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Le futur des médias s'écrit-il en newsletter?

Avec nos téléphones portables et nos boîtes mails, nous faisons face à des sollicitations permanentes. [Fotolia - Production Perig]
Le futur des médias s’écrit en newsletters / Tout un monde / 8 min. / le 6 juillet 2021
Quoi de plus vieux jeu qu'une newsletter, une "lettre d'information" ou un "bulletin" reçu par e-mail? La technologie commence à dater; pourtant le genre est en plein essor depuis quelques années. Le New York Times, par exemple, revendique plus de dix-sept millions d'abonnements à sa lettre matinale.

La newsletter ne serait donc pas un artefact du passé. Axios a construit en quelques mois un empire médiatique à succès sur la seule base de ces lettres informatives. Réussite qui fait des émules en Europe et en Suisse, pas seulement dans les médias: associations et entreprises s'y sont aussi mises.

En 2021, le succès de ce format, c'est peut-être la concision, puisque beaucoup de newsletters proposent des condensés de l'actualité à lire au réveil, comme brief.me, ou le Point du Jour – une des newsletters d'Heidi.News. Existe aussi Time to Sign Off, envoyée le soir: un condensé d'actualités à lire en sortant du travail, afin d'être le mieux informé possible au moment d'aller commencer une vie sociale à l'apéro.

Du journalisme constructif

D'autres newsletters se veulent "constructives", comme Bulletin. Son créateur, Jean Abbiateci, est un ancien rédacteur en chef adjoint au Temps, également passé par Heidi.News. Au micro de l'émission Tout un Monde, il décrit Bulletin comme un média d'information, "mais avec un accent optimiste: on essaie de chercher des bonnes nouvelles, des nouvelles inspirantes, des petites histoires dans la grande Histoire: ça rentre dans le champ de ce qu'on appelle aujourd'hui le journalisme constructif ou 'de solution'."

Pour lui, l'idée est de lutter contre un sentiment qu'il a senti croître dans le lectorat: "Je l'ai senti beaucoup au Temps... un sentiment de fatigue face à une information qui est souvent considérée comme anxiogène ou repoussoir. Je pense qui si, nous, journalistes, on ne se remet pas en question en essayant de changer la manière d'aborder l'information, on se trompe aussi".

Bulletin est un rendez-vous hebdomadaire, lancé l'année dernière, en pleine pandémie. Il compte 35'000 "bulletineuses" et "bulletineurs", selon le terme utilisé par le petit média.

La force simple de la newsletter

La newsletter comporte plusieurs avantages: le lien avec le lectorat est plus fort, puisque l'e-mail est reçu dans sa boîte personnelle, un peu comme le courrier d'un ami ou d'une amie. Davantage de liens se tissent entre la personne et les journalistes qui envoient ces nouvelles.

Toutefois, dans un contexte où chacune et chacun baigne dans le son, avec la mode des podcasts, ou l'image, le choix du texte comme format est peut-être un peu plus ardu: "La lecture, par essence, c'est un format ringard. Techniquement, c'est très frustre: impossible de mettre de la vidéo, de l'enrichissement multimédia. C'est un format très simple et je pense que c'est ce qui fait sa force", estime Jean Abbiateci.

"Dans un monde noyé d'images, où vous allez sur Instagram, TikTok et YouTube, je pense qu'il y a justement des gens qui, par leur bagage, leur appétence, ont un goût pour l'écrit: c'est une force d'être assez simple, avec une newsletter. Il n'y a pas de trucs qui clignotent, il ne faut pas cliquer partout. Le format est très simple: je m'abonne, je reçois de l'information", explique-t-il.

Du texte, rien que du texte, avec aussi un peu de photos. Le mail était tendance il y a une dizaine d'années, avant d'être balayé par les blogs et les réseaux sociaux.

Une réaction aux réseaux sociaux

Intéressant de constater que la newsletter par mail revient maintenant: "La newsletter est très ancienne, née quasiment avec l'e-mail. L'e-mail est l'un des canaux les plus anciens d'internet, puisqu'il va fêter ses cinquante ans l'année prochaine: il est plus vieux que le web lui-même", remarque Jonathan Loriaux, fondateur de l'agence Badsender, spécialisée en e-mail marketing.

"A partir du moment où l'e-mail est né, des gens ont commencé à l'utiliser pour envoyer de l'information. De 2010 à 2016-17, les réseaux sociaux ont pris une ampleur gigantesque et, donc, tout le monde a eu l'impression que c'était la modernité et qu'il fallait y aller. Depuis deux ou trois ans, on voit un retour de la newsletter de la part des créateurs de contenu, entre autres parce que cela permet d'accéder directement et d'envoyer du contenu dans la boîte mail du destinataire".

