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Un traitement qui ferait économiser plus de 150 millions par an bloqué

Un traitement médical qui ferait économiser plus de 150 millions par an bloqué
Un traitement médical qui ferait économiser plus de 150 millions par an bloqué / Forum / 2 min. / le 22 novembre 2019
Les médicaments contre certaines causes de cécité des seniors ont coûté 185 millions de francs en 2018 à l'assurance de base. Une alternative, adoptée par plusieurs pays, permettrait d'économiser plus de 150 millions par année, selon nos estimations. Mais en Suisse la situation reste bloquée.

Plus l'histoire dure, plus elle coûte cher. Depuis une dizaine d'années, des voix s'élèvent pour dénoncer le coût du traitement contre la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). Cette maladie chronique, première cause de cécité chez les seniors, affecte une personne sur dix dès 65 ans.

Le problème? Les traitements remboursés en Suisse coûtent plus de 1000 francs par injection alors qu'un médicament similaire, 10 à 30 fois moins cher, n'est pas remboursé.

Cette alternative, c'est l'Avastin, un anticancéreux de Roche à moins de 100 francs l'ampoule. Son efficacité contre la DMLA est reconnue depuis 2011 mais l'Avastin n'est toujours pas autorisé en Suisse pour traiter cette maladie.

Les médecins doivent donc soigner la DMLA avec le Lucentis de Novartis ou, depuis 2012, l'Eylea de Bayer. Tous deux figurent une nouvelle fois en 2018 parmi les 10 médicaments qui coûtent le plus à l'assurance de base, d'après le classement annuel publié vendredi par Helsana.

>> Interview du conseiller national Benjamin Roduit (PDC/VS) dans Forum :

Coût du traitement de la dégénérescence maculaire: interview de Benjamin Roduit
Coût du traitement de la dégénérescence maculaire: interview de Benjamin Roduit / Forum / 1 min. / le 22 novembre 2019

166 millions d'économies par année

Pour mesurer l'ampleur du problème, nous avons calculé les économies qui auraient pu être réalisées en remplaçant le Lucentis et l'Eylea par l'Avastin.

En 2018, la facture pour le Lucentis et l'Eylea a atteint 185 millions de francs, selon des chiffres obtenus auprès de Curafutura, la faîtière d'assureurs maladie. En soignant les patients avec l'Avastin, le coût pour l'assurance de base aurait été inférieur à 19 millions de francs.

Les économies potentielles se montent ainsi à 166 millions de francs en 2018 pour ce seul traitement. Depuis 2014, ce sont 840 millions qui auraient pu être épargnés.

Ces chiffres semblent colossaux si on les compare aux économies projetées pour 2020 par l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui vise 100 millions de francs après avoir baissé le prix de centaines de médicaments.

>> Lire :

Roche coupable?

Alors que la maîtrise des coûts de la santé est devenue une priorité des autorités, cette situation est pour le moins fâcheuse. A qui la faute?

Si l'Avastin n'est pas remboursé en Suisse pour traiter la DMLA, c'est principalement parce que Roche n'en a jamais fait la demande. "Le développement du bevacizumab (ndlr: l'Avastin) pour usage intraoculaire n'offrirait aucun avantage médical supplémentaire par rapport aux produits déjà approuvés pour la DMLA", explique l'entreprise, qui dit préférer "concentrer ses recherches sur la découverte de nouveaux médicaments".

Ainsi, Roche a toujours laissé le champ libre au Lucentis de Novartis. Comme ce dernier figure sur la liste des médicaments remboursés depuis 2007, la loi interdit aux assureurs de rembourser un traitement qui n'est pas homologué pour cette maladie, même si l'Avastin s'avère aussi efficace et est 10 fois moins cher que le Lucentis.

Face aux oppositions de Roche d'étendre l'indication de son médicament, plusieurs pays ont pris les devants. Ils ont forcé le fabricant à coups de décrets et de batailles juridiques. Depuis quelques années, l'Avastin est ainsi remboursé pour la DMLA en France, aux Pays-Bas, en Italie ou encore en Grande-Bretagne.

Changement "pas opportun"

En Suisse, plusieurs élus, de gauche et de droite, ont déposé au fil des ans des interpellations et des motions sur le sujet. En mars dernier, la socialiste genevoise Laurence Fehlmann Rielle a encore demandé au Conseil fédéral d'autoriser le remboursement des médicaments efficaces et moins chers, même s'ils ne sont pas homologués.

Du côté des assureurs, on se méfie des remboursements hors homologation. Gaël Saillen, porte-parole d'Helsana, plaide pour une autre solution à ce problème: "Il faudrait le droit, pour les assureurs et les associations de patients, d'inscrire un médicament sur la liste" des médicaments remboursés.

Dans sa réponse à la motion de Laurence Fehlmann Rielle, le Conseil fédéral ne juge "pas opportun" de modifier la loi. Selon lui, la balle doit rester dans le camp de la pharma. La situation suisse ne changera donc que si Roche en décide ainsi.

Accord entre Roche et Novartis

Pourquoi Roche se bat-il contre l'utilisation de son médicament pour soigner la DMLA? Pour le comprendre, il faut remonter à l'origine du Lucentis.

Lorsque Genentech, une filiale de Roche, développe l'Avastin pour freiner la croissance de tumeurs, des chercheurs découvrent que ses propriétés permettent aussi de stopper la DMLA. Genentech met alors au point le Lucentis en reformatant la molécule de l'Avastin pour l'ophtalmologie.

En 2006, Roche obtient le feu vert pour lancer le Lucentis sur le marché, avec un prix beaucoup plus élevé que celui de l'Avastin. Il se charge de sa commercialisation aux Etats-Unis et cède à Novartis les ventes dans le reste du monde. Rapidement, le Lucentis rapporte des milliards aux deux géants bâlois. Bien que concurrentes, les deux entreprises ont donc des intérêts à défendre le Lucentis plutôt que l'Avastin.

Statu quo

L'accord entre Roche et Novartis leur vaut plusieurs enquêtes et procès pour entente illicite présumée, notamment au sein de pays de l'Union européenne et aux Etats-Unis.

>> Lire : La Suisse impuissante face à la collusion présumée de firmes pharmaceutiques

Pendant ce temps, en Suisse, le statu quo perdure. Au rythme où vont les choses, la question sera sûrement résolue toute seule. Novartis et Roche ont dans leur pipeline de nouvelles molécules pour traiter la DMLA, qui pourraient remplacer le Lucentis dans quelques années. Mais à quel prix?

Valentin Tombez avec Tybalt Félix

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+60% des dépenses en cinq ans

La dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) représente un marché en pleine expansion pour les entreprises pharmaceutiques. En Suisse, les deux traitements remboursés, le Lucentis et l'Eylea, constituent déjà près de 3% de la facture totale des médicaments. Et leur progression est fulgurante.

En cinq ans, les dépenses de l'assurance de base pour ces deux traitements ont bondi de 60%. Ils sont passés de 116 millions de francs en 2014 à 185 millions en 2018, selon des chiffres obtenus auprès de Curafutura.



La DMLA frappe particulièrement les pays industrialisés avec une population vieillissante. Actuellement, 67 millions de personnes sont touchées par la maladie en Europe.

D'après une nouvelle étude, relayée mardi par Le Temps, le nombre de cas devrait grimper de 15% en Europe d'ici à 2050. De quoi attiser l'appétit des pharmas, qui ont plusieurs molécules en phase de tests. Pour l'heure, il n'existe que des médicaments pour traiter la forme humide de la maladie.