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L'union sacrée du monde politique face au coronavirus? Vraiment?

Les partis politiques font bloc derrière le Conseil fédéral dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19 en Suisse. Depuis deux semaines, l'heure n'est plus aux querelles politiciennes. Et pourtant, derrière cette union sacrée, chaque camp prépare déjà l'après-coronavirus.

Lundi 16 mars, trois jours après l'annonce des premières mesures historiques du Conseil fédéral contre le coronavirus, les huit principaux partis du pays publiaient un communiqué commun intitulé "Un pour tous, tous pour un". Le but: montrer l'unité du monde politique derrière le gouvernement.

"Un pour tous, tous pour un", scandent les partis. La devise traditionnelle de la Confédération est devenue leur leitmotiv. Tous ont accepté l'annulation de la dernière semaine de la session de printemps du Parlement. Aucun pour s'offusquer du report de la journée de votation du 17 mai.

Outre le soutien aux mesures sanitaires du Conseil fédéral, les partis remercient le personnel soignant et les autres travailleurs qui continuent de faire fonctionner le pays ou s'inquiètent des conséquences économiques de la crise. La politique partisane semble oubliée.

L'union sacrée vole en éclats

C'est l'union sacrée, vraiment? Après deux semaines de semi-confinement, on voit apparaître les premières fissures dans cette entente. C'est l'UDC qui met le feu aux poudres mardi 31 mars, après un premier ballon d'essai dans la presse dominicale, en demandant une stratégie de sortie de crise dès le 19 avril.

>> Le sujet du 19h30 sur la sortie de crise :

Les partis font part de leurs revendications en vue de la reprise de l'activité économique
Les partis font part de leurs revendications en vue de la reprise de l'activité économique / 19h30 / 2 min. / le 31 mars 2020

L'UDC estime que la pandémie de coronavirus sera beaucoup plus dévastatrice pour l'économie que pour la santé des Suisses. Il demande donc au Conseil fédéral de préparer le redémarrage au plus vite de l'économie. Pour ce faire, il prône le port du masque obligatoire pour tous.

Interrogés par la RTS, les autres partis gouvernementaux conviennent de la nécessité de réfléchir à une sortie de crise. Mais pour l'instant, ils s'en remettent au Conseil fédéral. Ce mardi, Alain Berset a d'ailleurs estimé "illusoire" un retour à la normale le 20 avril. D'après les scénarios les plus optimistes, ce serait plutôt pour la mi-mai.

>> Lire aussi : Un retour à la normale le 20 avril est "illusoire", avertit Alain Berset

La gauche veut un plan de relance

Outre la date de sortie de crise, c'est surtout pour l'après-coronavirus que les partis affûtent leurs armes. Le PS est l'un des premiers à dégainer, avant même les annonces du Conseil fédéral. Dans sa "Stratégie à trois piliers pour surmonter la crise" publiée le 12 mars, il demande un "plan de relance économique", notamment via "des programmes d'infrastructures dans le cadre de la politique climatique".

La nécessité d'un plan de relance est partagée par les Verts. Il faudra saisir cette occasion pour favoriser "la transition écologique de notre économie", écrit la conseillère nationale vaudoise Adèle Thorens, tout en reconnaissant que, à court terme, la crise était "peu propice aux avancées écologiques réelles".

Quid de la droite et du centre?

Les démocrates-chrétiens semblent eux aussi ouverts à un engagement plus marqué de l'Etat. "La pandémie du Covid-19 est une crise qui marque un tournant. (...) Il faut questionner la volonté de maintenir un endettement limité de l’Etat et la réticence de longue date à mener des investissements publics clairvoyants", note le PDC.

"Si l'épidémie est globale, la réponse est nationale", relève pour sa part la section vaudoise de l'UDC. Cette dernière plaide pour "la relocalisation des emplois et des industries", en particulier dans le secteur sanitaire. L'UDC rejoint en ce sens les Verts, qui militent dans un papier de position (en pdf) pour "une stratégie de relocalisation de certains bien stratégiques comme les médicaments".

