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Les têtes ont-elles encore leur place dans le football?

Foot et têtes: faut-il s'en inquiéter?
Foot et têtes: faut-il s'en inquiéter? / L'actu en vidéo / 2 min. / le 17 septembre 2021
Faut-il s'inquiéter des risques du jeu de tête dans le football sur le long terme? Des scientifiques et des médecins se préoccupent du potentiel développement de démence chez les personnes ayant pratiqué ce sport à un niveau professionnel. Le reportage de l'émission 15 minutes.

Une équipe de recherche écossaise avait déjà montré un risque plus élevé de maladie neurodégénérative chez les personnes ayant pratiqué le football à un niveau professionnel.

Il y a quelques semaines, elle a publié de nouveaux résultats montrant que la durée de la carrière augmente le risque, tout comme la position sur le terrain. Pour une personne professionnelle active en défense, le risque de souffrir d'une maladie neurodégénérative est cinq fois plus élevé que pour la population générale.

Le rôle des têtes est pointé. Imaginez le choc subi avec une tête après un long dégagement du gardien, ou un corner bien tendu: "Le défenseur, ce qui le distingue, c'est que lui, il va faire énormément de têtes pendant les matchs, plus que les autres", remarque Finn Mahler, médecin du sport et médecin du Servette FC depuis environ 30 ans. Si Cristiano Ronaldo vous tire un coup franc dans la tête, "c'est l'équivalent de 50 à 60 G, ce qui est énorme".

Pour lui, il y a un grand faisceau d'indices: "L'hypothèse étant que, chaque fois que vous faites une tête, il y a de petites lésions qui font se faire. Et cette accumulation de lésions de neurones vont donner des troubles cognitifs et, dans un deuxième temps, plus tardivement dans la vie, des troubles ou des maladies neurodégénératives".

Protéger la jeunesse

L'ancien joueur d'Arsenal Johan Djourou a connu le très haut niveau. Il estime que pour réussir dans le football, il faut prendre des risques. "En tant que joueur, je ne m'attardais pas sur ces considérations. Les médecins ne nous prévenaient pas du danger".

Aujourd'hui jeune retraité, l'ex-défenseur de l'équipe de Suisse prend du recul. "Si mon enfant voulait faire du foot et que les médecins me disent qu'il y a potentiellement un risque de dommage à long terme en faisant des têtes, je réfléchirais à deux fois."

Le médecin du Servette estime que les professionnels connaissent les risques. "Comment peut-on justifier qu'il y a de la boxe aux Jeux olympiques? On réglementera certainement le sport professionnel le plus tard possible. Le sportif d'élite sait qu'il y a des risques, en commençant par les entorses du genou".

Pour Finn Mahler, un principe de précaution devrait s'imposer chez les personnes non-professionnelles, et en particulier les jeunes. Le médecin prône une interdiction des têtes dans un premier temps pour la jeunesse, puis une limitation, comme cela se pratique aux Etats-Unis.

>> Débat entre Olivier Rouaud, neurologue et adjoint à la direction du Centre Leenaards de la mémoire et Johann Lonfat, ancien footballeur suisse :

Faut-il supprimer le jeu de tête dans le football? Débat entre Olivier Rouaud et Johann Lonfat. [DPA/Keystone - Torsten Silz]DPA/Keystone - Torsten Silz
Faut-il supprimer le jeu de tête dans le football? / Forum / 6 min. / le 18 septembre 2021

Aujourd'hui, en Suisse, les femmes et les hommes qui entraînent les juniors essaient d'apprendre de bonnes pratiques: "Je pense qu'on peut pratiquer la technique du jeu de tête sans risque pour les enfants, en travaillant vraiment sur les aspects techniques du jeu de tête: le blocage de la nuque, la frappe du ballon avec un mouvement du bassin, frapper avec le front", explique Yves Débonnaire, de l'Association suisse de football, qui est désormais responsable du foot des 12-15 ans pour les cantons de Genève, Valais et Vaud.

Il prône une sensibilisation à petite dose: "il faut vaincre la peur. Souvent, l'enfant a peur quand un ballon assez dur arrive. Et là, il y a un risque, parce qu'en fait, on subit le ballon. Il y a vraiment une éducation à apporter et elle passe en priorité par des ballons qui sont légers: on peut même jouer avec des ballons de baudruche ou de plage si on est en salle. Et pas avec ceux qu'on a actuellement dans les entraînements, où on travaille avec des ballons qui sont trop durs", souligne-t-il.

Faire évoluer les règles?

L'UEFA, instance dirigeante du football européen, a aussi émis il y a quelques mois des recommandations pour les juniors, afin de sécuriser et limiter le jeu de tête.

Marc Vouillamoz, responsable de l'unité médicale et anti-dopage de l'UEFA. [DR]
Marc Vouillamoz, responsable de l'unité médicale et anti-dopage de l'UEFA. [DR]

La plupart des personnes actives dans le football interrogées peinent à imaginer un jeu sans tête. Mais cela ne semble de toute façon pas vraiment la tendance: "Avant de pouvoir imaginer un changement des lois du jeu, il faut déjà faire un lien de causalité entre les coups de tête répétitifs et la démence. Ce qui n'est pas le cas", affirme Marc Vouillamoz, responsable de l'unité médicale et anti-dopage de l'UEFA.

