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Début du procès de la fondatrice de Theranos et ancienne star de la Silicon Valley

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L’esprit ambigu des starts-up dans la Silicon Valley: interview de Luc Julia / Tout un monde / 11 min. / le 7 septembre 2021
Une goutte de sang devait permettre de diagnostiquer des dizaines de maladies: c'était la promesse de la start-up américaine Theranos. Sa fondatrice Elizabeth Holmes fait désormais face à des inculpations de fraude massive et son procès s'ouvre mardi.

Elizabeth Holmes a créé Theranos en 2003 à seulement 19 ans avec cette idée forte de révolutionner la médecine préventive à bas coût grâce à une machine appelée Edison, du nom du célèbre inventeur.

De 2003 à 2015, elle a levé plus de 700 millions de dollars en promettant que sa start-up pourrait diagnostiquer des maladies en analysant simplement une goutte de sang prélevée sur le doigt. Problème: la technologie n'a jamais fonctionné.

Un phénomène avant la chute

L'entreprise a avancé dans un relatif anonymat jusqu'au début des années 2010 avant de devenir le nouveau phénomène de la Silicon Valley. Elizabeth Holmes était présentée comme l'héritière du fondateur d'Apple Steve Jobs. A son zénith, Theranos valait 9 milliards de dollars.

Mais petit à petit, des employés ont vu que la technologie de la start-up clochait et que les protocoles médicaux, d'ordinaire très stricts, n'étaient pas respectés. Pire, Theranos se servait d'autres machines que la sienne pour ses analyses de sang.

A l'automne 2015, un employé se confiait au Wall Street Journal, marquant le début de la fin pour la start-up médicale, qui a fini par fermer boutique en 2018. Elizabeth Holmes et son numéro 2 sont inculpés de fraude la même année.

Forcer le trait pour vendre

Elizabeth Holmes lors du Fortune Global Forum en 2015. L'entrepreneuse était louée pour son sens de la mise en scène, s'habillant toujours en noir et avec un col roulé...comme Steve Jobs. [AFP - Kimberly White]
Elizabeth Holmes lors du Fortune Global Forum en 2015. L'entrepreneuse était louée pour son sens de la mise en scène, s'habillant toujours en noir et avec un col roulé...comme Steve Jobs. [AFP - Kimberly White]

Derrière ce procès retentissant, ce sont aussi certaines méthodes de la Silicon Valley qui sont en cause. A commencer par les créatrices et les créateurs de start-up, inspirés par un célèbre dicton du royaume de la technologie: "Faites semblant jusqu'à ce que vous y arriviez." Beaucoup croient en leur idée et peuvent parfois forcer le trait auprès des investisseurs en attendant qu'elle fonctionne vraiment.

De leur côté, les investisseurs adhèrent parfois à des idées, des histoires ou à des personnalités, plus qu'au projet concret. C'est précisément ce qu'il s'est passé avec Theranos, dans laquelle le magnat des médias Rupert Murdoch aurait perdu plus de 120 millions de dollars.

Il faut dire que par définition, dans la Silicon Valley, les entreprises sont lancées dans des secteurs qui n'existent pas. Mais lorsque cela fonctionne, créateurs et investisseurs décrochent le pactole.

Une capacité à convaincre

Elizabeth Holmes est justement parvenue à vendre son idée et son histoire à la perfection, elle qui dispose d'une détermination et d'une capacité à convaincre hors du commun. Un sens de la mise en scène aussi, selon John Carreyrou, journaliste au Wall Street Journal et auteur de l'article qui a sonné le glas de Theranos.

La cheffe d'entreprise répétait à qui voulait l'entendre comment sa peur des aiguilles et surtout le cancer d'un oncle qu'elle adorait l'ont poussée à créer Theranos. Or, selon John Carreyrou, elle n'était pas spécialement proche de son oncle.

Elizabeth Holmes risque 20 ans de prison

La fondatrice de Theranos risque jusqu'à 20 ans de prison pour les onze accusations qui pèsent contre elle, neuf de fraudes et deux pour association de malfaiteurs. Les procureurs estiment en effet qu'elle s'est entendue avec Ramesh "Sunny" Balwani, son ancien chef des opérations et son amant pendant un temps. Les deux dirigeants doivent être jugés séparément.

D'après des documents juridiques, l'accusée prévoit de plaider que son associé et ex-petit ami, de 19 ans son aîné, la contrôlait et abusait d'elle psychologiquement.

Sur la liste de potentiels témoins, on trouve des noms connus, comme l'ancien secrétaire d'Etat Henry Kissinger, l'ancien ministre de la Défense James Mattis, qui ont fait partie du conseil d'administration de Theranos, ou encore le magnat des médias Rupert Murdoch.

Des patients victimes d'analyses défectueuses pourraient également être appelés à la barre, pour raconter comment ils ont vécu de mauvais diagnostics de cancer, de sida ou encore de grossesses.

Elizabeth Holmes a connu une chute d'autant plus brutale que sa fortune était évaluée à 3,6 milliards de dollars par Forbes en 2014. C'était alors la plus jeune milliardaire n'ayant pas hérité de sa fortune.

Sujet radio: Loïc Pialat

Adaptation web: Jérémie Favre

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"Son aura a fait qu'elle a embarqué des gens"

L'ingénieur Luc Julia était invité mardi dans l'émission Tout un monde pour réagir sur l'affaire Theranos. Pour le Français, il n'y a aucun doute, le cas de la start-up médicale est l'antithèse des bonnes pratiques, notamment en matière d'investissements.

"C'est exactement ce qu'il ne faut pas faire. Du point de vue technique, rien n'a été checké. Normalement, lorsque ces start-up cherchent à lever des fonds, les investisseurs font ce qu'on appelle la 'due diligence', c'est-à-dire vérifier que tout fonctionne bien en envoyant leur armée d'ingénieurs et de techniciens pour aller gratter sous le capot. Dans le cas présent, tout est basé sur sa frimousse. C'était son aura qui a fait qu'elle a embarqué les gens", explique Luc Julia.

En 2014, l'ingénieur a précisément travaillé sur le cas de Theranos pour le fonds d'investissement de Samsung. Il se remémore: "La boîte existait déjà depuis longtemps. Lorsqu'on m'a demandé d'aller voir, on n'a rien pu me montrer. A partir de là, mon feedback a été de dire que je n'avais rien vu. Mais quand on regarde la liste des investisseurs, sauf peut-être deux, ce ne sont pas des hommes d'affaires de la Silicon Valley, ce sont des financiers purs."