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"Il aurait fallu que je meure pour que les gens me prennent au sérieux"

"Il aurait fallu que je sois morte pour que les gens me prennent au sérieux"
"Il aurait fallu que je sois morte pour que les gens me prennent au sérieux" / L'actu en vidéo / 3 min. / le 25 septembre 2019
Harcelée et menacée de mort par son ancien compagnon, une Romande raconte son parcours de victime face à la police et la justice. Un quotidien vécu dans la peur en Suisse où la violence domestique tue une femme tous les 15 jours.

"Je me disais souvent qu'il aurait fallu que je meure pour que les gens me prennent au sérieux". Un constat froid prononcé par la frêle voix d'une Romande en état d'alerte. Cette quadragénaire a vécu une relation de huit mois avec un homme qui l'agressait verbalement. Lorsqu'elle décide d'y mettre fin, il menace de la tuer, la harcèle et finit par mettre le feu à sa grange.

Apeurée, elle avertit la police à plusieurs reprises. "Mais quand je les appelais, je les dérangeais", raconte-t-elle dans le 19h30. "Les policiers me disaient qu'ils ne pouvaient pas me surveiller constamment et que je devais les rappeler si je le voyais. J'aurais eu le temps d'être tuée sans que personne ne le sache."

Après plusieurs dépôts de plaintes et une expertise psychiatrique, l'homme est condamné à deux ans de prison ferme. Mais il réussit à fuir, relate-t-elle. "J'ai appris cela plus d'un an après sa fuite", précise la Romande, qui remarque alors de nouveaux dommages à ses affaires. "Là j'ai averti la police qui ne m'a jamais répondu. Par le biais de mon avocat, j'ai su qu'il était en fuite depuis un an."

>> Revoir son témoignage dans le 19h30 :

Témoignage d'une femme menacée de mort par son conjoint: "la police ne nous protège pas".
Témoignage d'une femme menacée de mort par son conjoint: "la police ne nous protège pas". / 19h30 / 3 min. / le 25 septembre 2019

Des mesures d'éloignement parmi les outils de la police

Dans son parcours de victime, très vite, cette Romande a pris elle-même des dispositions pour se protéger, dont l'installation d'alarmes. Cela malgré l'existence de mesures d'éloignement prononcées contre son ancien compagnon qui revenait rôder autour de son domicile.

Ces mesures dites d'éloignement ou d'expulsion font partie de l'arsenal dont disposent les autorités pour lutter contre la violence domestique. En Suisse romande, les cantons se sont armés législativement afin que les forces de l'ordre puissent expulser immédiatement un conjoint violent ou menaçant, voire lui interdire un certain périmètre.

A Genève par exemple, 465 mesures d'éloignement ont été enregistrées depuis le début des relevés de la police cantonale, dont la très grande majorité après la réforme législative de 2011. Une faible proportion de ces mesures visait une personne qui avait déjà été sous le coup d'une mesure précédente, selon les données fournies par la police cantonale: un auteur présumé a eu trois mesures à son actif et 20 en ont eu deux à leur actif. Des chiffres qui ne permettent pas à eux seuls de mesurer le phénomène de récidive, nuancent plusieurs observateurs.

La zone rouge de la récidive

"Je pense que la majorité des auteurs de violence domestique vont respecter les mesures d'éloignement", estime Blagena Poscio, responsable cantonale d'un centre d'aide aux victimes. "Par contre, quand une personne ne respecte pas ces mesures, on est dans une situation où tous les voyants vont s'activer. Un passage à l'acte pourrait avoir lieu."

Un passage à l'acte, c'est-à-dire un féminicide. En 2018, la violence domestique a tué 24 femmes en Suisse, selon la Statistique policière de la criminalité. Un total de 24 femmes tuées par leur partenaire, au sein d'une relation parents-enfants ou d'un autre lien de parenté. Soit environ une femme tous les 15 jours.

"Dans les situations à haut risque, il est parfois nécessaire que la personne soit hébergée dans une structure pour la protéger, mais ces mesures sont sur du court-terme, ce sont les limites du système", ajoute Blagena Poscio, qui appelle à repenser certaines procédures quand la ligne rouge est franchie. "Notamment lorsque les mesures d'éloignement ne sont pas respectées, il faudrait que les autorités puissent sanctionner rapidement et plus sévèrement."

