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Victimes de violences: le modèle vaudois pourrait inspirer l’ensemble de la Suisse

Le Parlement souhaite des centres d'aide d'urgence pour les victimes de violences dans toute la Suisse. Le CHUV pourrait servir d'exemple
Le Parlement souhaite des centres d'aide d'urgence pour les victimes de violences dans toute la Suisse. Le CHUV pourrait servir d'exemple / 19h30 / 2 min. / le 13 mars 2023
Les victimes de violences devraient disposer de centres d’aide d’urgence dans tout le pays. Deux motions en ce sens ont été soutenues lundi par le Parlement. Unanimement salué, le modèle vaudois pourrait servir d’exemple pour l’ensemble de la Suisse.

Vous êtes la cible de violences physiques ou psychologiques, dans la rue, au travail, à la maison. Que faire? Vers qui se tourner? Ou pouvez-vous aller pour faire constater les blessures? En Suisse comme ailleurs dans le monde, des milliers de personnes se posent ces questions chaque année. La situation est d’autant plus problématique lorsque la violence est subie au sein du foyer, dans l'intimité du couple, et cela concerne très majoritairement des femmes.

Dans le canton de Vaud, toutes les personnes victimes de violences, dès l’âge de 16 ans, peuvent se tourner vers l’Unité de médecine des violences (UMV). Ouverte il y a plus de quinze ans par le CHUV et le Centre universitaire romand de médecine légale, cette unité spécialisée est un exemple de bonnes pratiques dans le domaine, comme le relève le Conseil fédéral dans un rapport daté de mars 2020 (en pdf).

Toutes les violences sont documentées, y compris les violences psychologiques et sexuelles, et pas seulement les violences physiques

Nathalie Romain Glassey, médecin légiste, responsable de l'UMV

Au-delà de l'accueil et de l'écoute, l'activité principale de l'UMV est d'établir des constats médicaux et d'orienter les victimes vers les structures appropriées. "Ce qui différencie l'UMV d'une unité moins spécialisée, c'est le temps que l'on peut consacrer aux patients ainsi que la formation des personnes qui y travaillent", explique la Dre Nathalie Romain Glassey, responsable de l'UMV. "Toutes les violences sont documentées, y compris les violences psychologiques et sexuelles, et pas seulement les violences physiques", précise la médecin légiste.

Un "service sur mesure" pour les victimes

A côté des aspects médico-légaux, toute l’attention est apportée à alléger le fardeau des victimes. La consultation se fait sur rendez-vous, sept jours sur sept à Lausanne et trois jours par semaine sur les autres sites. Elle est par ailleurs gratuite, les coûts étant assumés par l’Etat. Si nécessaire, les patientes et patients peuvent en outre bénéficier d’un service de garde pour les enfants et d’un interprète. “Notre mission est de fournir un service sur mesure aux victimes”, relève Nathalie Romain Glassey.

L’UMV suit un protocole précis et bien défini, avec une rigueur scientifique

Charlotte Iselin, avocate

Police, justice et avocats s'accordent sur l’importance de faire constater les violences subies. Et à ce titre, la qualité des observations de l’unité spécialisée du CHUV fait l’unanimité. "Les médecins traitants font bien leur travail, mais ils ont beau mettre toute la bonne volonté du monde, ils n’ont ni la formation ni le temps pour documenter les violences de manière aussi complète que l’UMV", souligne Charlotte Iselin, co-présidente de l’association Avocats ressources en matière de violences domestiques.

Pas seulement pour déposer plainte

"L'UMV suit un protocole précis et bien défini, avec une rigueur scientifique. Elle offre notamment une description très précise des lésions et de l'histoire des violences physiques et psychologiques", poursuit cette avocate. Pour la police cantonale vaudoise, ce constat médical "pointu" peut être "un élément fondamental d'une procédure judiciaire". "Les examens réalisés par l'UMV se révèlent très précieux, notamment lorsqu'une plainte pénale est déposée longtemps après les faits", renchérit Vincent Derouaud, responsable de la communication du Ministère public vaudois.

