Faut-il protéger les grands prédateurs ou s'en méfier? La question divise en Suisse.

Grand Format

Reuters - Axel Schmidt

Introduction

C'est un débat qui anime chasseurs, éleveurs et écologistes depuis des années. Faut-il protéger les lynx, les ours et les loups qui vivent en Suisse ? Alors que la population de loups grandit, la question ressurgit.

Chapitre 1
De plus en plus de loups en Suisse

Après des siècles de braconnage et de chasse, le loup avait complètement disparu de la Suisse au début des années 1900. Mais au fil des années, il est revenu - principalement en provenance de l'Italie - et recommence à s'installer dans nos contrées.

Ces dernières semaines, outre la découverte d'une sixième meute dans les Grisons, plusieurs louveteaux ont été observés, dans le Jura vaudois et le Chablais. Des naissances révélatrices de l'importante expansion de population des loups en Suisse.

"Les grands prédateurs ont un rôle fondamental à jouer dans les écosystèmes forestiers" indique François Turrian, directeur romand de BirdLife et auparavant responsable du dossier grands prédateurs pour le WWF. "Ils permettent de réguler la population d'ongulés (ndlr. cerfs, chevreuils, etc.) de manière beaucoup plus efficace que ce que permet la chasse". En effet, selon François Turrian, alors que les chasseurs visent généralement les animaux les plus imposants, un loup va préférer s'attaquer aux animaux faibles ou malades. "Les loups jouent un rôle sanitaire dans la régulation de ces animaux. Ils permettent de maintenir un écosystème équilibré."

>> Pour les chasseurs, le loup est synonyme de concurrence. Regarder le reportage aux Grisons d'Outre-Zapping en 2014. :

Chasse : la concurrence du loup
OUTRE-Zapping - Publié le 1 novembre 2014

Le dernier loup a été abattu en 1904, dans la région du Simplon, en Valais. "A cette époque, les gens avaient très peur du loup, et beaucoup de braconniers les considéraient comme de beaux trophées de chasse", indique François Turrian.

En Suisse, les premiers loups sont revenus depuis l'Italie, aux alentours de 1995. Une arrivée révélée par les nombreuses attaques de moutons qui ont eu lieu à ce moment-là.

>> Les débats entre écologistes, chasseurs et éleveurs ne datent pas d'hier. Regarder l'enquête de Tout en région du 2 septembre 1999 :

1999: Le Valais face au retour du loup
L'actu en vidéo - Publié le 31 juillet 2020

Aujourd'hui, l'espèce est protégée en Suisse. Depuis la formation de la première meute en 2012, les effectifs de loups ont été multipliés par huit. Le pays compte désormais quelque 80 individus, répartis en 8 meutes dans 5 cantons.

Depuis 2012, 8 meutes se sont formées dans 5 cantons. [Sources: OFEV; cantons (données); LBC (analyses génétiques); fondation KORA (données et carte)]

Chapitre 2
Chasseurs et bergers contre écologistes: le débat continue

Keystone - Olivier Maire

Aujourd'hui, les débats autour de la protection ou l'abattage de ces prédateurs ressurgissent. Avec l'augmentation de la population de loups, les attaques de bétail et d'animaux de rente ont recommencé. Un véritable problème pour les éleveurs qui voient leurs troupeaux décimés.

Un veau blessé dans une attaque de loup la semaine dernière

Incident le plus récent, une meute de quatre loups a attaqué un troupeau de vaches allaitantes à Marchissy (VD) à la mi-juillet. Seul un veau a été blessé, mais la présence de ces prédateurs dans le Jura vaudois est une source d'inquiétude pour les éleveurs. Guy Humbert, éleveur et amodiateur de l'alpage en question, considère que les territoires suisses sont trop restreints pour une cohabitation acceptable avec le loup. "J'ai la malchance que l'alpage sur lequel mes animaux sont estivés se situe sur le chemin que les loups empruntent pour aller rejoindre leur territoire de chasse." En allant chasser le gibier, cette meute de quatre loups est donc passée près des vaches de l'éleveur. Un veau a été attaqué et blessé à la patte arrière.

Le reste du troupeau a fait bloc pour défendre le veau et repousser la meute de loups. Heureusement, aucun animal n'a été tué. Mais évidemment, j'ai un sentiment de crainte et d'impuissance vis-à-vis du retour des loups.

