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La "covibésité", ou quand le stress de la pandémie pèse sur la balance

Covibésité: Covid et kilos
Covibésité: Covid et kilos / Mise au point / 14 min. / le 23 janvier 2022
Quelques kilos en plus sur la balance: de nombreux Suisses et Suissesses ont pris du poids pendant la pandémie de Covid-19, même beaucoup de poids pour certains. Cela pourrait sembler anodin, mais la masse globale accumulée pose de vraies questions de santé publique.

Tant bien que mal, Cantin, étudiant en psychologie, tente de lutter contre les 5 à 7 kilos en plus qui arrondissent légèrement sa silhouette. Depuis le début de la pandémie, il passe le plus clair de son temps à la maison, entre cours à distance et rédaction de son mémoire, et cela commence, dans tous les sens du terme, à peser.

"Il y a les aspects psychiques - stress, isolement, anxiété, ennui - qui ne sont pas forcément palpables, mais qu'on ressent sur le long terme. Ma manière à moi de déstresser, de m'évader, c'était malheureusement de manger. C'était ma bouée de secours", raconte Cantin dimanche dans l'émission Mise au point.

Stress des mesures anti-Covid

Depuis le début de la pandémie, un tiers de la population suisse a pris du poids, un phénomène qui préoccupe les milieux de la santé. "Cette pandémie génère - via les effets des mesures anti-Covid - un stress qui provoque à son tour des troubles du comportement, et souvent des troubles du comportement alimentaire. Et ces derniers vont se répercuter sur la prise de poids", explique Zoltan Pataky, médecin responsable de la consultation obésité aux Hôpitaux universitaires de Genève.

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Dans une situation de stress aigu ou chronique, le cerveau humain met en place un système de récompense, pour la recherche du plaisir, décrit-il. "Et souvent, ce plaisir est retrouvé dans l'alimentation, notamment dans les aliments sucrés. Malheureusement, les effets secondaires de ces aliments-plaisir sont des calories, et donc la prise de poids", souligne-t-il.

Trois ou quatre kilos de plus peuvent générer un ou deux risques cardiovasculaires supplémentaires pour le patient.

Zoltan Pataky, spécialiste de l'obésité aux HUG

Même un petit gain de poids peut avoir des conséquences relativement importantes sur la santé, rappelle le spécialiste. "Trois ou quatre kilos de plus peuvent générer un ou deux risques cardiovasculaires supplémentaires pour le patient."

Le terme "covibésité" a ainsi été forgé pour décrire le résultat d'un déclin psychique lié à la pandémie, et qui finit par se répercuter sur la corpulence. C'est le vécu d'Ana, maman célibataire qui a connu une véritable descente aux enfers depuis que le Covid-19 s'est déclaré.

"La balance m'indique 30 kilos de trop, en un an et demi. C'est énorme", constate-t-elle sans détour, avant de montrer dans son dressing des piles d'habits du quotidien et une collection de tenues plus chic sur ceintres, autant de vêtements dans lesquels elle ne rentre plus. "Depuis un an et demi, je ne porte plus que des habits de sport: trainings, leggings, sweatshirts", déplore-t-elle.

Isolement, perte d'emploi, anxiété

La période Covid a eu sur sa vie des effets "catastrophiques": isolement par le télétravail, tout en s'occupant de sa fille pendant le semi-confinement, et aussi fermetures des infrastructures sportives qui lui permettaient avant cela de maintenir un équilibre dans sa vie. Car entre arts martiaux, fitness et coaching sportif, l'Ana "d'avant" était très sportive.

La pandémie la plonge, sans qu'elle s'y attende, dans le burn-out: "Je n'avais plus la force de me lever du lit. C'était très impressionnant: comme si vous n'aviez plus le contrôle de votre corps, de votre esprit, vous n'arrivez plus à tenir une conversation, tout vous fatigue, vous êtes éreintée. Et cela, du jour au lendemain", décrit-t-elle.

Je sais que ça va être dur, mais il y a aussi un côté satisfaisant: ça veut dire que j'ai fait du chemin, que j'ai réussi à venir jusqu'ici.

Ana

Malgré ses efforts, notamment pour sa fille, son état finit par nécessiter une hospitalisation. Sa dégringolade se poursuit quand son absence prolongée lui coûte son emploi, amenant dans son sillage un cortège d'anxiétés supplémentaires liées au chômage.

Aujourd'hui, Ana tente de se reconstruire: rechercher un emploi, se réconcilier avec la nourriture, renouer avec des repas équilibrés, retrouver une pratique sportive. De retour dans son club d'art martial après un arrêt de deux ans, son moral ne flanche pas. "Je sais que ça va être dur, mais il y a aussi un côté satisfaisant: ça veut dire que j'ai fait du chemin, que j'ai réussi à venir jusqu'ici. Il y a un certain goût de victoire", savoure-t-elle.

Changer les habitudes

Telle est justement l'approche préconisée par l'unité de rééducation thérapeutique des HUG, spécialisée dans le traitement de l'obésité, du diabète et des troubles alimentaires, où Ana a été suivie. "Le but est d'aider le patient à identifier ses vrais problèmes, ses vrais besoins, pour proposer des approches personnalisées et l'aider à modifier ses habitudes de vie", explique Zoltan Pataky.

Psychothérapie, diététique, activités physiques ou art-thérapie: on se concentre ici sur le patient ou la patiente, plutôt que sur sa maladie. "L'objectif est de lâcher prise aussi sur le mental, afin de trouver de nouvelles images qui pourraient leur parler, et de donner sens à des émotions parfois pas exprimées", explique l'art-thérapeute Cristina Anzules.

Quand Mise au Point rejoint Ana au terme de son premier entraînement dans le club d'art martial où elle pratique le jiu-jitsu brésilien, la jeune femme est en nage et "au bout de sa vie". Son bilan est pourtant sans appel, et le sourire n'est pas feint. "C'est dur, très dur. Mais on se sent vivant. C'est top. J'ai bien fait de venir!"

Reportage: Yves Godel

Adaptation web: Katharina Kubicek

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