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Les logements d'utilité publique, une réalité urbaine et plutôt alémanique

La ville de Zurich détient le plus haut taux de logements d'utilité publique de Suisse. [Keystone - Christian Beutler]
La ville de Zurich détient le plus haut taux de logements d'utilité publique de Suisse. - [Keystone - Christian Beutler]
L'initiative pour des logements abordables, en votation le 9 février, exige qu'au moins 10% des nouveaux habitats soient d'utilité publique. Actuellement, de grandes disparités existent entre les régions concernant ce type d'habitations qui est surtout développé dans les villes et en Suisse alémanique.

Assurer un logement abordable pour tous passe notamment par la construction de logements d'utilité publique, estime l'Association suisse des locataires (ASLOCA) à l'origine de l'initiative (lire encadré).

Concrètement, le texte demande qu'une nouvelle construction sur dix appartienne à une coopérative d’habitation, à une société sans but lucratif ou à une collectivité publique. Or, la part de ces habitats représente actuellement entre 4% et 5% des logements en Suisse.

La Suisse romande à la traîne

C'est dans les grandes villes alémaniques que l'on trouve la majorité de ces structures. Avec près de 20%, Zurich en détient la plus grande part, selon les données de l'Office fédéral de la statistique (OFS), datant de 2017. Il faut dire qu'en 2011, les Zurichois se sont engagés à atteindre un tiers de logements d'utilité publique d'ici 2050.

Parmi les autres grandes villes suisses, Bienne (14%), Lucerne (12%) et Winterthour (11%) font également figure de bonnes élèves, suivies de Bâle (10%) et de Berne (9%).

En revanche, la Suisse romande semble à la traîne. Lausanne et Genève ne comptabilisent respectivement que 8% et 5% de logements à but non lucratif. La tendance est toutefois à la hausse, note le spécialiste de l'immobilier Hervé Froidevaux au sein du consultant Wüest Partner: "Il y a beaucoup d'efforts qui sont faits pour développer les coopératives dans les cantons romands. On le voit à Genève et à Lausanne, mais également à Neuchâtel où il y a des nouvelles réalisations de coopératives."

"Cela ne sert à rien de développer des coopératives en périphérie"

Si les coopératives d'habitation sont majoritairement présentes dans les zones urbaines, ce n'est pas un hasard, souligne Hervé Froidevaux: "C'est là qu'on en a besoin. C'est dans les grandes villes et dans leurs agglomérations qu'il faut les développer. Ca ne sert à rien d'aller en périphérie où les loyers sont déjà largement abordables pour la plupart de la population (voir carte ci-dessous, ndlr.)."

La location d'un appartement au sein d'une coopérative est en effet 15% meilleur marché en moyenne par rapport aux immeubles ordinaires: "Et dans les grandes villes, c'est même 24%", assure l'expert.

Celui-ci s'attend par ailleurs à une détente du marché immobilier, y compris dans les zones de pénuries telles que l'Arc lémanique: "Si on regarde les grands projets en cours, il y a beaucoup de choses prévues dans les zones de développement genevoises, dans l'Ouest lausannois - avec le projet Métamorphose - mais aussi dans l'entre-deux. Et ces logements sont souvent à loyers contrôlés, donc ça va se détendre."

Risques potentiels

Les coopératives ne sont toutefois pas la panacée et peuvent comporter des risques, explique encore Hervé Froidevaux. "Ce sont souvent des sociétés qui ont un grand taux d'endettement. Et si on augmente la charge des taux, on augmente le coût et donc les loyers."

Et de pointer un autre cas de figure pouvant fragiliser la structure: "Si la coopérative se trouve en périphérie par exemple, dans des zones où il y a une hausse de logements vacants, cela peut avoir un lourd impact sur les finances de la coopérative."

>> Les explications d'Hervé Froidevaux :

itv-froidevaux-cooperatives
Coopératives d'habitation: les explications de l'exper Hervé Froidevaux / L'actu en vidéo / 4 min. / le 19 janvier 2020

Ils créent leur propre logement abordable

A Neuchâtel, une dizaine de citoyens ont décidé de créer leur propre coopérative. Objectif: habiter dans un immeuble écologique, en ville, avec un accès à des jardins partagés, le tout pour un loyer abordable. Après huit ans de séances puis de travaux, les membres de "La coopératives d'en face" ont emménagé dans leur logement en avril 2019.

Ici, tout se décide collectivement et tout le monde met la main à la pâte, assurent les résidents. Plusieurs groupes de travail ont été créés pour la gestion de la structure, dont le coût avoisine les neuf millions de francs.

Chacun des coopérateurs et des coopératrices a versé une part sociale correspondant à 7000 francs par pièce de leur appartement. Une somme récupérée lorsque ces personnes décideront de quitter la coopérative. D'utilité publique, cette dernière ne vise en effet pas à faire de la spéculation, mais à maintenir des prix de loyer au niveau des coûts et non au niveau du marché.

>> Le reportage à "La coopérative d'en face", à Neuchâtel :

"Non, nous ne sommes pas des 'bobo-écolo'": reportage dans La coopérative d'en face, à Neuchâtel
"Non, nous ne sommes pas des 'bobo-écolo'": reportage dans La coopérative d'en face, à Neuchâtel / L'actu en vidéo / 4 min. / le 22 janvier 2020

Mathieu Henderson

Cartes: Valentin Tombez

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Sur quoi vote-t-on le 9 février?

L'initiative populaire de l'Association suisse des locataires (ASLOCA) veut inciter la Confédération et les cantons à encourager davantage la construction d'habitations à loyer modéré, avec un minimum de 10% de logements "abordables".

"Les coopératives d'habitation ne sont pas seulement nécessaires dans les villes, mais également dans les agglomérations moyennes et petites. Il s'agit de produire et de conserver des logements avec des loyers inférieurs au loyer du marché aussi dans ces agglomérations. L'objectif est également de sortir définitivement des logements de du marché libre spéculatif", estime l'ASLOCA.

Pour atteindre ce seuil de 10%, cantons et communes pourraient faire valoir un droit de préemption, notamment sur les immeubles appartenant à la Confédération ou à des entreprises qui lui sont liées, comme les CFF ou La Poste. L'initiative demande aussi à ce que les subventions publiques, par exemple pour les assainissements énergétiques, soient accordées seulement à condition qu'elles n’entraînent pas la disparition de logements à loyer modéré.

Les opposants dénoncent un texte "trop rigide et injuste"

A l’exception des socialistes et des Verts, tous les principaux partis, avec l’Union suisse des arts et métiers et des organisations patronales, de propriétaires fonciers et de professionnels de l’immobilier, sont opposés au texte qu'ils jugent "trop rigide". Le comité estime également que l'initiative est contraire à la liberté contractuelle et à la garantie de la propriété, et juge "injuste" que les contribuables passent à la caisse pour financer les coûts liés à l'application de l'initiative, estimés par le Conseil fédéral à 120 millions de francs annuels.

Quant au Conseil fédéral, il voit dans le texte une ingérence disproportionnée et inutile dans l’approvisionnement en logements qui fonctionne bien dans son ensemble. Le gouvernement a toutefois proposé au Parlement de débloquer un montant de 250 millions de francs sur dix ans. Le Parlement, qui a également rejeté l'initiative de l'ASLOCA, a accepté de suivre le Conseil fédéral sur ce point. Ce montant sera débloqué en cas de refus du texte le 9 février.