"Les mesures d'éloignement ne sont qu'un outil parmi d'autres", explique de son côté Sami Hafsi, chef de la police judiciaire neuchâteloise. "La prévention et la gestion de la violence en sont d'autres, ainsi que le fait de travailler sur le contexte durant lesquels les actes se répètent."

>> Voir l'interview du chef de la police judiciaire neuchâteloise :

Sami Hafsi, chef de la police judiciaire neuchâteloise, s'explique sur la protection des femmes menacées
Sami Hafsi, chef de la police judiciaire neuchâteloise, s'explique sur la protection des femmes menacées / 19h30 / 2 min. / le 25 septembre 2019

Le danger de l'isolement

Du côté des victimes de violence domestique, difficile de continuer à vivre sans traumatisme. L'état d'alerte permanent dans lequel se trouve la Romande qui s'est confiée à la RTS lui a laissé des séquelles, dont des pertes de mémoire, de la fatigue et des difficultés relationnelles. Elle vit toujours avec la peur au quotidien.

"Personne ne peut me donner l'assurance que cela ne va pas recommencer, personne", confie-t-elle. "C'est comme une perte de liberté, parce que la société ne joue pas son rôle, ne nous protège pas comme il faudrait qu'elle nous protège."

"Aujourd'hui en Suisse, nous ne sommes pas en mesure de protéger toutes les victimes, c'est certain", indique Blagena Poscio. "Ce qui est dramatique, c'est que ces personnes-là se découragent à un moment donné. Elles ne vont peut-être plus faire confiance, elles n'auront peut-être plus le courage de demander de l'aide. Mais c'est vraiment important qu'elles continuent à demander une assistance. Car ces moments-là sont les plus dangereux: quand la victime va rester seule, isolée."

Témoignage recueilli par Chloé Steulet

Adaptation web de Tamara Muncanovic

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Des mesures variables selon les cantons

Certains cantons romands ont mis en place des lois spécifiques sur les violences domestiques, d'autres ont adapté leur loi sur la police pour y intégrer des mesures de protection des victimes. A Genève, une mesure d'éloignement administratif telle qu'autorisée par la loi cantonale consiste à interdire à un auteur présumé de violences domestiques de pénétrer dans des lieux déterminés, de prendre contact avec une ou plusieurs personnes ou de s'en approcher. En 2017, 44 mesures d'éloignement ont été prononcées dans le canton de Genève, 43 à l'encontre d'hommes et une à l'encontre d'une femme, selon l'Office cantonal de la statistique.

Dans le canton de Vaud, environ un quart des interventions de police dans le cadre de la violence domestique aboutissent à une expulsion, indique le Bureau cantonal de l'égalité, alors qu'à Neuchâtel, la police recense une trentaine de cas d'éloignement par année en 2017 et 2018. Quant à Fribourg, 25 expulsions du domicile au moment de l'intervention de la police ont été recensées pour l'année en cours. En Valais, 90 mesures d'expulsion ont été prononcées par la police l'an dernier lors d'interventions en 2018, d'après le Bureau de l'égalité. Des mesures à durée variable selon les cantons.

Une surveillance électronique passive dès 2022

En juillet dernier, le Conseil fédéral a annoncé l'entrée en vigueur de plusieurs mesures afin de mieux protéger les victimes de violences domestiques. Dès juillet 2020, une victime qui porte une affaire de violence, de menaces ou de harcèlement devant un tribunal n'aura pas à assumer les coûts liés aux procédures judiciaires. Ceux-ci pourront être mis à la charge de l'auteur des violences, notamment en cas de condamnation.

Par ailleurs, des dispositions concernant la surveillance électronique entreront en vigueur en 2022. Un délai de trois ans donné aux cantons afin que ceux-ci s'organisent et règlent la procédure. Un juge pourra alors contraindre un auteur de violences à porter un bracelet électronique. Mais la personne ne sera pas contrôlée en permanence, le gouvernement ayant jugé cette option trop coûteuse.