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Les frustrations sexuelles des femmes seraient liées à notre héritage culturel

Petite mort, la
Avec "La petite mort", la réalisatrice a voulu libérer la parole des femmes sur l'orgasme.
Le film suisse "La petite mort" révèle que la plupart des femmes connaissent encore trop mal leur sexe et qu'elles comptent trop sur l'organe masculin pour obtenir un orgasme. Interview de la documentariste.

Ni les jeunes femmes, ni les jeunes hommes "ne savent comment fonctionne la sexualité féminine", constate Maggie Tapert dans le film "La petite mort", sorti en 2018 et actuellement diffusé par la RTS (à voir ci-dessus). La sexologue fustige "notre culture", "qui nous a appris à nous concentrer sur le pénis et sur les besoins des hommes". Elle déplore le manque d'attention sur le clitoris et affirme que "70% des femmes n’ont jamais d’orgasme par pénétration".

Pourtant, au fond d'elles, toutes les femmes rechercheraient le plaisir. "Je pense qu’on a tendance à se mentir en disant que l’orgasme n’est pas la finalité", confie Aurore, l'une des protagonistes du film.

Lorsqu'elle était âgée de 31 ans, Annie Gisler a fait le constat qu'elle avait peu d'expérience en matière d'orgasme. La Fribourgeoise décide alors de s'attaquer à ce tabou. Elle a interviewé 27 personnes pour réaliser son documentaire. Cinq d'entre elles ont accepté de témoigner face caméra.

RTSinfo: En regardant votre film, on voit que les femmes ont encore une grande méconnaissance de leur sexe. Pourquoi ?

Annie Gisler: Beaucoup de facteurs l'expliquent. L'éducation sexuelle est le premier problème. Elle reste trop centrée sur la contraception et les maladies. La notion de plaisir n'est pas abordée. Et le clitoris est encore trop absent des manuels scolaires, au contraire du pénis. L'autre problème est la représentation de la sexualité féminine dans notre société. Que ce soit par la pornographie, ou même par les films grand public, elle reste représentée sous l'angle du plaisir masculin.

Annie Gisler, réalisatrice fribourgeoise résidant à Zurich. [Dok Mobile]
Annie Gisler, réalisatrice fribourgeoise résidant à Zurich. [Dok Mobile]

Certaines femmes reconnaissent n'avoir jamais regardé leur sexe dans un miroir. Est-ce lié à un tabou?

Il y a beaucoup de connotations négatives autour du sexe féminin. Cela se voit jusque dans notre langage, avec les expressions "con", "pute", etc. Notre société est encore influencée par le lourd héritage du patriarcat et de la religion. Le sentiment de culpabilité lié au sexe demeure. Si les femmes sont trop actives, ce sont des salopes. Le contraire est vrai aussi cependant: si elles n'ont pas souvent envie, elles sont qualifiées de frigides. Dans tous les cas, il y a beaucoup de jugements.

Le rapport de la médecine avec le sexe féminin a fortement évolué dans le temps. Au XVIIIe et XIXe siècle, la masturbation féminine était recommandée. Puis elle a été proscrite. De même, Freud a proclamé que la pubère ne devait "investir que son vagin, et non plus son clitoris, pour devenir une femme". Où en est-on aujourd'hui?

Selon moi, Freud a fait beaucoup de mal à la sexualité féminine avec son injonction à jouir par la pénétration. Et aujourd'hui, si la société s'est libérée avec Mai 68, il me semble que les connaissances scientifiques sur le plaisir féminin ne sont pas encore assez partagées. D'après les témoignages de jeunes médecins que j'ai recueillis, le sexe féminin reste abordé de manière trop superficielle durant les études.

Le clitoris a une partie extérieure et une plus grande partie intérieure. [Dok Mobile]
Le clitoris a une partie extérieure et une plus grande partie intérieure. [Dok Mobile]

L'une des femmes qui témoignent dans votre film déplore avoir reçu de sa mère des recettes de cuisine, mais pas de conseils sur l'orgasme. Pensez-vous vous aussi que les parents doivent mieux aborder le sujet?

Bien sûr. Je pense que les parents sont la première source de transmission pour la vie, ils ont donc un rôle à jouer à ce niveau-là. Mais l'école doit aussi faire sa part, aborder la notion de plaisir, ne plus se focaliser sur la pénétration d'un pénis dans un vagin et plus globalement ne plus être autant hétéronormative.

Pensez-vous que la libéralisation du sexe féminin a un temps de retard sur la libéralisation de la femme?

Oui. Je pense qu'on peut être féministe au quotidien, au travail, etc. et ne pas être libérée. Tant qu'on ne s'est pas appropriée son corps, il manquera toujours quelque chose d'important.

Que peuvent faire les femmes pour changer la donne?

Il faut arrêter de penser que l'orgasme féminin dépend du travail du partenaire. Il dépend des deux personnes. Les femmes doivent se prendre en main et mieux communiquer. Pour les hommes aussi, ce n'est pas facile. Pour l'heure, il reste tacite que c'est eux qui doivent apporter un orgasme à la femme.

Pourquoi n'avoir donné la parole à aucun homme dans votre film? N'avez-vous pas peur de créer un sentiment d'exclusion de leur part?

Parce que j'avais envie d'entendre les femmes, qu'on n'entend pas assez souvent. Et à un moment, les hommes doivent aussi savoir écouter. Mais cela ne veut pas dire que leurs paroles ne seraient pas intéressantes. Ce serait juste un autre film.

Propos recueillis par Caroline Briner

>> Le documentaire "La petite mort" a été diffusé sur RTS2 lundi. Il est disponible dans RTSplay jusqu'au 19 février 2019.

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Le clitoris, un organe grand de 10 cm

Considéré comme le pénis des femmes, le clitoris est l'organe sexuel féminin du plaisir. Il est irrigué par 8000 nerfs.

Contrairement aux idées reçues, ce "bouton magique" ne se résume pas à sa partie visible située au sommet des petites lèvres, le gland et le capuchon. Sous ce centimètre immergé se cachent encore 10 centimètres de racines, qui entourent le vagin et l'urètre. De fait, lorsque que le vagin est stimulé, le clitoris l'est lui aussi.

La première mention connue du clitoris remonte à 1558. La taille réelle du clitoris n'a été révélée qu'en 1998, grâce au travail de l'urologue australienne Helen O'Connell. Jusqu'alors, les racines étaient nommées "bulbes vestibulaires".

Une réalisatrice fribourgeoise active à Zurich

Née en 1983, Annie Gisler a vécu à Fribourg, avant de partir étudier la photographie et le cinéma à Zurich, Madrid, Buenos Aires et San Jose (Costa Rica).

Active dans la fiction comme dans le documentaire, elle a réalisé un long métrage ("La petite mort", 2018) et deux courts métrages ("Le dimanche en famille", 2013, et "Célestine", 2013).