Le constat médical est primordial dans le cadre d’une procédure pénale, mais pas uniquement. Il peut aussi être utile lors d'une procédure civile, comme une séparation ou la mise en place de mesures d'éloignement. Il en va de même dans le cadre d'une procédure administrative, en particulier pour les personnes étrangères qui souhaitent conserver leur droit de séjour en Suisse. C'est pourquoi tous les milieux concernés insistent sur l'importance de documenter les violences subies, même lorsqu’on n'envisage pas de déposer plainte.

Un problème de santé publique

Plus généralement, "la violence est non seulement un problème de santé, mais aussi un problème de santé publique", affirme Nathalie Romain Glassey. Pour elle, la mise en place de centres médicaux dédiés aux victimes, et notamment aux victimes de violence domestique, permet justement d'"intégrer cette question comme un problème de santé publique et montre que les autorités y accordent de l’importance".

En 2021, plus de 45'000 infractions de violence ont été enregistrées par la police en Suisse. Près de 20'000 infractions ont été constatées pour le seul domaine domestique. Dans la majorité des cas, la violence se produit au sein d'un couple existant ou dissous. Plus de sept victimes sur dix sont des femmes, tandis que 73% des auteurs sont des hommes, montrent les derniers chiffres de la statistique policière de la criminalité.

Pour faire face à ce problème, le Conseil fédéral a adopté en juin 2022 un plan d’action national pour la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul). L'un des objectifs de ce plan vise à améliorer la prise en charge médicale et médico-légale des victimes de violence. La création de centres d'aide d’urgence, sur l'exemple du modèle vaudois, est notamment évoquée.

Un signal fort du Parlement

Pour l'heure, en dehors du canton de Vaud, seules quelques régions disposent de structures satisfaisantes. C'est notamment le cas de l'Hôpital du Valais, qui dispose d'une Unité de médecine des violences depuis l'été 2021, et de Berne. Mais les autres cantons ne restent pas les bras croisés. Plusieurs cantons romands - dont Fribourg, Neuchâtel et le Jura - sont en discussion avec le Centre universitaire romand de médecine légale afin d'étudier la mise en place d'une unité de médecine des violences au sein de leur système hospitalier.

Lundi, le Parlement a envoyé un signal fort en faveur de la protection des victimes de violences. A la suite du National, le Conseil des Etats a soutenu tacitement deux motions demandant la mise en place de centres d'aide d'urgence dans tout le pays. Les sénateurs avaient déjà adopté une motion similaire il y a une année. Celle-ci sera examinée par la Chambre du peuple jeudi.

Il revient maintenant au Conseil fédéral de créer les bases légales ainsi que les normes contraignantes pour l’ouverture de ces institutions, ainsi que de définir leur mode de financement.

>> L'interview de Philippe Bigler, directeur du centre d'accueil MalleyPrairie :

La Suisse doit faire mieux pour lutter contre les violences domestiques(image prétexte). [Keystone - Jean-Christophe Bott]Keystone - Jean-Christophe Bott
Pas assez de centres d'urgence pour victimes de violences sexuelles. Interview de Philippe Bigler / La Matinale / 1 min. / le 13 mars 2023

Didier Kottelat avec Céline Brichet

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L'Unité de médecine des violences vaudoise en quelques chiffres

Créée en 2006 au CHUV par le Centre universitaire romand de médecine légale, l'Unité de médecine des violences (UMV) dispose aujourd'hui de quatre antennes dans le canton de Vaud (Lausanne, Yverdon-les-Bains, Rennaz et Nyon).

L'équipe comprend deux médecins légistes (2 EPT), neuf infirmières (4.7 EPT), une chercheuse en sciences sociales (0.7 EPT) et trois secrétaires (1.9 EPT).

L'an dernier, l'UMV a réalisé 1129 consultations. Après avoir progressivement crû à la suite de l'ouverture des différents sites, ce chiffre est relativement stable depuis plusieurs années.

En moyenne depuis 2006, l’UMV accueille autant d’hommes que de femmes. La majorité des victimes de violence dans le couple sont des femmes (84%), tandis que la majorité des victimes de violence communautaire sont des hommes (71%). Tous types de violences confondus, les auteurs sont des hommes dans 80% des situations.

Les victimes de violence dans le couple sont 44% à ne pas envisager ou ne pas savoir si elles vont déposer plainte. Cette proportion est beaucoup plus faible pour ce qui concerne la violence communautaire (13%).