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James-Webb, le télescope le plus puissant jamais conçu, s'envolera à Noël

James-Webb, tel est le nom du télescope spatial le plus performant jamais fabriqué.
James-Webb, tel est le nom du télescope spatial le plus performant jamais fabriqué. / 19h30 / 3 min. / le 20 décembre 2021
Le télescope spatial James-Webb (JWST) sera lancé samedi par une fusée Ariane 5 depuis Kourou, en Guyane française. La date a été reportée à plusieurs reprises, notamment mardi à cause d'un orage.

Le décollage doit avoir lieu "aussi tôt que possible dans la fenêtre de tir commençant à 12h20 GMT (13h20 en Suisse, ndlr.)", a indiqué mercredi l'ESA dans un tweet – un véritable cadeau de Noël pour les astronomes du monde entier, qui attendent ce nouveau télescope depuis trois décennies (lire encadré). L'agence spatiale américaine (NASA) a indiqué pour sa part que la fenêtre de tir était de 32 minutes.

Le JWST plié, prêt à être encapsulé dans la coiffe d'Ariane 5. Kourou, le 11 décembre 2021. [ESA - M. Pedoussaut]

Le lancement avait été repoussé mardi à cause "des mauvaises conditions météorologiques", a déclaré la NASA.

Bijou d'ingénierie ultra-complexe, le James-Webb Space Telescope sera le plus grand et le plus puissant jamais envoyé dans l'espace. Il a été construit aux États-Unis sous la direction de la NASA, et incorpore des instruments des agences spatiales européenne (ESA) et canadienne (CSA). Il sera capable de voir dans les ondes infrarouges, soit une lumière non visible.

Il sera placé en orbite autour du Soleil, à 1,5 million de kilomètres de la Terre, dans une région de l'espace nommée Lagrange Point (L2) se trouvant derrière notre planète, à l'opposé de notre astre. Le JWST mettra un mois pour y arriver, puis il devra refroidir lentement – la température idéale pour lui étant de -233°C – et subir des tests avant sa mise en fonction. Son miroir sera opérationnel pour ses premières observations six mois après avoir quitté la Terre.

Remonter vers les débuts de l'Univers

Son œil explorera l'Univers en remontant jusqu'à il y a quelque treize milliards d'années: une époque extrêmement lointaine, quelques 400 millions d'années seulement après le Big Bang.

C'est dans ce temps éloigné, à 13,4 milliards d'années, qu'a été trouvée GN-z11, la plus vieille galaxie jamais découverte. Elle l'a été en 2016 par Pascal Oesch, chercheur de l'Université de Genève. Joint par téléphone par RTSinfo, il se réjouit d'avoir pu obtenir du temps de télescope pour réaliser trois projets d'observation avec le JWST dans la première année de son utilisation: "Avec James-Webb, c'est la découverte!", s'enthousiasme-t-il.

"Je vais pouvoir chercher – et sans doute trouver – des galaxies encore plus anciennes que GN-z11, car cet instrument voit dans l'infrarouge: on ne pouvait pas le faire avec des longueurs d'ondes courtes", précise-t-il. "GN-z11 est déjà massive pour cette époque et les simulations prédisent qu'on peut trouver les premières galaxies vers 250 millions d'années. C'est une époque inconnue. Grâce à ces nouvelles longueurs d'ondes, nous allons sans doute faire des découvertes inattendues: c'est ça que j'attends le plus!"

Le successeur d'Hubble

Présenté comme le successeur du télescope Hubble, lancé en 1990, le JWST doit explorer avec une précision inégalée toutes les phases du Cosmos, jusqu'aux premiers âges de l'Univers et la formation des premières galaxies: "On a maintenant un télescope cent fois plus sensible qu'Hubble", se réjouit Pascal Oesch.

Hubble avait déjà permis de réaliser des avancées scientifiques fascinantes, notamment lorsque son miroir avait été pointé dans une région plutôt vide du ciel, mesurant à peine un dixième du diamètre de la pleine Lune... Et là, – surprise! – se cachaient près de 10'000 galaxies d'âges, de tailles, formes et couleurs toutes différentes!

