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Réforme fiscale: Alain Berset (PS) est contre - 11 février 2008

Le conseiller aux Etats socialiste fribourgeois Alain Berset
Alain Berset s'oppose à une réforme qui profite surtout aux actionnaires
Le conseiller aux Etats Alain Berset (PS/FR) s'oppose à la réforme de l'imposition des entreprises soumise au peuple le 24 février. Il dénonce un projet qui profite peu aux entreprises, mais plutôt aux actionnaires.

Teletext: vous ne contestez que l'imposition
partielle des dividendes. Ne faites vous pas courir un risque aux
PME en retardant les autres points?




Alain Berset: ceux qui retardent les mesures
favorables aux PME sont ceux qui soutiennent cette réforme, car
s'ils avaient simplement séparé le point des dividendes du reste,
les autres mesures seraient déjà en vigueur. Et si cela avait été
possible, nous aurions attaqué uniquement ce point par référendum,
sans menacer les autres. C'est le mécanisme du paquet fiscal
(rejeté en 2004), dans lequel on glisse une mesure inacceptable qui
ne concerne pas les entreprises, mais les grands actionnaires. Les
partisans de la réforme savent bien qu'un vote sur la seule
imposition partielle des dividendes n'aurait aucune chance.

Quelle serait alors votre stratégie si le peuple
vous donnait raison le 24 février?




En cas de rejet de la réforme, nous sommes prêts à aller très vite
pour en reprendre les points non contestés. Nous avons déposé une
motion en ce sens qui obligerait le Conseil fédéral à reprendre le
sujet. Je travaille d'ailleurs pour la diminution des charges
administratives ou la simplification de la perception de la TVA
pour les PME. C'est de ce genre de choses dont les entreprises ont
besoin et non d'allégements fiscaux qui les concernent peu puisque
beaucoup d'entre elles font peu ou pas de bénéfices.



Mais la Suisse est un des derniers pays d'Europe à
pratiquer la double imposition et 17 cantons ont déjà rectifié le
tir. Ne faut-il pas harmoniser la donne au niveau
fédéral?




Si la Confédération suit le mouvement des cantons (dividendes
imposés de 20% à 60%), ce sont des avantages qui s'additionnent et
non pas une simple harmonisation. Si la Suisse est un des derniers
pays à pratiquer l'imposition complète des dividendes au niveau
fédéral, c'est aussi presque le seul Etat qui n'impose pas le
bénéfice réalisé en vendant une action. La Suisse s'éloigne donc
plutôt de la pratique internationale. En cas de réduction de
l'impôt sur les dividendes, les experts recommandaient d'ailleurs
de créer une imposition partielle des gains en capitaux.



Votre parti a contesté la constitutionnalité de
l'imposition partielle des dividendes devant le Tribunal fédéral.
Quelles seraient les conséquences si les juges condamnaient cette
pratique?




Le recours au Tribunal fédéral concerne uniquement des lois
cantonales. Le Tribunal fédéral ne vérifie jamais la conformité à
la Constitution d'une loi fédérale. S'il s'avère que les grands
principes de l'égalité de traitement ou de l'imposition selon la
capacité contributive ne sont pas respectés, les cantons concernés
devront modifier leurs lois fiscales, comme lors du recours contre
l'impôt dégressif d'Obwald.



Parlons chiffres maintenant. Est ce que vous ne
grossissez pas le trait quant aux pertes liées à la réforme, par
rapport à ce qu'avancent les partisans?




Je soupçonne plutôt le Conseil fédéral d'arranger les chiffres.
Car curieusement, alors qu'il parlait de pertes de 500 millions
pour la Confédération et les cantons quand il a proposé en 2005 une
imposition des dividendes à 80%, il parle maintenant de 400
millions. Et ceci alors que le cadeau fiscal a été doublé avec un
taux abaissé à 60%. Selon nous, la question des dividendes va
coûter 60 millions à la Confédération et 800 millions aux cantons
(imposition moyenne estimée à 50%). Les autres points coûteraient
un milliard aux cantons, comme l'a dit le Conseil fédéral en 2005,
et 150 millions à la Confédération.



Est-ce que ces chiffres tiennent compte des pertes que
vous prédisez pour les caisses de l'AVS?




