Le Tessin, un canton en mutation

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Introduction

Le Tessin n'est pas toujours bien connu des Romands. Tourisme, transports, innovation, cette région périphérique est pourtant en pleine mutation. Le 19h30 vous propose donc un coup de projecteur en trois épisodes sur ce canton qui bouge et se développe. Avanti!

Chapitre 1
Le tourisme

Le Tessin a connu un boom touristique impressionnant pendant la pandémie. En 2021, le nombre de nuitées dans les hôtels du canton a connu une hausse de plus de 50% par rapport à l'année précédente. Avec près de trois millions de nuitées, les niveaux pré-Covid ont été largement dépassés.

Cette explosion du nombre de nuitées s'explique surtout par un afflux de touristes suisses. Habitués des lieux, les hôtes alémaniques ont été rejoints par une nouvelle clientèle - beaucoup de Romands et des jeunes - empêchée de se rendre à l'étranger en raison des restrictions sanitaires.

Mais depuis la réouverture quasi complète des frontières ce printemps, le nombre de nuitées repart à la baisse. Pour cet été, la chute devrait être de 25% par rapport à 2021, selon les projections de l'institut BAK Economics. Le tourisme tessinois est en pleine mutation et les acteurs réfléchissent à de nouvelles offres.

Julien Guillaume, correspondant au Tessin, expose les mutations du tourisme dans ce canton
19h30 - Publié le 27 juin 2022

Dans le Val Verzasca, le revers de la médaille

A Ascona, fleuron du tourisme tessinois au bord du lac Majeur, les hôtels n'affichent plus complets. Des commerçants regrettent le boom de l'an passé, à l'instar d'Elisena Candeloro. Cette gérante de bar estime que le secteur doit se réinventer: "Il faut proposer quelque chose de nouveau, sinon les gens s'ennuient. Si on offre plus d'événements pour les jeunes, les touristes suisses vont sûrement revenir."

Dans le Val Verzasca, le boom touristique a débuté avant le Covid. Mais pendant la pandémie, cet endroit, surnommé "les Maldives du Tessin", a été véritablement pris d'assaut. Ce succès provoque aussi des nuisances, notamment en termes de trafic le long des petites routes sinueuses de la vallée.

Pour les autorités communales, la situation est devenue intolérable. Elles ont interpellé le canton pour freiner le flot de voitures. La piste d'une vignette est, par exemple, évoquée. Plus généralement, le syndic Ivo Bordoli déplore un tourisme de passage "qui ne laisse rien". "Nous aurions besoin de touristes qui consomment dans les restaurants ou qui passent quelques nuits ici", relève-t-il.

La détox numérique, nouvelle offre de niche

Pour diversifier son secteur touristique, le Tessin se profile aussi avec de nouvelles offres de niche comme la détox numérique. Dans le Val Bavona, dans l'ouest du canton, on remonte 500 ans en arrière: un paysage de granit, des hameaux typiques, pas d'électricité. Devenue un gigantesque musée à ciel ouvert, cette vallée alpine attire des touristes à la recherche d'un monde perdu.

Cette stratégie ne fait pas l'unanimité parmi les habitants du Val Bavona. Ecrivain et restaurateur à Foroglio, Martino Giovanettina plaide pour un développement de l'offre touristique. "Quand on plonge dans le passé, c'est aussi dangereux", estime-t-il. "Ce danger de la muséification, à long terme, ça signifie la mort de la montagne."

Entre choyer les habitués, fidéliser les touristes venus grâce à la pandémie et cibler de nouveaux clients, le Tessin cherche le bon accord.

Le Tessin cherche à développer de nouvelles offres touristiques
19h30 - Publié le 27 juin 2022

Chapitre 2
Les transports

Depuis un peu plus d'un an, le Tessin vit une révolution en matière de transports publics. La mise en service du tunnel ferroviaire du Ceneri a permis de diviser par deux les temps de parcours entre les villes du canton. Désormais, le train est plus rapide que la voiture et de plus en plus de pendulaires choisissent ce moyen de transport.

Ces dernières années, le Tessin a massivement investi dans les liaisons de bus et de trains. L'offre a bondi de 50%. Pour les autorités, il reste en revanche plus difficile de développer les transports publics avec l'Italie voisine. Pourtant, pas moins de 75'000 frontaliers viennent chaque jour travailler dans le canton.

Une offre transfrontalière insuffisante

"Les frontaliers ne sont pas le problème prioritaire pour les politiciens de Lombardie", explique Martino Colombo. "La frontière signifie qu'il y a des règles différentes et des mentalités parfois différentes. Trouver des solutions au Tessin ou trouver des solutions avec les Italiens, c'est un travail très différent", ajoute le directeur de la Division de la mobilité du canton.

Faute de transports publics performants - en particulier des bus reliant le Tessin à l'Italie - les frontaliers se rabattent le plus souvent sur la voiture. L'autoroute A2 entre Mendrisio et Lugano est empruntée par 75'000 véhicules par jour. Matin et soir, c'est le chemin de croix pour les automobilistes coincés dans les embouteillages. Mais ce sont les riverains qui souffrent le plus du trafic.

