Le 26 mai dernier, la Suisse a décidé d'interrompre les négociations sur l'accord-cadre. [Keystone/EPA - François Walschaerts]
Publié

Les partis face à l'Europe, après l'abandon de l'accord-cadre

Quelle stratégie doit adopter la Suisse face à l'Union européenne, après le rejet de l'accord-cadre le 26 mai dernier? C'est la question que l'émission Forum a posée aux grands partis politiques. Les six groupes parlementaires exposent leurs solutions.

Le Centre

Sur la question européenne, le Centre (anciennement le PDC) cumule tous les avis et tous les clivages dans un dossier majeur de la politique suisse.

Le président Gerhard Pfister est l'un des plus virulents critiques de l'accord-cadre. Originaire du canton de Zoug, il reflète un Centre des champs, assez éloigné de celui des villes.

Des zones frontalières telles que Bâle et Genève commercent beaucoup avec l'Union européenne et leurs représentants du Centre défendent cet accès au marché transfrontalier. Certains sont même adhésionnistes. C'est le cas du conseiller national genevois Vincent Maitre, également vice-président le mouvement pro-européen du NOMES. Or, selon lui, une adhésion n'est pas dans l'air du temps. Le problème: l'Union européenne a mauvaise réputation. Une responsabilité qui revient en partie à son propre camp, admet encore Vincent Maitre.

Quant au PBD, qui a récemment intégré le Centre, sa tendance europhile n'a pas fait pencher la balance.

L'adhésion à l'Espace économique européen est une des options qu'il faudra réanalyser

Charles Juillard

"Nous avons besoin d'un accord et nous avons besoin de relations bilatérales avec l'Union européenne. Mais pas à tout prix", estime Charles Juillard, vice-président du Centre.

Quelles solutions pour maintenir les relations avec l'UE? "L'adhésion à l'Espace économique européen (EEE) est une des options qu'il faudra réanalyser". Pas question, en revanche, de parler d'adhésion à l'Union.

>> Les explications de Muriel Ballaman, suivies de l'interview de Charles Juillard, vice-président du Centre :

Les partis face à l'Europe, le grand écart du Centre: interview de Charles Juillard
Les partis face à l'Europe, le grand écart du Centre: interview de Charles Juillard / Forum / 11 min. / le 6 juin 2021

Le PLR

A l'instar du Centre, le PLR rejette l'idée d'une adhésion à l'UE. Sa présidente Petra Gössi l'a encore répété récemment sur SRF. La Schwytzoise a également balayé l'option de rejoindre l'Espace économique européen (EEE).

Cette solution trouve toutefois quelques alliés chez les libéraux-radicaux, même si, selon une majorité du parti, le chemin à suivre reste encore et toujours la voie bilatérale.

Le PLR veut en effet rendre le pays plus attractif, économiquement, mais aussi dynamiser les accords bilatéraux avec l'UE. Son idée: convaincre l'Union de discuter le "renouvellement de certains accords", notamment dans les domaines techniques, ainsi que dans la recherche et l'éducation.

Ici, le PLR parle d'une "dynamisation limitée des bilatérales", soit une approche où la Suisse exigerait de l'UE aucune mesure de rétorsion. En contrepartie, Berne verserait le milliard de cohésion.

"On est d'accord de le libérer à condition que l'Union européenne entre en matière pour une amélioration des relations bilatérales avec la Suisse. Il y a des solutions qui doivent être trouvées dans l'intérêt des deux parties", explique le vice-président du parti Philippe Nantermod.

Adhérer à l'EEE signifierait une énorme perte de souveraineté pour la Suisse

Philippe Nantermod

Le Valaisan se montre sceptique sur une adhésion à l'EEE: "C'est un accord-cadre beaucoup plus large que nous avions jusqu'ici. C'est l'obligation d'adapter à peu près toutes les lois qui régissent notre système économique au droit européen. C'est vrai que la contrepartie, c'est-à-dire l'adhésion à un marché européen, peut être très avantageuse. Mais on perdrait énormément de notre souveraineté."

