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La campagne hors-norme sur l'initiative "entreprises responsables"

longchamp-multinationales [RTS - Mathieu Henderson]
Multinationales responsables: interview du politologue Claude Longchamp / L'actu en vidéo / 3 min. / le 8 octobre 2020
Marquée par une multitude d'acteurs, parfois inattendus, et d'importants moyens financiers, la campagne sur l'initiative pour des entreprises responsables s'annonce hors-norme. Quels sont les fronts? Quelles stratégies sont mises en place? Explications à sept semaines du scrutin.

A Berne, on parle de Goliath contre Goliath. La campagne sur l'initiative "entreprises responsables - pour protéger l'être humain et l'environnement" surprend les observateurs par son intensité. "La force et la complexité des acteurs sont inattendus", indique le politologue Claude Longchamp.

Une multitude d'acteurs

Pour rappel, le texte, en votation le 29 novembre, veut obliger les sociétés qui ont leur siège en Suisse à examiner régulièrement les conséquences de leur activité sur les droits de l'homme et sur l'environnement, également à l'étranger.

Il a été déposé en 2016 par plusieurs dizaines d'organisations non gouvernementales, de défense des droits de l'homme et de l'environnement et autres syndicats. Les Eglises se sont également engagées pour un oui, tout comme plusieurs personnalités telles que les anciennes conseillères fédérales Ruth Dreifuss et Micheline Calmy-Rey ou encore l'ex-conseiller aux Etats Dick Marty (PLR/TI).

Au niveau politique, l'initiative est soutenue par le PS et Les Verts, ainsi que le PBD, le PEV et les JDC (Jeunes démocrates-chrétiens). Le texte est également soutenu par un comité bourgeois comprenant plus de 350 politiciens du PDC, du PBD, du PEV, du PLR, du PVL et de l'UDC.

Dans le camp des opposants, on trouve le PDC et le PLR. L'UDC doit encore donner son mot d'ordre, mais son comité directeur plaide pour un refus. Celui des Vert'libéraux recommande, lui, le oui.

"On ne peut pas dire que le camp bourgeois est séparé, nettement, en deux camps, mais c'est vrai qu'il est assez divisé", résume Claude Longchamp. Une division qui s'observe également dans d'autres milieux proches de l'économie: "L'Association suisse des paysans et l'USAM (Union suisse des arts et métiers) ont décidé de s'opposer à cette initiative. Mais, à l'interne, on sait que c'était plus ambigu", explique le politologue.

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Une campagne, plusieurs stratégies

La campagne se distingue surtout par la stratégie des initiants. "Ils ont mené des pré-campagnes loin du grand public, auprès des universités et de professeurs juristes", explique Claude Longchamp. Un mode opératoire généralement adopté par les milieux économiques. "Economiesuisse le fait depuis longtemps. Elle était d'ailleurs la seule à avoir la capacité de faire des campagnes qui s'étendent sur trois ou quatre ans."

Le combat sera beaucoup plus difficile en Suisse romande où les initiants et les forces de la gauche sont plus présents

Cristina Gaggini, directrise romande d'Economiesuisse

La faîtière des entreprises suisses compte surtout mener son combat en Suisse alémanique. "Nous partons du principe qu'en Suisse romande ce sera beaucoup plus difficile, ne serait-ce que parce que les initiants et les forces de la gauche sont beaucoup plus présents. Mais nous avons également une stratégie qui mise sur des 'swing states' (cantons où le vote s'annonce indécis, ndlr.) dont deux cantons romands que je ne peux pas citer", détaille Cristina Gaggini, directrice romande d'Economiesuisse.

Au début, on pensait compter surtout sur les contributions des organisations membres, mais au fil du temps, le budget s'est surtout constitué par les milliers de dons de 10, 20 ou 30 francs

Chantal Peyer, membre du comité exécutif de l'initiative

Que ce soit du côté des initiants ou des opposants, il est difficile de connaître les montants investis. "On ne part jamais dans un combat en révélant à l'adversaire quelles sont nos armes", dit Cristina Gaggini. "Du moment qu'Economiesuisse ne joue pas la transparence, il n'y a pas de raison que nous le fassions", rétorque Chantal Peyer, membre du comité exécutif de l'initiative.

Elle ajoute: "Au début, on pensait compter surtout sur les contributions des organisations membres, mais au fil du temps, le budget s'est surtout constitué par les milliers de dons de 10, 20 ou 30 francs." Certaines ONG acceptent de dévoiler leurs moyens. C'est le cas d'Amnesty International qui a engagé entre 300'000 et 400'000 francs.

60'000 drapeaux

La campagne est aussi marquée par l'affichage aux balcons et aux fenêtres de drapeaux en faveur de l'initiative. Un phénomène qui ne manque pas de surprendre Claude Longchamp. "Les premiers qui ont adopté ce système à l'époque étaient les jeunes socialistes. Or, ici, on les voit apparaître sur les bâtiments agricoles, chez les paysans, qui ne sont généralement pas à gauche. C'est vraiment inattendu."

Au total, 60'000 drapeaux ont été fabriqués, selon Chantal Peyer. "Il y a plus de 7000 bénévoles qui travaillent dans 450 comités locaux", ajoute la membre du comité exécutif de l'initiative.

Les Eglises peuvent-elles faire la différence?

Une fois n'est pas coutume, les milieux ecclésiastiques se sont également impliqués. Baptisé "Églises pour multinationales responsables", un comité composé de 82 paroisses et de plus de 550 personnes soutient le texte.

Leur poids ne sera que modéré, estime Claude Longchamp: "Les Eglises sont des institutions du passé. Ce sont des institutions qui fonctionnent en partie avec de l'argent public, et cela pose quand même des problèmes si elles s'engagent pour un oui clair. Il y a des conseils paroissiaux qui s'opposent à l'affichage de drapeaux ou aux recommandations de vote dans leurs bulletins. Même si leur engagement est inattendu, je ne pense pas qu'elles auront un poids décisif."

On pourrait voir un résultat serré, se situer autour de 50%

Claude Longchamp, politologue

Reste que l'issue du vote s'annonce incertaine, selon le politologue. "Sachant que le résultat au Parlement était assez favorable pour cette initiative qui émanait non pas de la majorité, mais de l'opposition, on pourrait voir un résultat serré, autour de 50%."

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Mathieu Henderson et Marie Giovanola

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