'on va convaincre plus largement ou est-ce qu'on va juste alimenter les militants qui sont très mobilisés?", se questionne-t-il. L'élu Vert propose plutôt d'avoir une vision positive de l'écologie. "Si on transforme cette transition écologique en projet enthousiasmant, on va élargir le nombre d'adhérents et on va pouvoir faire les changements nécessaires", estime-t-il.

Le rêve d'Antonio Hodgers serait de faire du parti des Vert-e-s "un grand parti de la classe moyenne très large, basé sur l'ouverture et la responsabilité environnementale". Selon lui, viser un électorat plus militant aurait une portée plus resserrée de l'écologie.

Si on transforme cette transition écologique en projet enthousiasmant, on va élargir le nombre d'adhérents et on va pouvoir faire les changements nécessaires

Antonio Hodgers, conseiller d'Etat Vert genevois

Et si Antonio Hodgers comprend l'éco-anxiété dont souffrent certains jeunes, il estime que ce n'est pas le rôle d'un parti politique que de l'alimenter. Il faut les encourager à se mobiliser, mais tout en relevant le côté festif de cet engagement.

Le Genevois se rappelle d'ailleurs de son entrée chez les Vert-e-s, en 1997. "C'était un peu cette idée: on va avoir moins de pétrole, on sera moins matérialistes, on aura davantage de temps libre avec nos amis et on va faire la fête", se souvient-il. "C'était peut-être un peu naïf, mais l'élan de bonheur et de plaisir était là", poursuit-il. Pour Antonio Hodgers, "à force d'insister sur cet avenir apocalyptique, on enlève les perspectives de vie".

Des possibilités d'adaptabilité

Antonio Hodgers souligne justement le fait que certaines bonnes nouvelles existent en matière d'écologie. Il mentionne notamment son canton, Genève, qui a diminué le CO2 par personne de 30% ces 30 dernières années. "On a commencé le virage. Il faut dire aux gens que les efforts sont en train de payer", s'enthousiasme-t-il. Des succès existent également en terme de biodiversité: "on a pu sauver les baleines à bosse de l'Atlantique", se réjouit-il.

Quant au rapport du GIEC, bien que décrivant des perspectives inquiétantes, il ne présente aucun scénario de disparition de l'humanité. "Mais ça ne veut pas dire que ce ne sera pas dur et qu'il n'y a pas un enjeu", tempère le conseiller d'Etat. Il est toutefois confiant que l'on saura s'adapter, malgré les difficultés, notamment en matière d'eau ou d'agriculture. Pour le Vert genevois, "tout projet de société passe par le fait de dire: le chemin sera dur, c'est une vraie épreuve de vie, mais quand on l'aura traversée, on aura grandi comme société et comme individus".

Il faut dire aux gens que les efforts sont en train de payer

Antonio Hodgers, conseiller d'Etat Vert genevois

Les pays occidentaux devraient donc être en mesure de faire face à ces défis, selon lui. "On a les moyens financiers et la situation géographique qui nous permet de nous adapter". Cela pourrait s'avérer plus compliqué pour "certaines populations dans des climats semi-désertiques ou qui sont sur des petites îles dans les deltas", estime Antonio Hodgers. " Là, ça va être à un niveau où elles devront en grande partie émigrer".

Un enjeu de solidarité internationale

Il y a donc un vrai enjeu de solidarité internationale derrière le réchauffement climatique, selon le conseiller d'Etat vert. "Je trouve qu'on en parle peu", explique-t-il, "parce que la peur ça renvoie à soi: j'ai peur pour moi, pour mes enfants. C'est ce que j'appelle l''égologie'".

Antonio Hodgers prend l'exemple de l'un des scénarios, assez dur, du GIEC. "D'ici la fin du siècle, le Plateau suisse pourrait avoir le climat du sud de l'Italie, autour de Naples". Cela représenterait un problème pour l'agriculture et au niveau des îlots de chaleur, mais l'élu écologiste est convaincu que la Suisse serait en mesure de s'adapter.

"Mais on voit aussi en filigrane que si nous avons le climat de Naples, Naples aura le climat de Marrakech et Marrakech aura le climat du Sahara", poursuit-il, "et donc, un des grands défis de ce réchauffement climatique, c'est la solidarité internationale".

>> Relire : Le réchauffement mondial atteindra 1,5 degré dès 2030-2035, prévient le GIEC

Régulation de l'Etat

Antonio Hodgers dénonce au contraire une "écologie du renfermement". "L'UDC dit vouloir limiter l'immigration parce qu'elle bétonne la Suisse. Donc ils essaient de faire porter aux étrangers le fait qu'il y a un impact environnemental", déplore-t-il. "Il faut faire attention que l'écologie ne devienne pas le prétexte d'un renfermement sur soi et d'un protectionnisme trop fort".

Le conseiller d'Etat regrette également le fait que l'on fasse culpabiliser les individus. Selon lui, le changement se fera par le collectif. Il faut une régulation par l'Etat. "Eteindre la lumière en sortant, c'est bien. Mais au bout d'un moment, si nos infrastructures, tous les bâtiments et le réseau de transport sont trop intensifs en carbone, vous avez beau être super écolo personnellement, vous n'allez pas compenser les émissions structurelles de votre pays", explique-t-il.

A l'inverse, selon lui, "si on est dans une société où on a fait les bons investissements, où tous les bâtiments sont isolés, où tous les gens peuvent prendre le train plutôt que leur voiture, si on est dans une société de circuits courts pour l'alimentation... Bref, si on est vraiment une société écolo, on s'en fiche de l'écologie. C'est une libération".

Propos recueillis par Philippe Revaz

Adaptation web: Emilie Délétroz

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