Pour ce professionnel du secteur, cela permet aussi de ne pas être à la merci d'une entreprise tierce: "Quand on veut publier du contenu, par exemple sur Facebook, on est dépendant des algorithmes qui vont classer qui voit quelle information. En envoyant un e-mail, on est certain que toutes les personnes qui désirent recevoir de l'information vont vraiment la recevoir et éventuellement la lire".

La lecture se calcule en taux d'ouverture: avec l'e-mail, il est assez facile de savoir s'il a été ouvert et sur quel lien tout destinataire a cliqué, si des liens y sont intégrés.

Une communauté

L'idée est aussi de créer une communauté ou de la développer: "Il y a des newsletters qui existent sans avoir une communauté préalable. Il est vrai qu'il y a des influenceurs sur Instagram qui vont créer leur newsletter et ça va même être pour certains un moyen de monétiser leur activité et leur audience", remarque-t-il.

Jonathan Loriaux souligne un autre phénomène: "Aujourd'hui, on commence à voir émerger des newsletters payantes: les personnes sont suffisamment motivées pour payer quelques euros ou dollars par mois pour recevoir ces messages. On voit aussi naître une tendance de rajouter du contenu sponsorisé dans les newsletters, afin que les créateurs de contenu puissent se rémunérer. Sur la partie communauté, cela permet de l'animer, de lui envoyer des messages dédiés et très spécifiques".

C'est ce qui est arrivé à la newsletter les Glorieuses, lettre hebdomadaire féministe, devenue en quelques années une communauté avec une entreprise, Gloria Media, qui produit des newsletters – 210'000 abonnements au total – et des événements, masterclasses ou conférences, à suivre dans la "vie réelle".

Les différentes newsletters signées Les Glorieuses. [lesglorieuses.fr]
Les différentes newsletters signées Les Glorieuses. [lesglorieuses.fr]

A la tête des Glorieuses, Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter: "L'idée est venue en 2015: je faisais ma thèse en économie et je voulais tenter de créer un contenu francophone autour du féminisme, qui n'existait pas forcément à l'époque, et surtout de mettre en avant des femmes qui avaient été invisibilisées pendant des années. Et pour reconstruire un imaginaire collectif en incluant ces femmes".

Cette Franco-Canadienne lance donc une newsletter et un mouvement militant qui sensibilise les femmes aux questions d'égalité des salaires notamment. Si elle a choisi la newsletter, c'est d'abord parce que l'écrit était son média de prédilection, mais aussi pour des raisons financières: "Le format newsletter n'était pas cher, puisqu'à l'époque – je ne sais pas si c'est le cas aujourd'hui – quand on avait moins de mille abonnés, c'était gratuit".

Elle aussi évoque l'indépendance du média vis-à-vis des algorithmes des réseaux sociaux et le rapport plus personnel de l'e-mail.

Un rendez-vous

Dans un monde où chacune et chacun est sollicité de toute part par son smartphone ou les médias, la newsletter a l'avantage, selon ses créateurs et créatrices, de résumer. Son ton emporte dans un univers, une temporalité, selon Jean Abbiateci: "Elle arrive à un moment précis et permet à son public d'avoir une vision. Un peu comme un journal, elle est finie: elle a un début et une fin".

Il voit la newsletter comme un rendez-vous dans un monde où les notifications nous arrivent sans arrêt.

Sujet radio: Blandine Levite

Adaptation web: Stéphanie Jaquet

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Ton et concision, souplesse et exhaustivité

Pour qu'une newsletter fonctionne, il existe quelques règles. Jean Abbiateci parle de concision, d'informations vérifiées et intéressantes. Le ton aussi est important: ce qui plaît, c'est un certain regard d'auteur, un projet éditorial.

Pour Rebecca Amsellem, la newsletter c'est aussi de la souplesse: "Quand je produis des conversations, l'avantage de la newsletter, c'est que je n'ai pas un nombre de signes à respecter: j'essaie donc d'être la plus exhaustive possible dans l'échange que j'ai eu avec la personne, de mettre aussi en avant les doutes de la personne interviewée. Dans le sens où il n'y a pas une réponse toute faite, mais on voit le cheminement de la pensée".

Sur la forme, elle essaie de se tenir à une newsletter qui demande quatre minutes de lecture environ.