>> Les explications de Marc Menichini, suivies de l'interview de Philippe Nantermod, vice-président du PLR :

Les partis face à l'Europe, le PLR: interview de Philippe Nantermod
Les partis face à l'Europe, le PLR: interview de Philippe Nantermod / Forum / 8 min. / le 7 juin 2021

Les Vert'libéraux

Les Vert'libéraux font figure de grands europhiles de la politique suisse. La formation plaide d'une seul voix pour une relation solide avec l'Union. Elle a toujours défendu clairement l'accord-cadre et le considère d'ailleurs encore comme la meilleure option.

Mais le faire renaître de ses cendres est peu probable. Du coup, ils envisagent désormais l'adhésion à l'Espace économique européen.

Le président Jürg Grossen tient le PLR pour responsable de l'échec de l'accord-cadre. Dans les colonnes des journaux de Tamedia, il estime aussi que le PS s'est laissé entraîner par les syndicats et que les critiques acerbes du président du Centre Gerhard Pfister ont fait des dégâts dans l'opinion publique.

Paradoxalement, l'abandon de l'accord-cadre est aussi l'occasion de se démarquer pour les Vert'libéraux. Toujours un peu dans l'ombre des Verts sur les questions écologiques et dans l'ombre du PLR sur les sujets économiques, ils vont pouvoir mettre en avant cet ADN europhile.

On veut des relations beaucoup plus étroites avec l'Union européenne

Tiana Moser

Tiana Moser, cheffe du groupe parlementaire des Vert'libéraux, ne plaide pas pour autant pour une adhésion à l'UE: "Je suis sceptique. On a clairement une position en faveur de l'accord-cadre, la voie bilatérale et on est ouvert à l'EEE. On veut des relations beaucoup plus étroites avec l'Union européenne."

>> Les explications de Marielle Savoy, suivies de l'interview de Tiana Moser, :

Tiana Angelina Moser. [RTS]
Les partis face à l'Europe, les Vert'libéraux: interview de Tania Angelina Moser / Forum / 9 min. / le 8 juin 2021

L'UDC

Si les Vert'libéraux sont le parti le plus europhile, l'UDC est le plus europhobe. Il a une ligne claire, la même depuis 1992. Pour l'UDC, la seule relation possible avec l'Union européenne, c'est une relation économique: oui à la libre circulation des biens, des services et des capitaux, non à toute forme de relation institutionnelle.

En vue des fédérales de 2023, le parti pourrait tenter de capitaliser sur la décision du Conseil fédéral, en essayant de montrer que c'est grâce à lui que le gouvernement a renoncé. L'UDC a d'ailleurs prévu une grande fête le 26 juin.

Mais en réalité, l'UDC se voit retirer son sujet "phare". Il perd son fonds de commerce, très mobilisateur. Il ne souhaite toutefois pas remettre sur la table la question de la libre circulation, après le récent oui du peuple à cette thématique.

Le parti va être forcé de se positionner par rapport aux propositions des autres formations politiques. Mais ce ne sera plus forcément lui qui décidera de l'agenda.

Un accord institutionnel signifierait la mort de notre démocratie directe

Marco Chiesa

"Si l'agenda est d'avoir de bonnes relations avec l'Union européenne, des relations commerciales, on est prêts à faire cela. Le problème, c'est l'accord-cadre. Avec un accord institutionnel, ce n'est pas le peuple qui décide de son futur, mais les juges européens. C'est la mort de notre démocratie directe", affirme Marco Chiesa, président de l'UDC.

Quelles stratégie pour pérenniser les relations avec l'UE? "On a des dossiers qui sont ouverts. Il faudra trouver des solutions", dit-il. Et de citer les domaines de la recherche et de l'énergie électrique.

