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Merck mis en examen pour "tromperie aggravée" dans le dossier Levothyrox

Le laboratoire Merck est mis en examen pour "tromperie aggravée" dans le dossier sur son médicament Levothyrox. [via AFP - Voisin/Phanie]
Le laboratoire Merck est mis en examen pour tromperie aggravée / La Matinale / 1 min. / le 20 octobre 2022
C'est un nouveau volet dans l'affaire du Levothyrox: la filiale française du laboratoire pharmaceutique allemand Merck a été mise en examen pour "tromperie aggravée" dans le volet pénal du dossier du changement de formule de ce médicament conçu contre les problèmes de thyroïde.

"Le président de Merck en France a été entendu" mardi au pôle santé du tribunal judiciaire de Marseille, a annoncé le groupe dans un communiqué mercredi. A l'issue de cette audition, "la juge d'instruction a décidé de mettre la société Merck en examen pour tromperie aggravée".

Cette décision est liée aux "modalités d'information mises en place au moment de la transition de l'ancienne à la nouvelle formule en 2017", pour ce médicament prescrit contre l'hypothyroïdie, ajoute l'entreprise. C'est une étape supplémentaire dans le feuilleton judiciaire opposant le laboratoire à de nombreux patients et patientes.

Nombreux effets secondaires

Au cœur de cette affaire: la nouvelle composition du Levothyrox, arrivée sur le marché français fin mars 2017. Cette nouvelle formule utilise toujours le même principe actif, la lévothyroxine, mais avec de nouveaux excipients, pour rendre sa composition plus stable.

Or, des malades se sont plaints rapidement de nombreux effets secondaires: crampes, maux de tête, vertiges ou perte de cheveux. Au point qu'une pétition pour réclamer le retour de l'ancienne formule avait alors recueilli plus de 170'000 signatures (elle en compte même plus de 300'000 aujourd'hui).

Une enquête pénale pour tromperie aggravée, homicide et blessures involontaires et mise en danger de la vie d'autrui avait été ouverte à Marseille en mars 2018, aboutissant à la mise en examen rendue publique mercredi.

Cette annonce a été saluée par Marie-Odile Bertella-Geffroy, avocate représentant quelque 3000 patientes et patients du Levothyrox: "Cela fait plusieurs années que l'information judiciaire est ouverte et que l'on attendait cette mise en examen. On se disait que cela n'arriverait jamais. Mes clients n'y croyaient plus. Enfin cela bouge", a réagi mercredi cette ancienne juge d'instruction au pôle santé du tribunal de Paris.

Le laboratoire indique de son côté vouloir "apporter toute précision nécessaire afin de faire établir qu'aucune infraction pénale, de quelque nature que ce soit, n'a été commise." Merck ajoute aussi dans son communiqué que cette mise en examen "ne concerne en aucun cas la qualité de la nouvelle formule du Levothyrox".

Un long combat

Il s'agit de l'un des nombreux volets de cette affaire (lire encadré). En juin 2019, l'ANSM, l'Agence nationale française contrôlant la sécurité des médicaments, avait mené une étude sur plus de deux millions de patientes et patients et conclu que le passage à la nouvelle formule du Levothyrox n'avait pas engendré de "problèmes de santé graves".

Cette agence est aujourd'hui visée par une action collective de quelque 1100 personnes plaignantes pour "défaut de vigilance" et "défaut d'anticipation", une action lancée en septembre 2021 devant le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Dans un autre volet, au civil, la Cour de cassation a rejeté en mars de cette année le pourvoi de Merck, qui avait été condamné en 2020 à indemniser plus de 3300 utilisatrices et utilisateurs ayant souffert d'effets secondaires à la suite du changement de formule.

Dans son arrêt, la plus haute juridiction française a estimé que "lorsque la composition d'un médicament change et que cette évolution de formule n'est pas signalée explicitement dans la notice, le fabriquant et l'exploitant peuvent se voir reprocher un défaut d'information", pouvant "causer un préjudice moral".