Cette vue de près de 10'000 galaxies est appelée le "Hubble Ultra Deep Field". L'instantané comprend des galaxies d'âges, de tailles, de formes et de couleurs variées. Les galaxies les plus petites et les plus rouges, environ 100, pourraient être parmi les plus lointaines connues, existant lorsque l'Univers n'avait que 800 millions d'années. Les galaxies les plus proches – les spirales et les elliptiques plus grandes, plus brillantes et bien définies – se sont développées il y a environ 1 milliard d'années, lorsque le Cosmos avait 13 milliards d'années. L'image a nécessité 800 expositions prises au cours de 400 orbites de Hubble autour de la Terre. La durée totale d'exposition a été de 11,3 jours, entre le 24 septembre 2003 et le 16 janvier 2004. [NASA/ESA - S. Beckwith (STScI) and the HUDF Team]

L'image historique, désormais très connue, est appelée le "Hubble Ultra Deep Field": le télescope James-Webb sera aussi pointé dans cette même région: "Grâce à la spectroscopie, nous pourrons mesurer les distances exactes de ces galaxies, ce que nous appelons le redshift", explique Pascal Oesch. Et ce "Deep Field" capturé par Hubble va sans doute se révéler encore plus fourmillant de données avec l'œil inégalé de James-Webb.

Une technologie de pointe

La pièce-maîtresse du JWST est son immense miroir principal, mesurant 6,6 mètres de diamètre et formé de dix-huit miroirs plus petits, de forme hexagonale. Ils sont faits de béryllium et recouverts d'or pour mieux réfléchir la lumière captée des confins de l'Univers.

Cette puissance et cette précision, il les mettra aussi au service des exoplanètes qui ont déjà été découvertes: "La caractérisation de leurs atmosphères pourra être déterminée précisément", note Monika Lendl, professeure assistante à l'Observatoire de Genève.

"On connaîtra ainsi leur composition. Avec le télescope CHEOPS, nous avions déjà pu mesurer très précisément la taille de ces planètes et si elles étaient rocheuses, gazeuses, si leur atmosphère était large ou non. Avec le JWST, nous mesurerons la composition en gaz des atmosphères: nous aurons la signature de beaucoup d'éléments et de molécules que nous pensons trouver, comme de l'eau, du gaz carbonique ou du méthane." L'une des cibles de Monika Lendl sera le système TRAPPIST-1, dont certaines planètes pourraient abriter de la vie.

>> Lire : Les exoplanètes de TRAPPIST-1, une aubaine pour les chercheurs et Une jumelle de la Terre observée à 40 années-lumière de notre planète

Naissance d'étoiles dans le Serpent Cosmique

La docteure Miroslava Dessauges, astrophysicienne à l'Observatoire de Genève, attend aussi avec impatience de pouvoir utiliser du temps de télescope pour ses recherches: elle s'intéresse aux crèches des étoiles, autrement dit, "Je mesure l'efficacité des nuages de gaz dans la formation des étoiles dans les galaxies lointaines", explique-t-elle par téléphone. En effet, les nuages de gaz cosmique s'effondrent sur eux-mêmes pour allumer les étoiles à l'intérieur.

La lointaine galaxie du Cosmic Snake, le Serpent Cosmique, renferme des crèches d'étoiles. [CC BY 4.0 - ESA/Hubble, NASA]

"Et je le ferai plus précisément dans le Cosmic Snake, le Serpent Cosmique, une galaxie très lointaine déformée par un groupe de galaxies qui jouent le rôle de lentille gravitationnelle, soit une sorte de télescope naturel". D'où son nom, car, avec l'effet de cette loupe, l'amas d'étoiles ressemble à un reptile.