>> Les explications de Camille Degott, suivies de l'interview de Marco Chiesa, président de l'UDC :

Les partis face à l'Europe, l'UDC: interview de Marco Chiesa
Les partis face à l'Europe, l'UDC: interview de Marco Chiesa / Forum / 7 min. / le 9 juin 2021

Le Parti socialiste

Le PS, lui aussi, est divisé sur la question européenne. On y trouve les positions les plus europhiles qui prônent une adhésion rapide, aux plus sceptiques, du côté des syndicats en particulier. Un grand écart similaire à celui chez le PLR et le Centre, entre les "euroturbos" et ceux qui ont tiré le frein à main.

Reste que l'adhésion à l'Union européenne figure toujours au programme du PS. Cette proposition a d'ailleurs été remise sur la table par le parti qui estime que des négociations en ce sens ne doivent pas être un tabou. Il y adjoint quelques garde-fous, telle que la protection des salaires et du service public.

Adhérer, tout en excluant la reprise d'une partie du droit européen. Ce qui revient aux écueils de l'accord-cadre. Du coup, en-dehors du parti, on peine à comprendre la démarche. "La gauche doit gérer ses contradictions", lâche par exemple une élue vert'libérale.

La seule solution sur le long terme serait une participation politique de la Suisse aux prises de décisions européennes

Cédric Wermuth

"L'échec de l'accord-cadre [...] est étroitement lié à la question de savoir si la Suisse peut participer aux décisions politiques prises au niveau européen. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas et la seule solution, sur le long terme en tout cas, ce serait une participation politique de la Suisse aux prises de décisions au Parlement", explique Cédric Wermuth, coprésident du PS Suisse.

Pour lui, rien ne presse cependant. "Pour le PS c'est clair, ce n'est pas l'étape qui est à prendre directement maintenant, nous avons ouvert un processus à l'interne pour discuter des différentes propositions et positions qui existent au sein du parti."

>> Les explications de Marie Giovanola, suivies de l'interview de Cédric Wermuth, coprésident du PS :

Les partis face à l'Europe, le PS: interview de Cédric Wermuth
Les partis face à l'Europe, le PS: interview de Cédric Wermuth / Forum / 9 min. / le 10 juin 2021

Les Verts

Les Verts suisses aiment rappeler qu'il ont cofondé les Verts européens en 2004, ce qui prouve selon eux que le thème "Europe" les a toujours mobilisés.

Les écologistes se sont toutefois aussi affichés de manière critique face à davantage d'intégration, notamment en 1992 à l’égard de l’Espace économique européen. De nombreux Verts l'avaient alors rejeté, pointant un déficit démocratique et un primat de l’économie.

Dans les années 2000, les Verts prônent un "Oui, mais" à l’Union, c'est-à-dire une adhésion avec toute une série de conditions: davantage de démocratie, de protection de l’environnement et de solidarité.

Moins divisés que les socialistes sur la question, les Verts connaissent tout de même quelques divergences. Il y a ceux qui rêvent de l'adhésion à l'Union européenne, et ceux qui rêvent encore de sauver l'accord-cadre, convaincus que cela reste la meilleure solution.

Nous avons toujours demandé d'agir et de penser plus globalement, donc l'Europe fait partie de notre ADN

Nicolas Walder

Nicolas Walder, vice-président des Verts suisses, est lui convaincu de la nécessité d'adhérer à l'Union européenne. "Nous sommes foncièrement pro-européens. Nous avons toujours demandé d'agir et de penser plus globalement, donc l'Europe fait partie de notre ADN."

"Nous étions en effet un peu dubitatifs avec l'Europe purement économique, qui était l'Europe des années 80-90, une Europe qui visait avant tout à faire un grand marché. Aujourd'hui, l'Union européenne change, elle est en train de consolider les liens, elle devient beaucoup plus sociale et humaine. Donc nous, nous souhaitons clairement entrer dans cette Union européenne."

>> Les explications de Marie Giovanola, suivies de l'interview de Nicolas Walder, vice-président des Verts :

Les partis face à l'Europe, les verts: interview de Nicolas Walder
Les partis face à l'Europe, les verts: interview de Nicolas Walder / Forum / 6 min. / le 11 juin 2021