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Ces centres de soins thaïlandais pour Suisses atteints d'Alzheimer

Ces centres de soins thaïlandais pour Suisses atteints d'Alzheimer
Ces centres de soins thaïlandais pour Suisses atteints d'Alzheimer
Des Suisses atteints par la maladie d'Alzheimer parcourent 8000km pour être pris en charge dans des centres en Thaïlande. Ils sont loin de leur famille, mais ils sont bichonnés en permanence par des aides-soignants, comme le démontre le documentaire "Mother" diffusé actuellement par Les Docs de la RTS.

Surnommée "la Rose du Nord", la ville thaïlandaise de Chiang Mai est célèbre pour ses centaines de temples bouddhistes et ses montagnes luxuriantes. Profitant d'un climat doux (entre 14 et 37 degrés) et de bonnes infrastructures, elle séduit un nombre croissant de retraités, dont des Suisses. A tel point d'ailleurs qu'elle se fait désormais appeler "La petite Suisse". Deux centres de soins y ont été créés par des Suisses, pour des Suisses.

Si l'établissement Baan Kamlangchay est dédié uniquement aux personnes atteintes de démence, le centre Vivo Bene accueille des personnes âgées nécessitant des soins en tous genres. La particularité de ces établissements est de proposer un accompagnement personnalisé 24 heures sur 24, prodigué par des aides-soignants thaïlandais, dont le respect et l'affection envers les personnes âgées sont particulièrement marqués. Ceci pour des raisons culturelles et religieuses.

Le documentaire "Mother" (à voir ci-dessus) offre une plongée dans le centre de Baan Kamlangchav, en suivant le quotidien de Pomm, aide-soignante totalement dévouée pour ses pensionnaires suisses, qu'elles considèrent comme des mères.

Quand je lui parle, je l'appelle toujours "maman". Il faut utiliser des sentiments pour l'atteindre

Pomm (Chutimon Sonsirichai), aide-soignante à Baan Kamlangchav

Pomm ne connaît que quelques mots de suisse-allemand et parle en anglais. Mais lorsque la maladie d'Alzheimer en est à un stade avancé, la langue compte finalement assez peu. La communication se fait essentiellement par les gestes, l'expression faciale et le ton de la voix. Les malades parlent rarement et ne pas les comprendre peut permettre de ne pas raisonner avec la logique habituelle, expliquent les spécialistes.

Une "grande famille"

Se définissant comme une "Grossfamilie", Baan Kamlangchav a été créé par le Bernois Martin Woodtli. Cet assistant-social et thérapeute a oeuvré pour Médecins sans Frontières pendant quatre ans à Chiang Mai, où il a appris le thai. En 2002, devant s'occuper de sa mère atteint d'Alzheimer, il décide d'émigrer avec elle en Thaïlande. Fort de son expérience positive avec le personnel soignant local, il ouvre son propre centre de soins un an plus tard, à Chiang Mai. L'établissement est composé de plusieurs maisonnettes et d'une piscine. Chaque patient a sa propre chambre. Actuellement, le centre compte une dizaine d'"hôtes", essentiellement des Suisses. Certains y sont en vacances, d'autres en fin de vie. Les proches peuvent séjourner à leurs côtés durant plusieurs semaines. Généralement, ils viennent au moins une fois par année, s'ils ne se sont pas établis dans le pays.

Le centre de soins Baan Kamlangchav veut rester à taille humaine. [Limerick films]
Le centre de soins Baan Kamlangchav veut rester à taille humaine. [Limerick films]

Ouvert en 2014, le ressort Vivo Bene se présente lui comme un village pour retraités suisses. Disposant de 80 chambres réparties dans des pavillons et des villas, l'établissement propose de longs séjours de bien-être ou de soins. Quatre formules sont proposées, avec un degré d'assistance plus ou moins élevé. La Permanentcare est assez proche de ce que offre le centre de Martin Woodti. Toutefois, c'est l'option 2 (Comfortcare) qui compte ici le plus de clients. Plus de 30 personnes sont actuellement prises en charge pour des problèmes neurodégénératifs. La grande majorité de ces personnes (70%) sont suisses mais il y a aussi des Allemands, des Français et des Américains.

