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Le port du masque obligatoire à l'extérieur divise les milieux médicaux

A Paris, le masque est désormais obligatoire dans certaines zones, notamment touristiques. [EPA/Keystone - Julien de Rosa]
L'utilité de porter un masque à l'extérieur n'est pas prouvée médicalement / La Matinale / 4 min. / le 12 août 2020
Les obligations de porter un masque dans certaines rues et marchés se multiplient, en France et ailleurs en Europe. Mais la mesure, avant tout politique, divise les spécialistes et son utilité n'est pas prouvée scientifiquement.

Le Premier ministre français Jean Castex a demandé mardi aux préfets d'étendre le plus possible cette obligation sur le territoire. A la frontière suisse, par exemple, les marchés de Haute-Savoie ne sont désormais accessibles qu'aux personnes équipées d'une protection faciale.

La mesure n'est pas envisagée pour l'heure en Suisse, mais elle pourrait l'être si les cas de coronavirus venaient à augmenter.

>> Situation en Suisse, les explications de Dominique Choffat :

En Suisse, le port du masque n'est obligatoire nulle part en extérieur (ici au marché à Lausanne), mais cela pourrait changer. [Keystone - Laurent Gilliéron]Keystone - Laurent Gilliéron
L'obligation du masque en extérieur n'est pas à l'ordre du jour en Suisse / La Matinale / 1 min. / le 12 août 2020

Cette obligation de porter le masque aussi en extérieur semble a priori une règle pertinente dans des lieux bondés où les gens sont au coude-à-coude. Et elle a le mérite d'être simple.

Pourtant, les avis sont partagés - y compris dans le corps médical. Car si on a pu prouver l'efficacité du masque dans les espaces clos, il n'y a pour l'instant pas de preuve qu'il soit utile dans la rue.

Il n'y a pas de transmission démontrée en milieu extérieur pour le moment.

Antoine Flahault

"Le port du masque en milieu intérieur est très légitime parce qu'il y a un risque important de transmission. Les clusters que l'on a pu voir apparaître dans les discothèques, les abattoirs ou en entreprise sont clairement intervenus en milieu intérieur", rappelle l'épidémiologiste Antoine Flahault mercredi dans La Matinale.

"Alors qu'en milieu extérieur, on n'a jamais vu, à ma connaissance, de cluster très démontré", poursuit celui qui est aussi directeur de l'Institut de santé globale à l'Université de Genève. "Donc je dirais qu'aujourd'hui, sauf dans de rares circonstances, notamment des manifestations ou des fêtes de rue, je ne vois pas trop l'intérêt, parce qu'il n'y a pas de transmission démontrée en milieu extérieur pour le moment".

On se rend compte qu'il y a globalement un relâchement sur les mesures de base.

Laurence Senn

Il existe bien sûr des situations particulières, où le virus peut se transmettre y compris en extérieur. C'est donc par mesure de précaution que des infectiologues recommandent le port du masque dans certaines circonstances.

"On se rend compte aujourd'hui qu'il y a globalement un relâchement sur les mesures de base. Entre autres, les distances à l'extérieur ne sont pas respectées", souligne ainsi la doctoresse Laurence Senn, responsable de médecine préventive au CHUV à Lausanne. "Et qu'on soit à l'intérieur ou à l'extérieur, si on est face à face, proche avec une personne, on peut être atteint par ses postillons. Donc c'est vraiment cette même logique de la distance entre les personnes".

Respecter les distances ou mettre le masque, à l'intérieur comme à l'extérieur: cette règle de base rappelle également à la population que le virus circule toujours et qu'il faut rester vigilent.

Les mesures que l'on prend sont disproportionnées par rapport à la dangerosité d'un virus.

Jacques-André Haury

Mais c'est au risque de créer un sentiment d'insécurité dans la population, estiment certains médecins. "On ne peut pas viser un risque zéro de transmission de germes infectieux. C'est impossible, ou alors il faut que les gens vivent en ermite", fait remarquer le spécialiste ORL Jacques-André Haury. "Si vous regardez la société de ces gens masqués, on a vraiment l'impression de vivre dans une situation sanitaire catastrophique. Ce qui est loin d'être le cas", poursuit le praticien lausannois. "Les mesures que l'on prend sont disproportionnées par rapport à la dangerosité d'un virus à un moment où la médecine a fait de larges progrès dans la prise en charge. On en fait trop, globalement".

Les avis sont donc partagés, y compris dans le corps médical. Mais cette question du port du masque en extérieur est plus politique que véritablement scientifique. L'objet est devenu le symbole du clivage de la société en réaction aux mesures sanitaires.

Le masque est aussi devenu la marque de la faiblesse des Etats. Et pour le professeur Didier Pittet, médecin-chef du service de prévention et contrôle de l'infection aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG). "Malheureusement, le masque a été tellement politisé - parce qu'il n'y avait pas assez de masques, il n'y avait plus de masques, des masques que l'on a payé trop cher… - ce qui a polarisé l'attention sur le masque à mauvais escient", constate celui qui a été chargé par la France d'apporter un regard extérieur à la gestion de l'épidémie.

Les deux piliers qui ont réussi à contenir l'épidémie sont la distanciation et l'hygiène des mains.

Didier Pittet

"Je vois bien ce qui se passe à Genève et en Suisse: on parle beaucoup plus, beaucoup trop du masque", poursuit l'infectiologue et épidémiologiste. "Mais rappelons que les deux piliers qui ont réussi à contenir l'épidémie, c'est la distanciation sociale et l'hygiène des mains. Et le masque est un moyen de sensibilisation générale, si tant est bien entendu que la communication autour du port du masque est bien faite".

Effectivement, si l'on en croit les études actuelles sur le sujet, la communication est un meilleur rempart contre la pandémie que le port du masque en extérieur.

Et il n'est pas sûr que l'on puisse prouver un jour le bien-fondé d'une telle mesure grâce à des données scientifiques, tant ses impacts sur les plans émotionnels et psychologiques peuvent fluctuer - en fonction de notre rapport à l'hygiène, mais surtout de notre rapport à l'autre et à la maladie.

Sophie Iselin/oang

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