Publié

Des montants parfois exorbitants demandés pour les amendes sur la route des vacances

Les amendes sur la route des vacances
Les amendes sur la route des vacances / Mise au point / 14 min. / le 17 juillet 2022
Rouler un peu trop vite pour atteindre son lieu de vacances peut coûter cher. Et pas question de déchirer la douloureuse! Il est désormais plus facile pour les polices étrangères d'obtenir l'adresse des contrevenants et des sociétés de recouvrement en profitent parfois pour réclamer des sommes exorbitantes.

Alors que les habituelles transhumances estivales ont débuté, nombre de Suissesses et de Suisses prennent la route du sud en avalant les kilomètres. Parfois un peu trop rapidement, volontairement ou non. Et même si des applications permettent de localiser les radars, certains flashs impromptus sont inévitables.

Interrogé dimanche dans Mise au point, Michel avoue que dépasser les limitations lui arrive fréquemment: "Je roule toujours au tempomat à 150 km/h, sauf dans les zones de travaux ou un peu à risque et, à force de faire le trajet, je connais un peu tous les radars." Et le retraité neuchâtelois ajoute que les amendes ne lui font pas peur: "Si on reçoit une amende, on ne paie pas!"

Mais est-il si facile de déchirer un amende reçue lors de vacances à l'étranger? Depuis 2007, les gendarmes français reçoivent automatiquement les adresses des plaques suisses en infraction dans l'Hexagone. Et ce sont au final plus de 140'000 contraventions qui ont été envoyées rien que l’année dernière depuis la France.

De tels accords d'échange de données en cas d'infraction existent entre la Suisse et la France, l'Autriche, l'Allemagne, l'Italie et le Liechtenstein. Concernant les autres pays, aucune collaboration n’existe à ce jour et les identités des détenteurs ne sont obtenues que dans les cas d’interception des véhicules par la police.

Une amende à près de 1000 francs

Christian et Noémie ont de leur côté choisi de payer les amendes. La première, d'une vingtaine d'euros, a été reçue en Suisse trois semaines après les vacances. "On a réglé via internet, c’est assez rapide et pratique avec la France", relate Christian. La seconde a été infligée en Espagne pour un stationnement au bord de la plage. Le couple a reçu un avis de passage sans coordonnées pour payer et a choisi d'aller directement régler à la gendarmerie les quelques euros qui étaient dus.

Deux affaires qui se terminent plutôt bien, ce qui n'est pas toujours le cas. Alessandra avoue par exemple que ses dernières vacances en Italie lui ont coûté cher. Si elle convient qu'elle a peut-être dépassé les limites de 130 km/h, elle assure ne jamais avoir flirté avec les 180 km/h. Et pourtant, de retour à la maison, elle a reçu un courrier sans photo ni précision, mais avec un montant mirobolant à régler: 982 francs, dont 200 rien que pour les frais.

Alessandra n’a aucun souvenir d’avoir été flashée. Et ce qui surprend encore plus cette Fribourgeoise d'adoption, c'est le courrier contenant l'amende: la facture est envoyée par Creditreform, une société de recouvrement lausannoise mandatée par l’Italie pour récupérer les amendes non payées.

"C'était une vraie facture suisse que l’on pourrait recevoir comme une autre facture", explique la jeune femme. Celle-ci est surtout choquée parce que le montant de l'amende est vraiment haut par rapport à celles qu'on peut recevoir en Italie et parce qu'aucune information n'est fournie: "Il n'y a que mon numéro de plaque et rien d’autre. Ni la vitesse, ni l’endroit ne sont spécifiés"

Menaces de poursuites

Dépitée, Alessandra décide de contacter la société pour contester, mais les réponses du service clients ne l'ont pas convaincue: "Comme j’ai dit que je n’allais pas payer l’amende puisqu’elle ne me semblait pas du tout normale, la personne m’a dit que j’avais deux semaines pour payer et que si je ne payais pas, je partais aux poursuites."

Effrayée à l'idée d'être mise au poursuite, Alessandra a payé l'amende dès le lendemain. "Je pense que leur but est de faire peur aux gens, de mettre la pression et de faire en sorte que les gens paient tout de suite pour avoir cette somme."

La Fédération romande des consommateurs (FRC) dit recevoir des dizaines d'affaires similaires chaque été. Et ses premiers conseils sont de ne pas se précipiter, de vérifier, de contester par écrit tous les frais additionnels et surtout de ne jamais céder aux menaces.

Un business très lucratif

Jean Tschopp, responsable conseil à la FRC, précise aussi immédiatement que "cette dame doit savoir que la société ne peut pas la mettre aux poursuites". En revanche, si elle retourne en Italie et si elle est arrêtée par la police, celle-ci va voir qu’elle a déjà commis une infraction auparavant. Elle peut lui demander de régler l'amende sur-le-champ et aussi séquestrer son véhicule.

Ces sociétés de recouvrement joueraient donc la carte du culot dans ses contacts avec la clientèle? Pour Jean Tschopp, c'est là une lacune de notre système: "Il n’y a pas aujourd'hui une surveillance indépendante des sociétés, ce qui induit toute une série d’abus qui peuvent dans certains cas gonfler la facture jusqu'à deux, trois ou quatre fois le montant de départ."