Moins cher, mais surtout... mieux

La pension pour les malades d'Alzheimer atteint quelque 3500 francs par mois. C'est deux à trois fois moins qu'un EMS en Suisse, mais tout de même relativement élevé en sachant que les care-givers ne gagnent qu'entre 400 et 800 francs par mois. Le tarif s'explique par la qualité du soutien, permanent et bienveillant. Et c'est justement ça le critère déterminant, assurent les proches. Grâce à cet accompagnement hors normes, l'administration de tranquillisants et la pose de sondes gastriques deviennent nettement moins nécessaires. Et en cas de problèmes sanitaires, pas d'inquiétude, assure Roger Holzer, directeur de Vivo Bene: "Plusieurs hôpitaux privés de Chiang Mai répondent aux normes européennes". La majorité des départs en Thaïlande sont décidés par les proches, et non par le malade, qui n'a alors généralement plus de capacité de discernement.

Beaucoup de gens disent : "Tu amènes ta mère en Thaïlande. Tu te débarrasses d'elle". Beaucoup de gens ne comprennent pas. Au contraire, nous mettons de côté notre envie de la voir

Joyce Gloor, fille d'une malade d'Alzheimer

Quant au déracinement, il n'est pas si mal vécu, à en croire les témoignages. "Au début, le pays natal manque aux hôtes. C'est normal. Mais c'est un problème qui existe aussi quand on intègre un home en Suisse. Grâce à la bonne intégration et au nombre élevé d'hôtes suisses, le mal du pays s'estompe rapidement", assure Roger Holzer, directeur de Vivo Bene. "Les patients sont complètement plongés dans l'instant présent (...) La plupart du temps, ils ne souffrent pas de ne plus voir leur famille", confirme Martin Woodlti, en précisant que ceci provoque même "un déchirement pour les proches". Dans les deux centres, le suisse-allemand et la nourriture helvétique restent quotidiens.

Appel au remboursement des prestations d'aide

Que pense l'organisation Alzheimer Suisse de ces émigrations de malades ? "En Thaïlande, la prise en charge est moins chère. Et l'attitude envers les malades est différente. On a plus de temps à leur consacrer. Et plus de respect", acquiesce la porte-parole Jacqueline Wettstein. Elle ajoute: "L'Alzheimer est une maladie qui ne nécessite pas beaucoup d'actes hautement techniques mais un grand investissement en temps et relationnel".

Toutefois, l'organisation voit d'un mauvais oeil l'immersion dans une autre culture avec une autre langue. La personne atteinte d'Alzheimer a besoin d'un environnement familier. Dans le cas contraire, elle peut être désorientée, voire avoir peur, regrette l'organisation.

Mais surtout, Alzheimer Suisse dénonce un biais: "En Suisse, les budgets alloués aux soins - et encore plus à l'accompagnement - sont insuffisants pour que les soignants et les aidants puissent accorder autant de temps aux malades". Ainsi, Alzheimer Suisse demande "que les prestations d'aide et de soutien soient prises en charge par l'assurance maladie au même titre que les prestations de soins".

Mother. [RTS]
Mother. [RTS]

Les Thaïlandais eux-mêmes ne peuvent d'ailleurs guère s'offrir ce type de prise en charge, comme le relève dans le documentaire l'aide-soignante Pomm, contrainte de vivre loin de ses enfants pour pratiquer son travail: "Cela me fait réaliser les grandes différences entre les riches et les pauvres. (...) Ils ont de la chance. Ils ont assez d'argent pour se payer toute cette assistance. Si un jour je deviens comme ça, qui prendra soin de moi?".

>> Lire : Quand on découvre qu'on a une maladie taboue: l'Alzheimer

Les Docs - Caroline Briner

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Quelle prise en charge financière ?

Les personnes atteintes d'Alzheimer qui partent vivre en Thaïlande peuvent recevoir leurs rentes AVS, ainsi que leurs 3e pilier, si elles en ont. Les moins de 64/65 ans ont le droit à leur rente AI. En revanche, la Lamal ne prend en charge que les soins d'urgence. La plupart des hôtes contracte donc une assurance internationale ou paient de leur poche.

La Thaïlande n'est pas le seul pays où les malades d'Alzheimer émigrent. Il existe des care ressorts aux Philippines, à Taiwan, etc. Mais la plupart des patients suisses partent moins loin, en Allemagne, en Autriche ou en Hongrie.

Les données officielles manquent toutefois pour apporter plus de précisions dans ce domaine. Ni l'Office de la santé publique, ni l'Office des assurances sociales, ni l'Office des statistiques ne savent exactement combien de Suisses atteints d'Alzheimer sont pris en charge à l'étranger.

"Une telle décision est très personnelle et ne dépend pas de la Confédération", précise Daniel Dauwalder, porte-parole à l'OFSP.