Les conséquences pour l'AVS viennent en plus. On s'est rendu
compte que les dividendes seraient sous-imposés par rapport au
salaire. C'est donc une forte incitation à ceux qui peuvent le
faire de diminuer le versement en salaire et d'augmenter celui en
dividendes. Or si un patron paie des cotisations sociales sur le
salaire qu'il s'accorde, il ne verse pas un franc sur une
rémunération en dividendes. C'est quand même assez choquant! Il est
en outre frappant de voir qu'en 2005 le Conseil fédéral, qui
proposait alors un taux d'imposition partiel de 80%, disait qu'un
taux de 70% mettrait déjà en danger le financement de l'AVS.



Hans-Rudolf Merz soutient que l'imposition partielle
des dividendes stimulera les investissements, ce qui compensera les
pertes. Vous y croyez?




Ca me paraît très théorique. Déjà aujourd'hui, une entreprise qui
fait des bénéfices peut verser des dividendes, mais elle peut aussi
investir. On nous fait croire que nous avons des conditions
ultra-restrictives et tueuses d'emplois en la matière, mais ce
n'est pas le cas. Je n'arrive pas à suivre ceux qui disent que cet
argent créera plus d'emplois s'il va d'abord dans la poche des
grands actionnaires. J'ai de la peine à croire que des gens comme
Walter Frey, vice-président UDC et importateur d'automobiles doté
d'une fortune d'un milliard de francs, réinvestira les 11 millions
qui lui sont offerts par la réforme.



En fin de compte, à qui profite vraiment cette
réforme?




On ne touche quasiment pas à la fiscalité des entreprises. C'est
d'abord une réforme de l'impôt des personnes qui reçoivent ces
dividendes. Et ce sont de grands actionnaires, puisqu'il faut au
moins 10% d'une entreprise pour bénéficier de l'allègement. Ce qui
est déjà une injustice entre les actionnaires eux-mêmes. En Suisse,
60'000 personnes ont au moins 10% d'une entreprise, mais seulement
8400 possèdent cette part dans une société qui fait au moins 50'000
francs de bénéfice; une somme qui peut aller à plusieurs milliards.
Et ces gens, qui représentent 0,2% des contribuables, sont des
patrons dont le salaire moyen atteint 275'000 francs.



Swisstxt/Caryl Bussy

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La réforme sous la loupe

Les citoyens devront se prononcer le 24 février sur la "réforme de l'imposition des entreprises II", à la suite d'un référendum demandé par la gauche.

Après une première réforme en faveur des holdings en 97, le Conseil fédéral a préparé aujourd'hui un deuxième paquet destiné aux PME qui doit améliorer la compétitivité des entreprises. Il comporte 3 volets: allégement de la double imposition du bénéfice et des dividendes, réduction de l'impôt sur le capital dans les cantons et simplification en cas de réorganisation des sociétés de personnes (cessations, successions, etc.).

Prochain paquet: la réduction de l'imposition des entreprises qui impliquerait la perte de 3,7 milliards de recettes.

Plus de capital pour les firmes, selon la droite

Seul le premier volet consacré à la double imposition est contesté. Selon la réforme, les dividendes des sociétés organisées en SA ou Sàrl ne seraient plus taxés qu'à 50% s'ils s'ajoutent à la fortune commerciale et 60% s'ils vont dans la fortune privée. Cette mesure ne s'adressera en outre qu'aux actionnaires détenant au moins 10% du capital.

Selon les partisans de la réforme (milieux économiques, droite et cantons), cette mesure permettra aux entreprises de disposer de davantage de capital propre, leur permettant ainsi d'investir et de créer de nouveaux emplois. Ils rappellent aussi que la Suisse est l'un des derniers pays en Europe à pratiquer la double imposition et que 17 cantons ont déjà rectifié le tir.

Anticonstitutionnelle et anti-AVS selon le PS

Pour la gauche, qui a déposé un recours au Tribunal fédéral contre les réductions déjà introduites dans 17 cantons, la réforme est anticonstitutionnelle. Abaisser le revenu pris en compte par le fisc, de surcroît uniquement pour les "gros" actionnaires, est inadmissible alors que salaires et rentes sont taxés à 100%.

Autre critique: le manque à gagner. Il est estimé par le Conseil fédéral à 55 millions par an pour la Confédération et 350 millions pour les cantons. Le camp rose-vert prédit lui 900 millions de francs de pertes.

En cause aussi: l'AVS. Le Conseil fédéral estime le manque à gagner à 130 millions par an. La gauche l'estime entre 300 et 400 millions, car les patrons pourraient préférer payer en dividendes, non soumis aux cotisations sociales, plutôt qu'en salaires.