Guy Humbert, éleveur de vaches allaitantes à Marchissy (VD)

De son côté, François Turrian relativise. "Les attaques de loups frappent l'opinion publique. Mais elles restent proportionnellement très faibles." En  2019, on a compté 420 victimes d'attaques de loups, le plus souvent sur des ovins. "C'est très peu, sur les 350'000 moutons de Suisse! D'autres causes, comme des maladies ou des chutes de pierres, tuent bien plus de moutons."

Pour les éleveurs, des alternatives existent. La Confédération met à disposition des chiens de protection, qui surveillent les troupeaux et font fuir les loups, s'ils s'approchent. Aujourd'hui, environ 300 chiens de protection des troupeaux sont utilisés en Suisse. Par ailleurs, une aide pour clôturer les espaces est aussi mise en place par les autorités.

>> Regarder le reportage de Couleurs locales du 3 octobre 2017, sur les chiens de protection :

Les chiens de protection de troupeau suivent une formation
Couleurs locales - Publié le 3 octobre 2017

Mais ces alternatives ne sont pas des solutions miracle. Plusieurs incidents de promeneurs victimes de morsures de chiens de protection ont été signalés. Et même dans des espaces clôturés et surveillés, une attaque de loup n'est pas entièrement exclue.

Pour Guy Humbert, la solution des chiens n'est pas envisageable. "Quelques jours après l'attaque des loups, je suis retourné auprès du troupeau avec mon propre chien, qui n'est pas un chien de protection, et les vaches l'ont chargé. Désormais, elles l'associent au loup, il est trop tard pour introduire des chiens de protection dans ce troupeau."

L'éleveur teste donc d'autres solutions, en collaboration avec les autorités et la fondation Jean-Marc Landry. Parmi les alternatives évoquées, des clôtures électrifiées ou encore des treillis à moutons. S'il salue les efforts du canton pour l'aider dans sa démarche, il relève tout de même qu'une partie des frais reste à sa charge. "La Direction générale de l'environnement offre le matériel, mais tout le travail d'installation est à ma charge, alors que ni moi, ni mes collègues n'avons souhaité le retour du loup sur nos terres."

Chapitre 3
Le lynx, longtemps chassé, réintroduit en Suisse depuis 1970

Keystone - Arno Balzarini

Tout comme le loup, le lynx a longtemps été braconné. Il a d'ailleurs disparu la même année, en 1904, le dernier individu ayant été observé dans les Grisons. En revanche, il n'est pas revenu sur le territoire suisse par lui-même, mais a été réintroduit par l'homme.

"Dans les années 1960, le Conseil fédéral s'est dit que le lynx avait sa place en Suisse. Les premiers lâchers ont eu lieu en 1971 dans le canton d'Obwald. Il y a également eu des lâchers clandestins, et peu à peu la population de lynx a recouvré des effectifs", indique François Turrian.

Historiquement, le lynx inquiète moins la population. Et pour cause, il attaque aussi les troupeaux, mais beaucoup moins que le loup. En 2019, 43 attaques ont été attribuées au lynx, qui vit majoritairement dans le Jura, les Alpes et les Préalpes.

Aire de répartition géographique du lynx des Carpates en Suisse de 1971 à 2017 [OFEV]

En Suisse romande, le lynx est particulièrement présent dans le Jura. Selon Roxane Didier, responsable cantonale de la surveillance environnementale, "la population ne semble pas craindre le lynx, qui n'a pas la réputation de 'mangeur d'hommes' du loup". Ainsi, les conflits autour du lynx ne sont pas aussi importants que ceux concernant le loup. Pourtant, précise Roxane Didier, "il y a chaque année une dizaine d'attaques de lynx attestées sur des animaux de rente, pour lesquelles les agriculteurs sont indemnisés."

>> Regarder le sujet de Couleurs locales sur la réintroduction du lynx dans l'arc jurassien :

NE: le lynx a été réintroduit dans l’arc jurassien dans les années 70
Couleurs d'été - Publié le 12 juillet 2016

Malgré une population stable, le lynx reste une espèce menacée. Selon François Turrian, la population des lynx est fragile pour plusieurs raisons: "premièrement, le lynx se déplace beaucoup moins que le loup, il y a moins de brassage de population et on observe des problèmes de consanguinité." Par ailleurs, il y a la mortalité routière et le braconnage. "Il y a une surmortalité de jeunes lynx, ce qui laisse penser qu'ils sont encore aujourd'hui victimes d'abattage sauvage. Mais malheureusement, même lorsque des cas sont avérés, les enquêtes n'aboutissent pas. Il y a une espèce d'omerta qui règne autour de cet animal."