"Actuellement, les études scientifiques démontrent qu'il y a plus de cas de démence dans le football professionnel, mais il n'y a pas un lien qui a été fait avec le nombre de coups de tête répétitifs", souligne-t-il. "Cela peut être d'autres facteurs, comme les commotions cérébrales ou d'autres éléments dont nous n'avons pas encore connaissance. Il va donc falloir continuer avec des études complémentaires".

La recherche n'en a donc pas fini avec cette question. Mais "le risque fait partie du métier", ont aussi dit beaucoup de personnes durant cette enquête. Un risque présent dans le football comme dans de nombreux sports.

>> Ecouter le reportage de l'émission 15 minutes :

Les défenseurs professionnels courent plus de risques que les footballeurs évoluant à d'autres postes de développer des maladies neurodégénératives du fait de leur recours plus fréquent au jeu de tête, démontre une nouvelle étude rendue publique par l'Université de Glasgow. [Keystone - Urs Flueeler]Keystone - Urs Flueeler
15 minutes - Football: des têtes dangereuses pour la santé? / 15 minutes / 14 min. / le 18 septembre 2021

Sujet radio: Martine Clerc, Guillaume Rey

Version web: Stéphanie Jaquet

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Dominique Herr: "Jouer avec sa tête fait partie des risques du métier"

Dominique Herr, l'ancien défenseur de l'équipe nationale suisse (1989-95), avait dû mettre fin à sa carrière à l'âge de 30 ans. Après une dernière commotion cérébrale, les médecins lui avaient interdit de jouer.

Combien avez-vous eu de commotion cérébrale?

Je ne les ai pas comptées. Au début, c'était une fois par année. Et c'est devenu de plus en plus régulier. Mais il y en a eu suffisamment.

Êtes-vous inquiet en prenant connaissance des résultats de l'étude écossaise?

Je sais que c'est très grave, mais je ne suis pas inquiet. Cela pourrait m'arriver même sans toutes ces commotions. Je fais attention à ma santé. Je fais des contrôles, mais pour l'instant je ne suis pas préoccupé.

Avez-vous des regrets aujourd'hui de ne pas avoir fait plus attention à votre tête pendant les matchs ?

Aujourd'hui, j'ai plutôt mal aux genoux et aux chevilles. J'ai toujours fait confiance aux médecins. Pendant ma carrière, j'étais certainement moins suivi qu'un joueur actuel. Je trouve très positif qu'on se préoccupe davantage de la santé des joueurs qu'à l'époque. J'ai l'impression que les médecins ont plus de poids aujourd'hui dans les clubs.

Faut-il limiter le jeu de tête?

Non. Après où s'arrête-t-on ? On fait quoi avec les chevilles et les genoux ? Jouer avec sa tête fait partie des risques du métier.

Dominique Herr avec l'équipe Suisse à la Coupe du monde 1994 [Keystone - STR]
Dominique Herr avec l'équipe Suisse à la Coupe du monde 1994 [Keystone - STR]

Les 5 directives de l'UEFA pour le jeu de tête chez les juniors

1. Taille du ballon : utiliser un ballon d’une taille et d’un poids appropriés à la catégorie d’âge des joueurs à entraîner.

2. Gonflage du ballon : pour les séances d’entraînement et les matches, gonfler le ballon à la pression la plus basse autorisée par les Lois du Jeu. Pour les premiers exercices de jeu de tête, des ballons en mousse constituent une alternative intéressante.

3. Effets du jeu de tête : réduire les exercices de jeu de tête au minimum, en tenant compte de l’exposition lors des matches. C’est particulièrement important chez les jeunes joueurs. L’objectif consistant à diminuer le jeu de tête pendant les séances d'entraînement et les matches peut être atteint en introduisant des modifications des règles telles que la réduction de la taille du terrain, du nombre de joueurs, de la hauteur des buts, etc. Les entraîneurs devraient être formés sur la nécessité d'avancer par étapes dans les exercices de jeu de tête au sein des différentes catégories d’âge.

4. Renforcement de la nuque : des recherches scientifiques récentes ont révélé que des exercices de renforcement de la nuque pourraient avoir des effets positifs sur le jeu de tête, car ils réduiraient les effets du jeu de tête. L’apprentissage de techniques pour travailler le renforcement de la nuque devrait faire partie de la formation des entraîneurs et être inclus à terme dans les directives relatives au jeu de tête.

5. Sensibilisation aux symptômes de commotion cérébrale : si, à la suite d’exercices de jeu de tête, un joueur rapporte qu'il souffre notamment d’étourdissements, de maux de tête ou de vertiges, il devrait être mis au repos pendant une semaine au minimum et être suivi par un médecin. À noter que les filles sont plus enclines que les garçons à souffrir de commotions cérébrales et potentiellement à ressentir des effets du jeu de tête.