La chercheuse va combiner les données du JWST avec celles de l'interféromètre ALMA, situé sur un haut plateau chilien, pour comprendre si les étoiles se forment dans les galaxies lointaines de la même façon qu'elles le font dans celles qui sont plus proches de nous: "La quantité d'étoiles formées par année est plus élevée dans les galaxies jeunes, lointaines, mais on ne comprend pas encore à quel stade apparaît cette formation d'étoiles", indique Miroslava Dessauges.

"Comment les plus massives ont pu former si rapidement ces ensembles d'étoiles, seulement un milliard d'années après le Big Bang, c'est un mystère!"

La Suisse au top

Tout autour du monde, chercheurs et chercheuses attendent impatiemment de pouvoir regarder l'Univers avec l'œil de Webb. Au total il y a eu 286 demandes de temps acceptées pour le premier cycle d'observation avec le JWST: deux à l'ETHZ et une à l'Université de Berne.

A Genève, le département d'astronomie de l'Université de Genève a vu six demandes validées: "Alors que le taux de réussite global des propositions par institut est un peu inférieur à 25%, [les équipes de recherche de notre département] ont remporté 75% des programmes proposés, ce qui place notre institution parmi les trois instituts les plus couronnés de succès au monde", souligne fièrement l'Observatoire dans un communiqué.

>> Ecouter aussi les explications dans CQFD de Daniel Schaerer, astrophysicien à l'Observatoire de Genève et professeur-adjoint au Département d'Astronomie de l'Université de Genève :

James Webb est le télescope spatial le plus puissant jamais construit.
ESA [ESA]ESA
Compte à rebours pour le James Webb Telescope / CQFD / 16 min. / le 23 décembre 2021

Stéphanie Jaquet et les agences

Mercredi 21h05 sur RTS 1 – Documentaire sur James-Webb: "A la recherche d'une autre Terre"

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Plusieurs reports

Le lancement du James-Webb Space Telescope depuis la base de Kourou, où il est arrivé en octobre depuis la Californie, a été reporté à deux reprises à la suite de problèmes mineurs.

La NASA et Arianespace voulaient exclure tout risque lié au lancement de l'instrument, développé depuis plus de vingt ans pour un coût avoisinant les dix milliards de dollars, soit plus de neuf milliards de francs. Au départ, il avait été budgeté pour un demi-milliard de dollars.

La durée de sa mission est estimée entre cinq et dix ans. Pendant ce temps, des télescopes de nouvelle génération seront développés pour être envoyés dans l'espace ultérieurement.

"C'est un instrument incroyable", s'enthousiasme le Prix Nobel Didier Queloz

"C'est un instrument incroyable, un nouveau type d'instrument, et nous attendons énormément de ce nouveau télescope": invité lundi du 19h30, le Prix Nobel de physique 2019 Didier Queloz ne cachait pas son enthousiasme en parlant du fameux appareil James Webb.

Par rapport à Hubble, par exemple, il est beaucoup plus gros, et il va aller voir l'Univers dans une longueur d'ondes qu'on connaît mal, l'infrarouge, explique-t-il. "Cela nous permettra d'aller voir très loin dans les débuts de l'Univers et d'aller voir les atmosphères des planètes extra-solaires."

>> L'interview de Didier Queloz dans le 19h30 :

Le prix Nobel de physique Didier Queloz place de grands espoirs dans le nouveau télescope James-Webb.
Le prix Nobel de physique Didier Queloz place de grands espoirs dans le nouveau télescope James-Webb. / 19h30 / 3 min. / le 20 décembre 2021

Il y a un grand mystère dans le début de l'Univers, poursuit Didier Queloz, c'est de savoir à quel moment se forment les étoiles et les galaxies. "Eh bien ce télescope est fait pour aller voir cette période". Quant à déterminer s'il y a de la vie, c'est la grande question, note le scientifique. "Nous allons pouvoir observer les atmosphères des petites planètes, ce qui est extrêmement difficile. Je ne sais pas si nous allons voir de la vie, mais il est clair que nous allons voir des choses que nous n'avons jamais vues avant."

Pour lui, pouvoir aller observer les atmosphères de planètes aussi lointaines est une "prouesse absolument remarquable", s'enflamme-t-il.

jpr