Aujourd'hui, déambuler entre les rayons d'un supermarché ne terrorise plus Boris Gurtner, un jeune homme de 22 ans. Il y a cinq ans, cela relevait du supplice. A l'époque, il se pesait huit fois par jour et vivait sous l’emprise de son anorexie.
"Avant, si j'avais envie de prendre du chocolat ou même une glace, je faisais tout le détour pour éviter le rayon. Ça me rendait mal à l’aise", confie-t-il dimanche au 19h30 de la RTS.
Harcelé à l'école
Boris Gurtner est âgé d’à peine 15 ans lorsqu'il sombre dans l’anorexie. Harcelé à l’école secondaire, le Fribourgeois se renferme dans le fitness. Très vite, la perte de poids vire à l’obsession. "Mes parents préparaient un repas, que j'étais censé manger au travail. Mais je ne le mangeais pas, je le donnais à mes collègues". A la place, il achetait une boîte de thon et une boîte de haricots, qui lui duraient deux jours.
"L'anorexie déforme la vision qu'on a de nous. Dans le miroir, je me voyais toujours gros. Même en arrivant à 39 kilos, je me voyais encore gros", se souvient-il.
En hausse chez les hommes
Les hommes comme Boris Gurtner, qui souffrent de troubles du comportement alimentaire, seraient de plus en plus nombreux. Selon une étude britannique, entre 2016 et 2021, le nombre d’hommes hospitalisés a augmenté de 128%. Une hausse que les professionnels ressentent aussi en Suisse.
Même si chaque cas est unique, les spécialistes identifient une différence entre l'anorexie des hommes et celle des femmes. Alors que les femmes idéalisent la minceur, les hommes, eux, recherchent un corps musclé.
Muscles et carences alimentaires
Selon l'adjoint du Service psychiatrie des enfants et adolescents aux HUG, Dante Trojan, l'hyperactivité sportive est également dangereuse.
"D'un côté, il y a la recherche d’une musculation très intense et en même temps, il y a la restriction alimentaire de plus en plus forte. On voit que certains font recours à des stéroïdes anabolisants. En apparence, le corps est musclé, mais après on découvre que c'est un corps qui souffre, avec des carences alimentaires", explique-t-il.
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Maladie étiquetée "féminine"
Romain* n'est pas musclé. Ce jeune Vaudois a honte de sa maladie et préfère rester anonyme. Il vit son anorexie à travers son journal intime, qu'il accepte de nous ouvrir: "Je ne nie pas mon apparence squelettique qui me fait me haïr, je me trouve moche, malade et indésirable. Mon image me rabaisse, on me prend pour un gamin de 16 ans alors que j’en ai 7 de plus", lit-il devant la caméra.
Romain ne calcule ni calorie, ni quantité, mais c’est la qualité qui l’obsède. On appelle cela l’orthorexie, où quand la nourriture saine devient une obsession, jusqu’à ne peser que 47 kilos pour 1m73.
La société nous dit qu'un homme doit être fort et résistant. Oser dire qu'on a une maladie qualifiée de féminine est assez difficile à vivre.
Outre le mal qui ronge Romain, le fait que la maladie soit généralement décrite au féminin n'arrange pas l'estime qu'il a de lui: "Tous les livres mettent tout au féminin. Lors de mes passages au centre de jour qui traite de cette maladie, c'était difficile à vivre d'être le seul homme au milieu d'un groupe d'une vingtaine de filles. La société nous dit qu'un homme doit être fort et résistant. Alors oser dire qu'on a une maladie qualifiée de féminine est assez difficile à vivre", témoigne-t-il.
Plus difficile à diagnostiquer
Pour le corps médical, cette maladie est plus difficile à diagnostiquer chez les hommes. Elle est aussi plus difficile à accepter pour les proches. Sonia*, une mère de famille qui souhaite également rester anonyme, a été longtemps démunie. Elle a trouvé du soutien auprès de l'Association Boulimie Anorexie.
"C’est arrivé comme ça, petit à petit, sans qu'on ne le réalise", raconte-t-elle au sujet de son fils. "Parce qu'on a l’habitude de voir les garçons changer à cet âge-là. Le fait qu'il s’affine, ça arrive a plein d’ados. On ne pense pas à l’anorexie pour les garçons. On se demande pendant un certain temps si c'est réellement ce problème-là".
Lever un tabou
Selon la psychologue de l'Association Boulimie Anorexie Marie Leuba, le fait d'être un homme "ne complique pas le processus de guérison en soit, mais cela peut compliquer le temps d’oser en parler, d’oser demander de l’aide et de pouvoir accéder aux soins."
C'est justement pour lever le voile sur un tabou que Boris Gurtner a choisi d’en parler ouvertement. "Je me suis rendu compte qu'en parlant à une personne, ça fait un effet énorme. On se sent bien. On se sent léger. Mais dans le bon sens du terme, cette fois-ci."
*Prénoms d'emprunt
Sujet TV: Clémence Vonlanthen
Réalisation web: Feriel Mestiri