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Les "petites imprécisions" du Conseil fédéral sur les chiffres de l'AVS

Les affiches sur la réforme de l'AVS prolifèrent, ici à Genève, alors que la campagne bat son plein. [RTS - Cécile Denayrouse]
Les affiches sur la réforme de l'AVS prolifèrent, ici à Genève, alors que la campagne bat son plein. - [RTS - Cécile Denayrouse]
Le débat sur la réforme de la prévoyance vieillesse, qui projette d'augmenter l'âge de la retraite des femmes à 65 ans, fait des étincelles. Décryptage de la guerre des chiffres que se livrent les deux camps avant la votation du 25 septembre prochain.

"Cette histoire de démographie est une entourloupe, (...) les chiffres du Conseil fédéral sont mensongers." Ces accusations ont été portées dans l'émission Forum du 29 juillet par le président de l'Union syndicale suisse Pierre-Yves Maillard, qui combat vigoureusement la réforme AVS 21.

Il s'agissait du premier assaut dans cette campagne, où partisans et opposants s'affrontent à coup de chiffres. La RTS s'est plongée dans les données pour y voir plus clair.

Au coeur du débat: l'évolution démographique. Pour justifier sa réforme, le Conseil fédéral avance qu'il n'y aura bientôt plus assez d'actifs pour financer les retraites. "En 1948, on comptait en moyenne 6,5 personnes en âge de travailler pour 1 personne retraitée; en 2020, ce rapport est passé à 3,2 pour 1", écrit l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) dans sa documentation pour la votation.

Pierre-Yves Maillard conteste ces chiffres. Le socialiste vaudois affirmait dans Forum: "Au début de l'AVS, une bonne partie des femmes, soit la moitié de ces six prétendus actifs, n'étaient pas des salariées avec un revenu. Cela veut dire que le ratio d'actifs salariés par rapport à l'ensemble de la population est quasi stable."

Alors, qui a raison et qui a tort? Un peu les deux…

Aujourd'hui, tout le monde doit cotiser à partir de 20 ans jusqu'à l'âge de la retraite. Mais ce n'était pas le cas pour de nombreuses femmes en 1948, comme le dit justement Pierre-Yves Maillard. A l'époque, la loi exemptait notamment "les épouses d'assurés, lorsqu'elles n'exercent pas d'activité lucrative, ainsi que les épouses travaillant dans l'entreprise du mari, si elles ne touchent aucun salaire en espèces".

"Petite imprécision historique"

Pourquoi avoir choisi cet indicateur dans ce contexte? L'OFAS a répondu s'en servir pour "illustrer l'évolution démographique". Et d'ajouter: "La petite imprécision historique que vous mentionnez ne joue aucun rôle dans l'évaluation des perspectives financières de l'AVS".

Pour mieux refléter la situation en 1948, nous avons remplacé le nombre de personnes en âge de travailler par le nombre d'actifs dans la population. D'après nos calculs, la Suisse comptait à l'époque 5,5 actifs pour 1 retraité, contre 3,1 en 2020. Des chiffres plus faibles que ceux mis en avant par l'OFAS (6,5 et 3,2), mais qui confirment que le rapport s'est réduit (lire encadré sur la stabilité évoquée par Pierre-Yves Maillard).

Au final, les chiffres avancés par le Conseil fédéral ne sont pas "mensongers" – la population vieillit et la part des retraités augmente –, mais cet indicateur démographique ne tient pas compte des spécificités du financement de l'AVS, notamment de la situation des femmes. La comparaison avec 1948 s'avère ainsi pour le moins maladroite.

En fait, il n'est pas nécessaire de remonter si loin pour distinguer le défi démographique en Suisse. Ces 20 dernières années, la pyramide des âges des retraités n'a cessé de s'étendre à tous les étages, comme le montre notre infographie ci-dessous. Le nombre de bénéficiaires de l'AVS de 90 ans et plus a par exemple bondi de 83% depuis 2001 grâce à la hausse de l'espérance de vie.

Source des données: Statistique de l'AVS (OFAS)

L'avenir de l'AVS en question

Intimement lié à l'évolution démographique, le deuxième volet de la bataille se concentre sur la santé financière de l'AVS. Aujourd'hui, les comptes restent positifs. Mais jusqu'à quand? Là aussi, partisans et opposants s'étrillent sur les chiffres.

Selon les prévisions de l'OFAS, l'AVS deviendra déficitaire à partir de 2029. Si la réforme est acceptée, les hausses de la TVA et de l'âge de la retraite des femmes permettraient d'apporter deux ans de répit et de renflouer les réserves.

Des prévisions riches en imprévus

Selon les partisans d'AVS 21, ces perspectives montrent que l'avenir de la prévoyance vieillesse est en danger. Ils appellent à anticiper les déficits futurs. Les syndicats qualifient eux ces prévisions de "scénarios pessimistes qui ne se réalisent pas".

Qui a raison? Là, cela se complique.

L'OFAS ne vise pas toujours juste. Ses prévisions dépendent de nombreux facteurs, démographiques et financiers, difficiles à anticiper. Notamment:

- L'espérance de vie: celle-ci a connu un recul inédit en 2020 en raison du Covid-19. Va-t-elle reprendre sa progression sans interruption ces dix prochaines années?

- La bourse: la reprise des marchés boursiers en 2021 a surpris l'OFAS. Les rendements sur le capital de l'AVS ont été bien plus généreux qu'estimé: 1,7 au lieu de 0,8 milliard de francs.

- Les salaires: la récente croissance de l'emploi et des salaires a poussé l'Office à revoir ses prévisions en mai 2022. Les cotisations salariales devraient finalement rapporter près de 1,6 milliard de plus par année jusqu'en 2032.

Ces exemples récents ont soulagé les comptes de l'AVS. D'autres évènements, comme la guerre en Ukraine, fragilisent l'économie mondiale et rappellent qu'il n'existe aucune garantie, dans un sens ou dans l'autre.

Si le vieillissement de la population se poursuit, il apparaît presque indéniable qu'il faudra tôt ou tard adapter le financement de l'AVS. Mais, sans boule de cristal, il semble impossible de prévoir avec exactitude à quel moment ses chiffres passeront dans le rouge.

Valentin Tombez

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La part des actifs reste stable, mais...

Les chiffres évoqués ci-dessus examinent le rapport entre cotisants et retraités, en baisse. Pierre-Yves Maillard met lui en avant la stabilité du ratio entre les salariés et l'ensemble de la population. Celui-ci est effectivement resté stable ces dernières décennies, selon les données de l'Office fédéral de la statistique.

Le conseiller national vaudois souligne que le rapport de dépendance n'a pas changé au sein de la société. En d'autres termes, il y a toujours autant d'actifs (les salariés) pour financer les inactifs (les jeunes en formation, femmes et hommes au foyer ainsi que les retraités).

Sauf que, parmi la population inactive, il y a aujourd'hui beaucoup moins de jeunes qu'en 1948. La part des retraités, qui touchent une rente AVS, a elle bondi. L'indicateur cité par Pierre-Yves Maillard ne prend pas en compte cette évolution. Il apparaît ainsi également imprécis dans le cadre des discussions sur l'AVS.