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"Ce pouvoir absolu n'est pas un pouvoir qui vous rend heureux"

L'interview intégrale de Simonetta Sommaruga à l'occasion du 1er Août.
L'interview intégrale de Simonetta Sommaruga à l'occasion du 1er Août. / L'actu en vidéo / 12 min. / le 31 juillet 2020
A l'occasion du 1er Août, la RTS a rencontré la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga. Loin d'un sentiment d'ivresse du pouvoir, elle raconte avoir ressenti une "lourde responsabilité" au plus fort de la crise, confie sa peur que la population n'ait pas suivi et dit aussi sa fierté face aux succès obtenus.

"Une bonne année, c'est une année où rien de grave ne nous arrive, à nous et à nos proches": le 1er janvier dernier, la nouvelle présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga avait commencé ainsi son allocution de Nouvel An depuis une boulangerie bernoise.

>> Lire à ce sujet : Simonetta Sommaruga évoque le pain quotidien dans ses voeux pour 2020

Sept mois plus tard, ses voeux ont une résonance bien malheureuse. "Mais j'ai aussi dit dans cette boulangerie que si on veut aller bien, il faut aussi que les autres aillent bien. Et c'est quelque chose qu'on a vraiment vécu pendant cette crise: on a vu une solidarité dans notre pays. Beaucoup de monde s'est engagé, des gens qui faisaient les courses pour leurs voisins âgés au personnel des hôpitaux et de la vente, en passant par celui des chantiers", a rebondi Simonetta Sommaruga.

Pour leur dire merci en ce jour de fête nationale, elle a invité sur la prairie du Grütli une femme et un homme de chaque canton, qui se sont spécialement engagés pendant la crise du Covid-19. "Ils représentent la Suisse, très solidaire pendant cette crise. J'avais envie d'y inviter tout le pays! Je trouve qu'on a quand même un peu besoin de faire la fête", confesse la présidente de la Confédération.

Vendredi 13 mars, le jour où tout a basculé

Elle relate en détail la manière dont elle a ressenti la cascade d'événements et de mesures extraordinaires que la Suisse a connue en mars dernier, premier pays d'Europe frappé par l'épidémie après l'Italie, car le plus proche du foyer qui s'est déclaré en février en Lombardie. Elle situe au vendredi 13 mars le jour où tout a basculé. Ce jour-là, la barre des 1000 personnes testées positives depuis le début de la crise est franchie et le pays pleure déjà 11 personnes. Le Conseil fédéral décide alors de fermer les écoles et d'interdire les rassemblements de plus de 100 personnes.

J'ai réalisé que ça ne marchait pas, que la population n'avait pas senti ce qui se passait. Je me suis demandée comment y arriver, comment faire pour que le message passe.

Simonetta Sommaruga

"Ce jour-là, j'ai ressenti de la pression. Le lendemain, samedi, je suis allée au marché à Berne et j'ai vu tous les gens faire comme si de rien n'était", raconte Simonetta Sommargua, qui confie, à ce moment précis, avoir été saisie par le doute: "J'ai réalisé que ça ne marchait pas, que la population n'avait pas encore senti ce qui se passait. Je me suis demandée comment y arriver, comment faire pour que le message arrive chez les gens".

"Le dimanche soir, j'ai convoqué le Conseil fédéral. Et le lundi, on a décidé de fermer le soir même tous les restaurants, tous les magasins. Je suis allée à la conférence de presse pour présenter ces décisions en me disant: 'maintenant, il faut faire quelque chose dans ce pays, il faut changer'. Et la population a compris. Pour moi, c'était un moment très fort. Il fallait vraiment renverser les choses en très peu de temps."

Je suis allée à la conférence de presse pour présenter ces décisions en me disant: 'maintenant, il faut faire quelque chose dans ce pays, il faut changer'. Et la population a compris. Pour moi, c'était un moment très fort.

Simonetta Sommaruga

A ses yeux, ses contacts fréquents avec la population, les cantons, les entreprises et les personnes au front l'ont aidée à prendre des mesures qui ont été comprises par la population. "On a refusé les mesures extrêmes dans un sens ou dans l'autre, soit le confinement absolu ou le laisser-aller. Pour moi, ça a toujours été clair, il fallait cette voie médiane", déclare la conseillère fédérale socialiste.

Un rôle d'unificatrice

La cheffe du Département de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication dit aussi sa fierté d'avoir réussi à unir le Conseil fédéral dans ses décisions. "Nous avions aussi des avis différents. Comme présidente, et c'était mon but principal, je voulais intégrer tout le monde, je voulais qu'à la fin, chacun puisse s'identifier à la décision."

Elle dit ne pas avoir jalousé le rôle d'Alain Berset, le plus souvent sous le feu des projecteurs au plus fort de la pandémie. "Dans une crise sanitaire, c'est le ministre de la Santé qui est vraiment au front. Mon rôle n'était pas de faire un solo."

L'ivresse d'un pouvoir absolu?

Pendant les trois mois qu'a durés, en Suisse, l'état de "situation extraordinaire", le Conseil fédéral avait les pleins pouvoirs. De quoi se laisser griser par cette autorité? "C'était nécessaire, car il fallait prendre des décisions très vite. Mais je peux vous dire que ce pouvoir n'est pas un pouvoir qui vous rend heureux. On ne ressent pas d'ivresse, mais une lourde responsabilité", coupe court la présidente de la Confédération. "C'était lourd pour nous. Certains mois, c'était un travail extraordinaire, ce qui explique nos visages fatigués", explique-t-elle en évoquant la course d'école du Conseil fédéral, le 3 juillet dernier, sous les étoiles dans la région du Gantrisch (BE).

Ce pouvoir était nécessaire, il fallait prendre des décisions très vite. On n'en ressent pas l'ivresse, mais une lourde responsabilité.

Simonetta Sommaruga

Si la crise est loin d'être terminée, Simonetta Sommaruga envisage l'avenir avec sérénité. "Le virus est toujours là. On doit vivre avec aussi longtemps qu'on n'a pas de vaccin. Mais on a beaucoup appris. On sait maintenant comment faire. Maintenant que la responsabilité est du côté des cantons, on voit qu'ils font du bon travail. Ils peuvent réagir très vite et de manière très spécifique", estime la Bernoise.

"Ce n'est pas terminé, c'est très clair. C'est par exemple toujours très difficile pour le tourisme. Mais on a les moyens de s'en sortir. On a le savoir-faire, la volonté, et on est un pays riche. Il faut maintenant investir dans l'innovation, dans les infrastructures, dans les énergies renouvelables. Investir dans les bonnes directions."

>> Ecouter: Vingt ans de discours du 1er Août, à travers des morceaux choisis par Yann Amedro, mis en onde par Jérôme Nussbaum:

1er août: un discours patriotique teinté de vert pour la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.
Dans le rétro des discours du 1er août 2020 / Six heures - Neuf heures, le samedi / 8 min. / le 1 août 2020

Propos recueillis par Thierry Clémence
Adaptation web: Vincent Cherpillod

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