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Nils Melzer: "la définition de la loi contre le terrorisme est beaucoup trop large"

L'invité de La Matinale (vidéo) - Nils Mezler, rapporteur spécial de l'ONU sur la torture
L'invité de La Matinale (vidéo) - Nils Mezler, rapporteur spécial de l'ONU sur la torture / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 11 min. / le 5 mai 2021
Le 13 juin, la population suisse votera sur la nouvelle loi contre le terrorisme. Cette dernière entend permettre à la police d'intervenir de manière préventive à l'encontre d'individus soupçonnés de représenter une menace. Pour Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, la définition du terrorisme est trop large dans ce texte et permettra des dérives.

Ces dernières années, l'Europe a connu de graves vagues d'attentats. Si la Suisse a semblé jusqu'alors particulièrement épargnée, les attaques au couteau de Morges et de Lugano en 2020 ont démontré que le pays n'était pas à l'abri de ce phénomène.

C'est dans ces conditions que le Conseil fédéral et le Parlement ont décidé de modifier la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT). Ces changements permettraient de donner de nouvelles prérogatives à la police. Cette dernière pourrait agir de manière préventive et forcer un individu soupçonné à se présenter à un poste de police de manière régulière, à être interdit de sortir du territoire ou encore à être assigné à résidence.

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"Une définition beaucoup trop large"

Invité de La Matinale mercredi, Niels Melzer, avocat mais aussi rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, tient tout d'abord à souligner l'importance qu'il faut donner aux dangers liés au terrorisme.

"Le terrorisme est le vrai danger. En travaillant sur le terrain pour la Croix-Rouge internationale, j'ai perdu des collègues à cause du terrorisme. Je suis donc bien conscient du danger", explique-t-il.

Pour autant, le Zurichois estime que pour "combattre un ennemi", il est est essentiel de le connaître et donc de le définir, ce qui d'après lui, n'est pas le cas dans cette loi: "la définition de la loi est beaucoup trop large, beaucoup trop floue", juge-t-il.

Et de préciser: "La loi utilise les mêmes éléments que dans les autres pays démocratiques. A savoir la motivation politique, le crime violent et la propagation de la crainte. Mais dans les autres pays, ce sont des éléments qu'il faut cumuler pour être soupçonné. Dans cette loi, un seul de ces éléments suffit".

Risque de dérives

Pour Nils Melzer, c'est donc cet aspect spécifique de la loi qui pose problème et permet d'ouvrir la porte aux dérives en touchant des personnes qui n'ont rien à voir avec le terrorisme au sens où on l'entend.

"L'élément de la loi qui évoque un crime avec une motivation politique ne pose pas de problème mais la diffusion de la terreur est un concept très flou. Si on alerte le public et qu'on lui dit que si l'ordre politique ne change pas, l'environnement va souffrir et nous allons tous mourir, est-ce une propagation de la crainte ou non?"

Trop de liberté aux autorités

Si le rapporteur pour l'ONU concède que l'intention des autorités n'est sans doute pas de s'en prendre à des personnes qui n'ont pas de liens avec le terrorisme, il estime que cette loi donne des outils dangereux qui pourraient continuer à être appliqués dans une situation politique bien différente. "C'est très bien de faire confiance aux autorités mais malheureusement, si on donne trop de liberté aux autorités, avec le temps et si la situation politique change, ils pourront profiter de cette liberté pour en abuser", dénonce-t-il.

"Nous sommes dans un Etat de droit, mais si on commence à faire de mauvaises lois, la situation peut changer (...) Pour prendre un exemple très dramatique, qui ne se compare évidemment pas dans sa dimension, l'Allemagne était une démocratie avant qu'une loi donne trop de puissance à Hitler", conclut-il.

Propos recueillis par David Berger

Adaptation web: Tristan Hertig

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