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"Depuis la crise sanitaire, on ne vient pas au boulot avec le même état d’esprit"

Le personnel médical des HUG aide les patients pendant la deuxième vague de pandémie. [Keystone - Martial Trezzini]
Ici la Suisse - Une journée avec une infirmière des soins intensifs aux HUG / Ici la Suisse / 5 min. / le 17 novembre 2020
Nous avons suivi pendant une journée une infirmière spécialisée qui travaille aux soins intensifs des HUG. Les journées sont particulièrement difficiles, en raison de la situation sanitaire, de la charge de travail et du manque de personnel soignant.

Jessica est infirmière spécialisée, aux soins intensifs des hôpitaux universitaires de Genève (HUG) depuis onze ans. C'est une "ancienne", comme elle dit. Mais en ce moment, elle appréhende les journées.

"Est-ce qu'on va réussir à gérer malgré la surcharge de travail?", s'inquiète-t-elle. "Jusqu'à il y a très peu de temps, j'arrivais assez sereine au boulot. Depuis que la crise sanitaire a débuté, on ne vient pas au boulot avec le même état d'esprit."

La RTS l'a suivie pendant une journée, de 6h45 à 19h30. Ce jour-là, Jessica s'occupe d'un patient de 50 ans. Il est donc jeune, mais il prenait un traitement immunosuppresseur quand il a contracté le Covid-19, fin octobre. Ce patient est gravement atteint; il est intubé et assisté d'une machine qui prend le relais du poumon – une ECMO –: elle oxygène le sang, chasse le CO2, et réinjecte du sang oxygéné dans le corps du patient.

Parler au patient

Les infirmières sont les personnes qui passent le plus de temps auprès des patients. En temps normal aux soins intensifs, une infirmière s'occupe d'un patient. Mais depuis le début de la crise sanitaire, elles prennent souvent en charge deux patients, voire trois.

Pendant la journée, elles administrent les médicaments, vérifient que les machines fonctionnent bien, prodiguent des soins – hygiène du visage, des dents, du corps – et contrôlent l'état cutané du patient, car il reste allongé pendant de longs jours, parfois des semaines. En ces temps de pandémie, les soignantes travaillent dans des vêtements peu confortables: un masque FFP2 qui marque le nez et fait mal aux oreilles, une charlotte, des lunettes, une surblouse, des gants.

Un malade aux soins intensifs des HUG [RTS - Pauline Rappaz]

Jessica explique l'importance de parler aux patients, malgré le fait qu'ils sont plongés dans un coma artificiel. "Même s'ils sont endormis, on ne sait pas vraiment ce qu'ils entendent. Ils n'auront sûrement plus de souvenirs de tout ça, et heureusement pour eux."

"On s'occupe d'êtres humains: avant de les toucher, avant de faire des soins, il faut le prévenir, leur dire où ils sont, parce que les soins intensifs c'est souvent une perte de notion du temps, de notion de l'espace. Du coup, leur rappeler où ils sont, quel jour on est, quelle heure il est, qui je suis, pourquoi je fais tel soin, c'est important", explique-t-elle.

Visites autorisées aux HUG

Contrairement au printemps dernier, les visites aux soins intensifs des HUG sont actuellement autorisées. Elles sont strictes: une personne par jour, pendant une heure. Jessica salue ce changement.

"C'est mieux qu'il puisse y avoir des visites pour cette seconde vague. On s'est aperçu avec la première vague, où les visites étaient strictement interdites, que les gens ont après ça des stress post-traumatiques, qui sont dus au fait qu'ils ne pouvaient pas voir leurs proches – leur mari, leur père, leur mère –: ça provoquait un gros stress, chez les patients et les proches, qui peut rester plusieurs mois."

Dans l'autre hôpital universitaire romand, au CHUV à Lausanne, les visites sont interdites depuis le 29 octobre. L'hôpital vaudois estime indispensable cette décision "compte tenu de l'évolution de la deuxième vague de la pandémie".

Fort taux d'absence chez les soignants

Aux HUG, les journées durent 12 heures. Et le fort taux d'absence rend la situation encore plus compliquée. L'hôpital genevois nous a transmis ces chiffres: dans le service des soins intensifs, les absences des infirmières et aides-soignantes sont de 16% (15,43% au CHUV en octobre). La moitié est due au Covid.

Les autres absences s'expliquent par des arrêts maladie (de courte et longue durée), des congés maternité et des accidents. "On en est à plus du double des absences habituelles", concède Jérôme Pugin, médecin-chef du Service des soins intensifs.

Pauline Rappaz

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