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Deux fois plus polluant que l'aviation, le numérique pèse insidieusement sur le climat

Guillaume Pitron, journaliste et réalisateur. [guillaumepitron.com]
L’impact écologique de nos actions informatiques: interview de Guillaume Pitron / La Matinale / 8 min. / le 24 mai 2022
Invisible, contre-intuitive et néanmoins considérable, la pollution engendrée par nos actions numériques risque de devenir l'un des grands enjeux environnementaux à venir. Invité mardi dans La Matinale, le journaliste Guillaume Pitron invite à prendre conscience de l'ampleur du phénomène.

Envoyer ou conserver un e-mail, liker ou partager quelque chose sur les réseaux sociaux, consommer un film ou de la musique en streaming: toutes ces actions en apparence anodines génèrent une pollution plus importante que celle de l'ensemble du secteur aérien.

"On estime que le numérique représente 4% des émissions de gaz à effet de serre, il y a un relatif consensus à ce sujet. À titre de comparaison, l'avion c'est 2,4%", souligne d'emblée Guillaume Pitron, journaliste spécialiste de la géopolitique des matières premières, auteur de "L'enfer numérique, voyage au bout d'un like" (Les Liens qui Libèrent, 2022). "Et ce sont des chiffres qui sont en constante augmentation, puisque nos vies sont toujours plus connectées."

Le journaliste rappelle qu'il existe deux vecteurs de pollution de l'industrie du numérique: la pollution matérielle engendrée par l'extraction, le transport et la transformation des matières premières, en particulier des métaux rares qui servent à fabriquer ordinateurs et téléphones; et la pollution générée par l'action numérique elle-même, qui nécessite de l'électricité. Or, dans le monde, "l'électricité provient encore majoritairement (ndlr. environ 35%) du charbon", note-t-il. Un combustible extrêmement polluant.

Ambiguïté sensorielle

Mais le numérique reste une source de pollution à laquelle on pense peu, tant l'usage de ces outils est devenu anodin. Guillaume Pitron souligne que désormais, presque toutes nos actions dans la vie ont un double-impact, car énormément de données sont stockées automatiquement dans des centres de données. "Quand je me déplace dans la rue avec un smartphone dans la poche, je laisse une trace de ma géolocalisation dans un centre de stockage", illustre-t-il.

Si cet impact environnemental reste peu pris en compte et thématisé dans les débats publics, c'est aussi parce que cette pollution est moins palpable: "Ce n'est pas comme un pot d'échappement qui génère de la fumée. Nos sens ne sont pas directement confrontés à la pollution numérique".

Le journaliste note encore un aspect ergonomique et esthétique. "Un téléphone portable, c'est un bel objet. Il y a une ambiguïté sensorielle entre l'usage et le contact quotidien avec le téléphone portable, qui est généralement un objet éthéré et beau, qui masque l'immense complexité de l'infrastructure qu'il y a derrière", qui pollue considérablement.

Vingt-trois fois moins de consommation en wi-fi

Guillaume Pitron appelle à renoncer à l'illusion d'un internet propre. "Rien n'est propre. Mais il faut aller vers un internet responsable. Cela passe d'abord par l'allongement de la durée de vie des produits", dit-il.

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Au niveau de la consommation des données, il sera selon lui beaucoup plus compliqué de modifier un mode de consommation qui s'est solidement installé dans nos quotidiens, de manière presque naturelle. Il suggère toutefois une piste d'amélioration significative dans les comportements individuels: "Quand vous êtes chez vous, passez votre consommation numérique via votre wi-fi plutôt que votre 4G. Parce que le wi-fi consomme 23 fois moins d'électricité que les données mobiles."

Propos recueillis par Valérie Hauert

Texte web: Pierrik Jordan

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