Ancienne et nouvelle formule

En France, quelque 2,5 millions de personnes utilisent quotidiennement la nouvelle formule du Levothyrox, selon Merck, et moins de 100'000 sont aujourd'hui traitées avec l'ancienne formule importée en France depuis fin 2017 sous le nom d'Euthyrox.

La distribution de l'ancienne formule, qui devait s'arrêter en 2020, a finalement été prolongée à plusieurs reprises et se poursuivra au moins jusqu'à la fin 2022.

afp/sjaq

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Les principales étapes de l'affaire Levothyrox

Du lancement de la nouvelle formule du médicament à l'annonce, mercredi, de la mise en examen pour "tromperie aggravée" du laboratoire Merck dans le volet pénal, voici les principales étapes de l'affaire du Levothyrox:

  • Fin mars 2017, une nouvelle formule de ce médicament pour les troubles de la thyroïde, fabriqué par l'allemand Merck et administré à trois millions de personnes en France, arrive sur le marché à la demande de l'Agence du médicament (ANSM)

  • L'ancienne formule du Levothyrox fait son retour dans les pharmacies le 2 octobre sous le nom d'Euthyrox. Mais le nombre de boîtes est limité. A Lyon, le siège français de Merck est perquisitionné le 3 octobre 2017.

  • Les effets indésirables sont dus à "un déséquilibre thyroïdien" causé par le changement de traitement et non à la nouvelle formule, assure le 11 octobre 2017 l'ANSM.

  • Sur le plan civil, une action collective est engagée le 24 octobre 2017 contre Merck à Lyon; une mission parlementaire menée par le député et médecin Jean-Pierre Door (LR, Loiret) conclut à un défaut d'information.

  • Le 14 novembre 2017, le Tribunal de grande instance de Toulouse condamne Merck à fournir "sans délai" l'ancienne formule.

  • Au pénal, une information judiciaire contre X est ouverte à Marseille le 2 mars 2018 pour tromperie aggravée, blessures involontaires et mise en danger de la vie d'autrui, élargie en novembre à homicide involontaire. D'après le ministère de la Santé, un demi-million de personnes en France ont cessé de prendre le Levothyrox depuis le lancement de la nouvelle formule.

  • L'Association française des malades de la thyroïde (AFMT) dénonce la présence de nanoparticules de métal dans la nouvelle formule et des anomalies de composition. Le laboratoire dément toute anomalie, tandis que l'Agence du médicament confirme, le 5 juillet 2018, "la bonne qualité de la nouvelle formule".

  • Le 20 décembre 2018, le ministère de la Santé note l'absence d'augmentation de "problèmes de santé graves" à l'issue d'une vaste étude sur plus de 2 millions de personnes malades, ce que confirme son rapport final en juin 2019.

  • Le 5 mars 2019, à l'issue du premier procès intenté au civil, le tribunal d'instance de Lyon déboute 4113 personnes plaignantes, écartant tout "défaut d'information" pour Merck.

  • Mais le 25 juin 2020, la Cour d'appel de Lyon reconnaît que Merck a commis "une faute" lors du changement de formule et le condamne à verser 1000 euros à chacune et chacun des 3329 plaignants et plaignantes toujours dans la procédure.

  • Le laboratoire se pourvoit en cassation. Pourvoi qui sera rejeté le 16 mars 2022.

  • L'arrêt de la commercialisation de l'ancienne formule du Levothyrox (Euthyrox), initialement annoncée pour septembre 2020, est repoussée à fin 2022 au moins.

  • Une autre action collective est lancée en septembre 2021 contre l'Agence du médicament pour "défaut de vigilance" et d'"anticipation" devant le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis).

  • Mercredi 19 octobre 2022, dans le volet pénal du dossier, la filiale française du laboratoire annonce sa mise en examen pour "tromperie aggravée". Une décision liée aux "modalités d'information mises en place au moment de la transition de l'ancienne à la nouvelle formule en 2017", précise l'entreprise.