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Acquittement du médecin d’Exit qui a aidé une octogénaire en bonne santé à se suicider

L'ancien vice-président d'Exit, qui avait prescrit du pentobarbital à une femme en bonne santé, est acquitté en justice
L'ancien vice-président d'Exit, qui avait prescrit du pentobarbital à une femme en bonne santé, est acquitté en justice / 19h30 / 2 min. / le 20 février 2023
Pierre Beck a prescrit du pentobarbital à une épouse qui ne voulait pas survivre à son mari, gravement malade. Après des années de combat, ce médecin gagne en justice, révèle le Pôle Enquête de la RTS.

C’est une décision de justice, très attendue, qui pourrait faire date. Dans un arrêt du 6 février 2023, la Cour de justice genevoise acquitte le médecin Pierre Beck, ancien vice-président d’Exit Suisse romande, poursuivi pour avoir prescrit du pentobarbital à une octogénaire en bonne santé. Ce jugement met peut-être un point final au différend très médiatisé qui a opposé Pierre Beck et les tribunaux pendant plusieurs années.

En décembre 2021 (lire le rappel des faits ci-dessous), le Tribunal fédéral s’était penché sur cette affaire lors d’une audience publique. Il avait alors annulé la condamnation du médecin pour infraction à la loi sur les médicaments.

Pierre Beck n’avait pas été complètement blanchi pour autant. Le Tribunal fédéral avait renvoyé la cause à la Cour de justice genevoise pour qu’elle examine si une condamnation reposant sur la loi sur les stupéfiants demeurait possible.

>> Lire aussi : Pas de suicide assisté sans maladie, confirme la justice genevoise

Réglementation libérale

Dans son arrêt de 23 pages, le tribunal genevois précise que "la Suisse connaît une réglementation relativement libérale puisque l’assistance au suicide n’est punissable qu’en cas de mobile égoïste". Il rappelle également que le Conseil fédéral, mais aussi les Chambres, ont renoncé ces dernières années à une réforme du droit pénal.

Le tribunal consacre plusieurs pages à la loi sur les stupéfiants. Et son constat est limpide. A ses yeux, cette loi "n’a pas vocation à régler les conditions auxquelles un médecin peut prescrire du pentobarbital, puisque cette substance ne relève d’aucune indication médicale. Elle n’en interdit en particulier pas la prescription à des personnes en bonne santé, sous peine de sanction pénale".

>> L'interview de Bertrand Kiefer dans Forum:

Le médecin Pierre Beck acquitté pour avoir assisté une personne en bonne santé au suicide: interview de Bertrand Kiefer
Le médecin Pierre Beck acquitté pour avoir assisté une personne en bonne santé au suicide: interview de Bertrand Kiefer / Forum / 8 min. / le 20 février 2023

Examen poussé

Pour la Cour de justice, un médecin qui prescrit du pentobarbital a néanmoins l’obligation "d’examiner personnellement le patient". Dans le cas du docteur Beck, il ne lui est pas "reproché d’avoir failli" à cette obligation.

D’un point de vue pénal, Pierre Beck est donc acquitté. "Le seul fait pour un médecin de prescrire du pentobarbital à une personne en bonne santé, capable de discernement et désireuse de mourir, ne constitue pas un comportement réprimé par la loi sur les stupéfiants", écrit le tribunal.

>> Les précisions de Fabiano Citroni dans Forum :

Fabiano Citroni revient sur la décision de la Cour de justice genevoise d'acquitter l'ancien vice-président d'Exit
Fabiano Citroni revient sur la décision de la Cour de justice genevoise d'acquitter l'ancien vice-président d'Exit / 19h30 / 1 min. / le 20 février 2023

Recours du Ministère public?

Il précise toutefois que "l’absence de répression pénale s’agissant de la prescription de pentobarbital à une personne en bonne santé ne signifie pas qu’un médecin doit pouvoir le faire librement sans engager sa responsabilité civile ou administrative".