Le responsable conseil à la FRC dénonce ainsi un "business extrêmement lucratif pour les sociétés actives dans ce domaine" et demande l'instauration d'une surveillance indépendante de ce qui se passe dans ce secteur d’activités.

Des premiers courriers "trop gentils"

Envoyer balader ces sociétés est aussi possible. Michele l'a fait après avoir reçu une lettre de Creditreform pour une infraction commise il y a plus de 5 ans en Italie: on lui demandait 78 euros pour un dépassement de vitesse de 2 km/h. "Et là, la société de recouvrement me demande 460 francs pour régler une amende que j’ai déjà payée, c'est absurde."

En fouillant dans ses papiers, ce Genevois a retrouvé la preuve de son paiement, qu'il a envoyée à Creditreform, mettant fin à ses soucis, mais pas à sa colère: "C’est malhonnête parce que c’est trop facile dans ces administrations de renvoyer à tort et à travers beaucoup de factures payées ou pas payées pour tomber sur quelqu'un qui malheureusement n'a plus la preuve et lui faire payer ses factures à double."

Creditreform n'a pas répondu aux sollicitations de la RTS, contrairement à NIVI Group SpA, une société de recouvrement active en Suisse romande. Sa direction siège à Florence mais son avocat opère depuis Lugano pour récupérer les amendes non réglées chez les conducteurs suisses.

Son président Luigi Nicosia se défend d'utiliser des méthodes trop agressives: "Nous nous contentons d’envoyer un premier courrier de rappel, puis un second. Ces deux premiers courriers envoyés par Nivi sont même trop gentils! Je sais que c’est un travail antipathique mais il faut bien que quelqu'un le fasse, et nous, on le fait du mieux possible."

Mais comment expliquer des amendes qui passent du simple au quadruple avec des frais importants? Luigi Nicosia est affirmatif: "Quand vous vous rendez responsables d’un défaut de paiement, selon l’article 176 de la loi, c’est à vous qu’incombe les frais, car c’est vous qui avez causé le dommage. Et si en tant que mandataire de l’autoroute je ne faisais rien, cela n’irait pas, car je donnerais une impression d'impunité. En ce qui concerne les honoraires de notre avocat suisse, ils me semblent très bas par rapport aux tarifs que je connais. Ces honoraires ont été précisément convenus pour ne pas donner l'impression de profiter de la situation."

Une pratique inadmissible

Jacques Roulet et son cabinet d’avocats spécialistes de la route se battent contre les sociétés privées utilisées par l'Italie. Le dernier cas en date qu'il a dû gérer est une facture de 214 francs adressée par la société Nivi pour un péage non réglé. Sa cliente affirme ne jamais être allée sur l’autoroute en question.

Simple erreur de plaque ou arnaque délibérée, la pratique interpelle. Pour Jacques Roulet, "c'est une pure violation de toutes les règles de droit: si un Etat étranger veut poursuivre, il faut passer par l’entraide internationale ou par les accords de collaboration. Mais si on a des pays qui utilisent des sociétés de recouvrement, on est en pure violation du droit."

En conséquence, ce spécialiste estime qu'il ne faut pas donner suite et surtout pas céder à ces menaces de frais qui s’accumulent. C'est "tout à fait inadmissible", conclut-il.

Reportage TV: Cécile Tran-Tien

Adaptation web: Frédéric Boillat

Publié

En Suisse, il est difficile de faire payer les étrangers

En Suisse aussi, obtenir le paiement des amendes de ressortissants étrangers est un casse-tête pour les régions touristiques. A Gruyères, haut lieu touristique du canton de Fribourg, quelque 30 à 40 amendes sont distribuées par jour et toutes ne seront pas payées.

Selon les derniers chiffres du canton de Fribourg, les ressortissants français et allemands sont de loin les étrangers qui reçoivent le plus d'amendes et ils sont plutôt bons payeurs: 78% des Français et 82% des Allemands règlent leurs amendes. Un chiffre qui chute pour les Portugais, les Roumains ou les Anglais, qui ignorent plus d'une amende sur deux.

Neuchâtel évoque de son côté quelque 20'000 amendes infligées à des Français en 2021, qui ont été payées à 80%. Un chiffre qui tombe à 70% pour les Italiens, 50% pour les Allemands et 20% pour l'ensemble des autres nationalités. Des chiffres similaires sont annoncés dans les cantons de Genève et de Berne.

Pour espérer être payée, la police distribue des amendes avec les coordonnées IBAN. Les étrangers peuvent ainsi s'acquitter des factures plus facilement qu'avec des bulletins de versement suisses. Cela peut s'effectuer par internet et de retour à la maison, sans passer par des postes de police en Suisse.

Pour traquer les mauvais payeurs, le syndic de Gruyères Jean-Pierre Doutaz a toutefois décidé de montrer les muscles et a fait appel à une société de recouvrement. Mais il avoue que la récolte d'argent est bien maigre. La commune a donc décidé de retrouver elle-même les adresses des conducteurs belges, français et allemands pour se passer au maximum de la société de recouvrement.