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"On m’a dit que mon homosexualité était un péché, et une maladie"

Un espace de parole sur l'homosexualité et la spiritualité existe à Genève.
Des thérapies de conversion pour homosexuels sont encouragées par certains milieux. Des espaces de parole existent. / 19h30 / 5 min. / le 3 février 2019
Soigner son homosexualité. La pratique peut étonner, voire choquer et pourtant elle existe aujourd’hui en Suisse, le plus souvent dans les milieux religieux conservateurs. Des thérapies qui marquent ceux qui les vivent pour le reste de leur vie. Témoignages. 

Thomas a grandi dans une communauté religieuse en Suisse allemande. Il a, aussi loin qu'il s’en souvienne, toujours été attiré par les hommes, mais pour lui impossible de l’accepter. "C'était une communauté qui voulait vivre avec les principes de la Bible, détaille-t-il dimanche dans le 19h30 de la RTS. J’ai grandi en entendant qu’il fallait se marier, avoir des enfants, et que l’homosexualité était un comportement sexuel problématique, un péché ou même une maladie."

Le jeune homme rencontre alors des pasteurs, se procure des livres de conversion, prie beaucoup dans le but d’oublier son attirance pour les hommes, sans y parvenir. A 25 ans, il participe à un séminaire où on lui dit que son homosexualité est un démon dont il doit se libérer. Il en ressort traumatisé: "J’étais par terre et j'étais entouré par des gens qui priaient de manière très très violente, pour sortir ce démon de l'homosexualité de moi. A la fin, je me sentais comme une chaussette qui était tournée dans l'autre sens, j’avais l'impression que j’avais tourné mon intérieur à l’extérieur."

Après plusieurs épisodes similaires, Thomas se marie à une femme et il a deux enfants. Ce n’est qu’à passé 40 ans qu’il fait son coming out. Aujourd’hui, il milite au sein de l’association LGBT de Fribourg, Sarigai, pour que son histoire ne devienne pas aussi celle d’un autre.

Les "thérapies de conversion"

Les personnes qui comme lui ont vécu ce qu’on appelle des "thérapies de conversion" sont nombreuses, partout dans le monde. Si l’on parlait dans les années 60 de traitements par électrochocs ou vomissements, aujourd’hui ce sont des accompagnements psychologiques qui restent répandus, souvent liés à des mouvements religieux.

Sur internet, les sites figures de proue de ces méthodes comme Torrents de Vie ou Oser en Parler présentent de nombreux témoignages d'"ex-gays", aujourd’hui convertis à l’hétérosexualité, et vantent les mérites de ces méthodes. L’an dernier, c’est le pape François qui a créé la polémique en affirmant lors d’une conférence de presse: "Quand [l’homosexualité] se manifeste dès l’enfance, il y a beaucoup de choses à faire, par la psychiatrie, pour voir comment sont les choses."

L'homosexualité "due à une souffrance"

En Suisse, on retrouve ce discours dans les milieux religieux traditionalistes, ainsi que chez certains membres de l’Union démocratique fédérale (UDF), un parti politique qui se positionne en faveur de l’éthique chrétienne et de la famille traditionnelle. Pour Jean-Luc Ruffieux, président de sa section genevoise, l’homosexualité est souvent due à une blessure dans l’enfance: "Je pense que c'est une lacune socio-affective, une grande souffrance qui est apparue dans l'enfance par la présence d’un père trop absent ou trop autoritaire."

Son parti est actuellement en récolte de signatures pour un référendum contre la modification de la norme pénale antiraciste, qui interdit désormais légalement l'homophobie. Son but: conserver la liberté de parole sur les thèmes liés à l’homosexualité, notamment la possibilité d’une conversion. Pour Jean-Luc Ruffieux, "il est très difficile de sortir de l'homosexualité, mais il y a des gens qui se sont remis en question parce qu'ils étaient dégoûtés ou révoltés parce qu’ils passaient d’un partenaire à l’autre. Mais ce n’est pas possible de le faire seul, il faut un bon accompagnement".

En Suisse, beaucoup de ces thérapies ont lieu au sein d’églises évangéliques. Leurs représentants confient à la RTS qu'ils "regrettent et rejettent toute pratique qui met les personnes sous pression pour changer leur identité sexuelle, et essayer d'accorder une grande valeur à l’accueil et à la liberté de chacun".

Un besoin de se reconstruire

Reste que pour ceux qui ont vécu ces thérapies, il y a un besoin de se reconstruire. A Genève, l’antenne le LAB propose un espace de parole où chacun peut partager son vécu. Plusieurs sont passés par des thérapies de conversion. Simon, l’un des membres de ce groupe, en a été traumatisé. Il a même pensé au suicide. "Pendant longtemps, j’ai pensé que je n’avais pas de place sur cette terre-là. Si je perdais l’amour de Dieu qui était mon seul ami depuis l’enfance mieux valait en finir", témoigne-t-il.

Muriel, elle aussi, est passée par là. C’est grâce à ce groupe qu’elle a finalement réussi à s’accepter. "La foi et la spiritualité font partie de ma vie autant que mon orientation affective et en renier l'une, c'est couper une part de moi- même", confie-t-elle.

Adrian Stiefel, le fondateur de ce groupe, a lui-même vécu une tentative de conversion. Par cet accueil, il veut réconcilier spiritualité et communauté LGBT: "Je pense que ce genre de pratiques créent des dégâts intérieurs extrêmement profonds au niveau de l'identité et c'est aussi pour cette raison que j'avais à coeur de pouvoir fonder cette antenne dans le but de pouvoir réconcilier tout un chacun, avec sa spiritualité mais aussi offrir un cadre dans lequel toute personne en recherche de sens et de spiritualité peut vivre sa foi."

Céline Brichet/boi

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