Publié

Alain Bolle: Des personnes en Suisse "à la limite de la crise humanitaire"

L'invité de La Matinale - Alain Bolle, directeur de la section genevoise du CSP (vidéo)
L'invité de La Matinale - Alain Bolle, directeur de la section genevoise du CSP (vidéo) / La Matinale / 12 min. / le 29 décembre 2020
De nombreux observateurs et études ont signalé que la pandémie avait accentué la précarité à travers le monde. Et la Suisse romande n'est pas épargnée, d'après le directeur de la section genevoise du Centre social protestant (CSP) Alain Bolle.

Il y a quelques mois, en pleine première vague de la pandémie, les images de files d'attente pour obtenir une aide alimentaire à Genève, l'une des villes les plus riches de la planète, ont mis en lumière une précarité qui était jusqu'à présent largement invisibilisée.

Selon Alain Bolle, la pandémie a également fait exploser le nombre de demandes d'aides alimentaires à Genève. Avant mars 2020, ils et elles étaient 1600 bénéficiaires.

Or, durant la semaine du 7 au 12 décembre, pas moins de 4200 colis d'aide alimentaire ont été distribués pour quelque 6750 bénéficiaires. Un nombre qui a plus que doublé par rapport à la situation de juin (3100 bénéficiaires).

Pour un certain nombre de personnes en Suisse romande confrontées à de grosses difficultés, "on est à la limite d'une crise humanitaire", estime Alain Bolle. "34% des Suisses ont vu leur revenu baisser", indique-t-il, et cette crise, dont "personne n'avait imaginé l'ampleur", va même pour les plus précaires "jusqu'au risque de perte du logement".

>> Lire : La pandémie entame l'optimisme financier des Suisses pour 2021

"Il y a un volet de cette précarité qu'on connaissait très bien"

Depuis le précédent conflit mondial, "on ne se souviens pas d'avoir vécu une pareille crise et une hausse de la pauvreté aussi importante en Suisse".

Mais si la crise a constitué une mise en lumière "particulièrement insupportable, étonnante" qui a mobilisé les journalistes jusqu'au New York Time, le CSP connaissait déjà cette situation, "à l'exception peut-être des sans-papiers, jusqu'alors très discrets", explique Alain Bolle.

"On en parle très régulièrement", rappelle-t-il. Le CSP a d'ailleurs porté un regard critique sur les programmes fédéraux de lutte contre la pauvreté, jugés "totalement insuffisants". "Les réponses n'ont pas été à la hauteur des engagements d'Alain Berset", estime le travailleur social, car ce sont les cantons qui sont responsable de l'application de ces mesures, "chacun à la hauteur de ses moyens, et donc les réponses sont très diverses".

Faciliter l'accès aux prestations

Par ailleurs, de nombreuses personnes en situation précaire ne sont pas informées qu'elles ont droit à des aides sociales. À Genève, "une étude a montré que 80% des personnes étaient en situation de non-recours", explique Alain Bolle, ce qui a conduit la ville à mettre en place un bureau de l'information sociale.

Par ailleurs, les personnes titulaires d'un permis B sont particulièrement vulnérables, malgré les garanties de la part de la Confédération et des cantons. "Quand on vous explique pendant des années qu'il ne faut pas aller pousser la porte de l'aide sociale, le jour où on vous dit qu'il n'y a plus de risque, vous avez de la peine à y croire", détaille le responsable du CSP.

Employeurs "étonnés" d'être tenus par le droit du travail

Une grande part des travailleurs et travailleuses titulaires d'un permis B ou sans statut légal travaillent en tant qu'employés de maisons. Or, ces personnes n'ont presque aucune chance de retrouver du travail tant que la crise ne sera pas terminée.

Le CSP genevois a donc lancé une campagne d'information dans le cadre de cette économie domestique pour rappeler aux employeurs qu'ils sont tenus par le droit du travail, de la même manière que n'importe quel employeur, même lorsque leurs employés sont sans statut légal ou non déclarés.

"Et il y en a un certain nombre qui étaient extrêmement étonnés de nous entendre dire qu'ils avaient des obligations, et qu'ils devaient garantir le salaire de leurs employés même lorsqu'ils leur disaient de ne pas venir travailler pour cause de pandémie", raconte Alain Bolle.

"Sur le plan idéologique, on souhaite aujourd'hui une remise à plat de toute la politique de lutte contre la précarité dans ce pays. On n'était pas du tout prêts à faire face à pareille crise", conclut le Genevois, qui en appelle désormais à des décisions politiques en 2021.

Propos recueillis par Benjamin Luis

Texte web: Pierrik Jordan

Publié