Enfin, pour le PLR, le seul moyen d'assurer l'avenir de l'économie suisse est d'améliorer les conditions-cadres. Et le parti de remettre la compresse avec sa "stratégie d'avenir pour la place économique suisse", présentée en août 2019 mais "plus actuelle que jamais".

Salaire minimum, revenu universel?

A côté des initiatives en faveur de l'économie, les politiques réfléchissent également aux aides à apporter à la population. Nombreux sont les partis et les élus à demander des actes concrets - et pas seulement des applaudissements - en faveur du personnel de la santé, du personnel de vente et des autres travailleurs qui mènent la barque durant cette crise sanitaire.

Or, le personnel de vente, "une des clés de notre survie", est l'un des corps de métiers les plus mal payés, rappelle la socialiste vaudoise Ada Marra sur Twitter. Elle déplore à ce titre que les Suisses aient refusé en 2014 l'initiative en faveur d'un salaire minimum à 4000 francs. "Nous en reparlerons après la crise. Solidaire AUSSI demain", conclut la vice-présidente du PS.

La crise actuelle relance par ailleurs le débat sur le revenu universel, un instrument balayé par le peuple en juin 2016. "Nous demandons des premières réflexions sur différents modèles de revenu de base inconditionnel", écrivent les Verts (en pdf). A l'instar du PS, le parti écologiste milite également en faveur d'une caisse maladie unique.

Des coûts de la santé qui inquiètent

La question des coûts de la santé est d'ailleurs une source de préoccupation majeure pour nombre de partis. A combien va se monter la facture du coronavirus? Certains experts évoquent un montant de deux à quatre milliards de francs. Et qui va payer, la Confédération ou les assurés, via une hausse de leurs primes maladie?

>> Le sujet du 19h30 sur la facture du coronavirus :

Qui va payer le coût de la crise sanitaire ?
Qui va payer le coût de la crise sanitaire ? / 19h30 / 2 min. / le 31 mars 2020

Le sénateur PLR lucernois Damian Müller, dans le Blick, se montre ouvert à une aide fédérale dans le domaine de la santé. Il n'est toutefois pas certain que les primes explosent, relève le vice-président du parti Philippe Nantermod, interrogé par la RTS. Selon lui, il est possible que la crise coûte très cher au système de santé, mais il est aussi possible que ce coût soit compensé ailleurs.

Du côté du PS, on estime que l'Etat doit venir en aide aux payeurs de primes. Deux mesures sont envisagées: la prise en charge la part des assureurs maladie aux frais de traitement hospitalier stationnaire ainsi que la franchise et la quote-part des patients en lien avec Covid-19. Le PDC, quant à lui, affirme que son initiative pour un frein aux coûts de la santé est la solution.

L'UDC s'attaque à l'Union européenne

Quant à l'UDC, elle profite de la crise pour faire avancer son agenda anti-européen. "L'Union européenne n'existe pas depuis le début de cette crise. Seul l'Etat-nation est en mesure d'agir dans des situations d'urgence", affirme le conseiller national zurichois Roger Köppel sur Twitter.

"La solidarité tant louée dans l'Union européenne n'est que de l'air", lance pour sa part l'UDC Suisse sur son compte Twitter le 25 mars, s'appuyant sur le blocage par la France et l'Allemagne de livraisons de matériel de protection contre le coronavirus.

Pour le parti, la crise met en lumière la dépendance de certains secteurs de l'économie aux travailleurs étrangers, conséquence indirecte, selon lui, de la libre circulation des personnes. "Que faisons-nous si l'Allemagne rappelle les médecins allemands qui travaillent en Suisse?", demande ainsi l'ex-conseiller national zurichois Christoph Mörgeli.

Retour aux fondamentaux

Après deux semaines d'union nationale, la crise du coronavirus débouche au final sur le statu quo politique: le PS veut imposer sa marque avec une réponse sociale forte, les Verts comptent sur leur tournant écologique, le PLR continue de croire aux recettes libérales et l'UDC souhaite capitaliser sur la mésentente au sein de l'UE. Quant au PDC, il se voit en trait d'union entre la gauche et la droite. Un retour aux fondamentaux.

Didier Kottelat

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