Une troisième voie pour l'A2

Dans le village de Maroggia, Igor a grandi à côté de l'autoroute. Le bruit, il connaît. Aujourd'hui, il critique le manque d'investissements de la Confédération dans cette artère: "Depuis les années 1980, plus rien n'a été fait ici. Les parois antibruit sont toujours les mêmes. Il n'y a pas de revêtement phonoabsorbant". "Nous avons été oubliés", déplore-t-il.

Mais les choses devraient bientôt changer. Pour décongestionner le trafic dans la région, la Confédération projette une troisième voie dynamique - en utilisant la bande d'arrêt d'urgence sur le modèle de ce qui se fait dans la région Morges - sur l'A2 dans le sud du canton. La mise en service est prévue en 2035.

Ces dernières années, le Tessin a investi massivement dans la mobilité afin de développer un réseau de transports publics. Reportage.
19h30 - Publié le 28 juin 2022

Chapitre 3
L'innovation

Quand on pense au Tessin, on pense au soleil et aux vacances. Mais le canton a bien d'autres atouts. Ces dernières années, les centres de recherche et les startups de pointe se sont beaucoup développés au sud des Alpes, à tel point que certains voient dans le Tessin une nouvelle "petite Silicon Valley".

Aujourd'hui, le Tessin est en effet l'une des régions considérées comme les plus innovantes d'Europe. Il figurait l'an dernier au huitième rang (sur 240) du Regional innovation scoreboard, un classement mis en place par la Commission européenne. La région se classe juste derrière Zurich (5e), mais devant la région lémanique (20e).

Biotechnologie, intelligence artificielle et robotique

"Le niveau scientifique qu'on a ici, dans notre secteur, est extrêmement élevé", souligne Filippo Riva, le directeur général de Humabs BioMed. Basé à Bellinzone, ce laboratoire, filiale de Vir Biotechnology, développe des traitements médicaux de pointe contre le Covid ou Ebola, par exemple.

L'entreprise bénéficie de la main-d'oeuvre très qualifiée de l'Italie du Nord, mais aussi du fort développement de la recherche biomédicale au Tessin. "Il y a énormément de publications scientifiques de très haut niveau et les chercheurs qui travaillent ici sont probablement dans le top 5 au niveau mondial", soutient Filippo Riva.

Lugano n'est pas en reste. La ville compte depuis peu un nouveau campus abritant, entre autres, la Faculté d'informatique et la Faculté de sciences biomédicales de l'Université ainsi que le Département des technologies innovantes de la Haute école spécialisée du Tessin (SUPSI). Les domaines de recherche sont nombreux, de l'intelligence artificielle aux drones en passant par la robotique.

"Un atout important, c'est le fait que nous sommes positionnés sur l'axe nord-sud de l'Europe", note Emanuele Carpanzano, directeur de recherche à la SUPSI. Le Tessin, à mi-chemin entre Zurich et Milan, est selon lui "une aire stratégique très importante" au niveau urbain et économique. "Cela crée des conditions favorables pour l'attractivité."

La fuite des cerveaux se poursuit

Toutefois, malgré le boom de l'innovation, le Tessin peine toujours à retenir ses jeunes qualifiés. Ceux-ci sont même de plus en plus nombreux à traverser les Alpes. L'écart entre les arrivées et les départs vers les autres cantons ne cesse de se creuser depuis le milieu des années 2000. En 2020, le Tessin a ainsi perdu plus de 700 jeunes de 20 à 39 ans, montrent les chiffres de l'office de la statistique cantonal.

Etudiante à l'Ecole polytechnique de Zurich, Sophie Davies fait partie de ces jeunes qui se sont exilés. Un choix dicté par sa spécialisation en sciences de l'alimentation, qui n'existe pas au Tessin. Mais ce n'est pas la seule raison, confie-t-elle: "Je voulais aller dans une grande ville alémanique - Zurich, Saint-Gall ou Bâle. J'étais déterminée à quitter mon canton."

Objectif: le retour des jeunes

Les autorités veulent désormais convaincre les jeunes diplômés de revenir en valorisant le nouveau visage du Tessin. "Le défi, c'est d'expliquer la dynamique du canton, son économie. Il y a eu une évolution très importante dans les dernières années et c'est pour ça qu'on est en train d'investir pour faire connaître ce Tessin", affirme Stefano Rizzi, le directeur de la Division de l'économie.

Le canton a notamment mis en place des programmes d'information et de stages à l'intention des jeunes Tessinoises et Tessinois expatriés. Avec pour ambition de continuer à faire prospérer l'innovation au sud des Alpes.

Les centres de recherche et start-ups se multiplient au Tessin, à tel point que certains y voient une "petite Silicon Valley"
19h30 - Publié le 29 juin 2022