Un médecin doit ainsi "respecter les règles de sa profession". Or, en matière d’assistance au suicide, les directives de l’Académie suisse des sciences médicales, qui font référence, interdisent la prescription de ce psychotrope à des personnes en bonne santé. Le tribunal indique donc que le professionnel qui transgresse ces règles "s’expose à des sanctions disciplinaires qui peuvent s’avérer très lourdes".

Blanchi d’un point de vue pénal, Pierre Beck se dit soulagé par ce jugement. "Si j'étais à nouveau devant une dame qui a une souffrance aussi intense et qu'elle projette très concrètement de se suicider, je l'aiderais à nouveau pour lui permettre une mort douce et sans danger", dit-il au 19h30.

Mais il sait que sa victoire n’est peut-être pas définitive. Le Ministère public genevois a 30 jours pour porter l’affaire devant le Tribunal fédéral. Contacté, il n’a pas souhaité dire s’il comptait le faire.

Ludovic Rocchi et Fabiano Citroni

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Rappel des faits, en dates

  • 9 décembre 2015

Une femme alors âgée de 84 ans fait établir devant notaire une déclaration selon laquelle elle demande à l’association Exit de l’aider à mettre fin à ses jours. Elle dit: "Je ne pourrai supporter psychiquement la perspective de survivre à mon mari et prends dès lors les mesures qui s’imposent pour faire face à mon désarroi en cas de survie à mon mari. Je demande alors à Exit de me prêter assistance pour mettre fin à mes jours dans ce monde, sans délai." Son mari, à peine plus jeune qu’elle, est alors gravement malade.

  • 18 avril 2017

Mari et femme mettent fin à leurs jours en même temps en ingérant du pentobarbital prescrit par le médecin Pierre Beck, alors âgé de 71 ans et vice-président d’Exit. L’épouse se trouvait en bonne santé compte tenu de son âge et ne souffrait d’aucune maladie.

  • 19 décembre 2018

Par ordonnance pénale, c’est-à-dire sans procès public, le Ministère public genevois déclare Pierre Beck coupable d'infraction à l'article 86 alinéa 1 lettre a de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh). Pour le parquet, "le droit fédéral ne permet pas la prescription de pentobarbital par un médecin à une personne en bonne santé, comme l'était la défunte au moment des faits". Pierre Beck est condamné à 120 jours-amendes avec sursis.

  • 17 octobre 2019

Saisi par Pierre Beck, le Tribunal de police arrive à la même conclusion que le Ministère public genevois. Le médecin est déclaré coupable d’infraction à la loi sur les médicaments et les dispositifs médicaux et condamné à 120 jours-amendes avec sursis.

  • 20 avril 2020

La chambre pénale d’appel et de révision (le tribunal de deuxième instance) rejette l’appel de Pierre Beck, qui demande son acquittement, et confirme le jugement rendu par le Tribunal de police.

  • 9 décembre 2021

Saisi par Pierre Beck, le Tribunal fédéral (TF) admet son recours. Il considère que la remise de pentobarbital à une personne en vue de son suicide n’est pas couverte par la loi sur les médicaments. "Dans la configuration du suicide d'une personne en bonne santé, le pentobarbital n'est pas utilisé pour dépister, prévenir ou traiter une maladie. En ce sens, sa consommation ne résulte d'aucune indication médicale (...) Il apparaît sans conteste que pour un médecin, prescrire une substance létale à une personne en parfaite santé ne relève pas de l'état des connaissances médicales ou pharmacologiques, non plus que de la science, mais bien de l'éthique et de la morale", écrit le TF dans son arrêt.

Le Tribunal fédéral renvoie donc le dossier à la Chambre pénale d’appel et de révision afin qu’elle examine si une appréciation juridique reposant sur la loi sur les stupéfiants demeure possible.

  • 6 février 2023

La Chambre pénale d’appel et de révision acquitte Pierre Beck. Pour elle, la loi sur les stupéfiants "n’a pas vocation à régler les conditions auxquelles un médecin peut prescrire du pentobarbital, puisque cette substance ne relève d’aucune indication médicale".