Dans le Jura, Roxane Didier maintient que le braconnage n'est pas très répandu: "la probabilité d’un abattage sauvage n’est jamais nulle, mais reste très faible".

Chapitre 4
L'ours, résident occasionnel, se fait remarquer lorsqu'il est de passage en Suisse

Keystone - Jon Gross

Selon Robin Poëll, porte-parole pour l'Office fédéral de l'environnement, "L'ours n'est pas présent en permanence en Suisse. Depuis 2005, un à trois jeunes mâles de la population d'ours du Trentin migrent chaque année, principalement vers le sud-est de la Suisse. Toutefois, il ne s'agit que de visites temporaires." Dernier en date, un ours avait été aperçu près du glacier d'Aletsch (VS) en juin 2019.

>> Regarder le sujet du 19h30 sur l'observation de cet ours, le 9 juin 2019 :

L'ours aperçu hier en Suisse est protégé par la loi fédérale sur la chasse.
19h30 - Publié le 9 juin 2019

Malgré ces incursions discrètes, la présence de l'ours est également source d'inquiétudes. Contrairement au loup ou au lynx, l'ours peut s'avérer dangereux face aux promeneurs. Malgré cela, François Turrian, directeur romand de BirdLife et auparavant responsable du dossier grands prédateurs pour le WWF, se réjouirait du retour de ce grand prédateur, s'il venait à s'installer durablement en Suisse. "Il y a toute une partie de la population qui est prête à sortir les fusils très vite lorsqu'un ours se manifeste. Mais cela pourrait tout à fait bien se passer, comme c'est le cas en Italie voisine. Les Suisses n'ont pas la chair plus tendre que les Italiens !"

Ces dernières années, deux ours ont été abattus en Suisse sur autorisation des autorités, JJ3 en 2008 et M13 en 2013. En cause, les mêmes raisons évoquées: ces ours n'avaient plus peur des hommes, s'approchaient trop des zones d'habitation et représentaient une menace pour les habitants.

>> Regarder le reportage du 12h45 sur l'abattage de l'ours M13, le 20 février 2013 :

L'ours M13 a été abattu mardi dans le Val Poschiavo (GR)
12h45 - Publié le 20 février 2013

La cohabitation entre humains et grands prédateurs est-elle possible? François Turrian en est convaincu. "L'homme empiète beaucoup sur les territoires de la faune sauvage. Il doit aussi savoir lui laisser un minimum d'espace."

Chapitre 5
En septembre, la Suisse vote sur la révision de la loi sur la chasse

Keystone - Arno Balzarini

La date est marquée de rouge dans les agendas des chasseurs, des éleveurs comme des protecteurs de la nature: le 27 septembre aura lieu la votation sur la révision de la loi sur la chasse.

Objectif de cette révision: mettre à jour un texte datant de 1968 et introduire la possibilité d'abattre des animaux protégés de façon préventive. Pour le défenseur de la nature François Turrian, cette nouvelle loi mettrait en question un système qui a fait ses preuves. "Aujourd'hui, nous avons déjà un système efficace. D'abord protéger les troupeaux; deuxièmement suivre la population de prédateurs; troisièmement indemniser les dégâts aux troupeaux lorsqu'ils surviennent et en dernier recours, lorsqu'un loup se spécialise trop sur les animaux de rente, on peut envisager de l'abattre, mais cela se fait seulement sur accord de la Confédération."

Du côté des éleveurs, l'efficacité de ce système est remise en question. Pour Guy Humbert, "cette révision donnerait la possibilité de réguler les individus problématiques avec un tout petit peu plus de facilité". Une souplesse qui serait pour lui synonyme de soulagement.

>> Regarder le grand débat de Forum "Chasse: feu libre?" du 4 octobre 2019 :

Le débat - Chasse: feu libre?
Forum - Publié le 4 octobre 2019

Les arguments POUR la révision de la loi sur la chasse

Les arguments CONTRE la révision de la loi sur la chasse