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Le mythe de la mère parfaite, un fardeau sans fin pour les femmes

L'invitée de La Matinale (vidéo) - Caroline Dayer, experte en prévention des violences et des discriminations
L'invitée de La Matinale (vidéo) - Caroline Dayer, experte en prévention des violences et des discriminations / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 14 min. / le 29 juillet 2020
A force de devoir gérer sans répit impératifs familiaux et travail, près d'un tiers des femmes seraient à la limite du burn-out selon certaines études. Le mythe de la mère parfaite est omniprésent, mais c'est à la société de le déconstruire, dit la chercheuse Caroline Dayer.

Dans une tribune publiée récemment dans la Neue Zürcher Zeitung, Margrit Stamm, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Fribourg, déplore le "mythe de la mère parfaite", qui torpille l’égalité et perpétue des schémas de genre faisant peser sur les épaules des femmes une pression qui les pousse fréquemment au bord du burn-out.

Ce mythe de la mère parfaite est encore omniprésent dans nos sociétés, confirme la docteure et chercheuse Caroline Dayer mercredi dans La Matinale. "Et c'est à nous de déconstruire, en tant que personnes et en tant que société, le mythe de cette mère parfaite", dit-elle.

Il y a déjà dans notre société contemporaine l'injonction à être mère tout court.

Caroline Dayer

Cette experte en prévention des violences et des discriminations souligne cependant d'emblée qu'avant l'injonction à être une mère parfaite, "il y a dans notre société contemporaine l'injonction à être mère tout court". De nombreuses femmes, souligne-t-elle, n'ont pas du tout envie d'avoir des enfants, tout comme des hommes d'ailleurs. "Et cette injonction à la maternité repose sur les femmes".

Et pour Caroline Dayer, la notion de mère parfaite dans l'idéal général est "ce mythe de la super-maman dans le sens où elle est logiquement aujourd'hui censée travailler, s'occuper de ses enfants, sourire, faire du fitness en souriant toujours. On voit qu'il y a cette panoplie qui repose sur ces femmes, censées aussi être séduisantes et désirables en lien avec les clichés qui leurs sont imposés".

Socialisation liée aux questions de genre dès l'enfance

Et si cette pression existe encore et toujours aujourd'hui, ce n'est pas tellement lié aux réseaux sociaux. "On n'a pas attendu les réseaux sociaux pour que ces assignations reposent sur le dos des femmes", note la chercheuse pour qui il s'agit avant tout de socialisation: "C'est intéressant de s'interroger nous-mêmes: comment a-t-on été socialisées dans notre enfance? Quels sont les messages que l'on nous a donnés? Et on voit qu'on a une forte socialisation très liée aux questions de genre dès l'enfance: ce que les filles sont censées faire, ce que les garçons sont censés faire…"

Cette répartition perdure ensuite dans le monde du travail, poursuit Caroline Dayer. Mais "ces injonctions sont totalement des assignations sociales, donc on a un pouvoir d'action".

Les mères vont être jugées sur la manière dont vont se comporter leurs enfants.

Caroline Dayer

Dans sa tribune publiée par la NZZ, Margrit Stamm affirme que les mères sont le groupe le plus scruté et le plus critiqué de notre société. "Je partage cet avis, mais je préciserais que je pense que les femmes - de manière générale - sont extrêmement scrutées dans notre société", précise Caroline Dayer. "On voit que dans la rue, dans la famille, en contexte professionnel, dans toutes les sphères sociales, les femmes de manière générale sont plus scrutées, vraiment. Et les mères de plus en plus, parce que ce sont elles qui vont être jugées sur la manière dont vont se comporter leurs enfants".

Le poids d'une concurrence "capitaliste" entre mères

Ce phénomène induit du reste une concurrence entre les mères elles-mêmes, "qui ne vient pas du tout des mères, des pères ou des parents en soi, mais de l'ère néo-libérale qui impose aux individus de devoir performer", souligne l'experte en prévention des violences et des discriminations. "La concurrence est complètement capitaliste puisqu'il va toujours falloir surenchérir. Et on peut se demander en quoi cela apporte des aspects positifs pour les parents et un environnement sain pour les enfants".

Ce qui repose sur les épaules des mères, c'est vraiment le cumul de plusieurs journées.

Caroline Dayer

A force de devoir gérer sans répit impératifs familiaux et travail, 30% des femmes seraient à la limite du burn-out selon certaines études. Ces chiffres sont "totalement" réalistes, confirme Caroline Dayer. "On voit que ce qui repose sur les épaules des mères (…) c'est vraiment ces aspects de plusieurs journées. Dans la majorité des cas, même s'il y a des couples qui sont de plus en plus égalitaires, c'est la mère qui va effectuer l'ensemble des tâches dans la maison, aller au travail et surtout organiser les choses. Donc les mamans, très souvent, doivent non seulement penser à l'organisation de la famille, mais elles ont aussi une charge émotionnelle: la plupart du temps, ce sont aussi elles qui doivent gérer le fait de rassurer, d'appeler grand-mère, et de faire en sorte que tout le monde se porte bien dans la famille. Donc l'injonction de l'ensemble de ces strates fait que ce chiffre n'est pas du tout illusoire".

Les conséquences de la crise sanitaire

Et la situation s'est encore aggravée avec la crise du Covid-19, comme l'ont montré d'autres études. "Les principales recherches qui sortent actuellement en Europe montrent que - pour les femmes qui n'ont pas perdu leur emploi - il y a eu un renforcement des inégalités de genre", explique l'invitée de La Matinale.

Et cela s'est révélé principalement dans trois domaines: l'espace (les recherches montrent que les femmes n'avaient pas forcément un espace à elles contrairement aux hommes); le temps (elles ont travaillé en moyenne quatre heures de plus par jour); et le renforcement des inégalités (ce sont les femmes qui ont opéré en plus les activités les plus ingrates comme le ménage ou la vaisselle).

Propos recueillis par Benjamin Luis/oang

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