Le retour du "fait maison" en cuisine

RTS/Laurent BLEUZE

Sous la pression des politiques, une multiplication de labels tentent de garantir le "fait maison", à commencer par celui qui vient de faire son apparition dans la restauration romande. C’est que les scandales qui ont émaillé le monde de l'alimentation ces dernières années ont laissé des traces. On exige des garanties sur l'origine et la qualité de ce qu'on avale.

>> Lire aussi : Le label "Fait maison" arrive dans les restaurants romands

L'écologiste Adèle Thorens tire la sonnette d'alarme au Conseil national depuis de nombreuses années. Pour elle, on a tout simplement perdu la maîtrise de son alimentation. Josef Zisyadis, président de Slow Food Suisse, est quant à lui formel: la multiplication des émissions culinaires n’y changera rien, il faut retrouver le geste physique de la cuisine.

"Il est urgent d’agir si l’on veut sauver sa peau"

On cède encore trop souvent, à la pizza surgelée, au ragoût précuisiné. Cette alimentation transformée serait trop grasse, trop salée, trop sucrée. Pour la journaliste culinaire Annick Jeanmairet, seule une cuisine faite soi-même nous garantit un vrai contrôle. Selon elle, "il est urgent d’agir si l’on veut sauver sa peau".

labelfaitmaison.ch

Le label "fait maison" - un autocollant représentant une planche à découper orange sur fond blanc - est le dernier venu dans la restauration romande.

Il s'agit d'une oeuvre commune de Gastro Suisse, de la Semaine du goût, de Slow Food et de la Fédération romande des consommateurs. Il est censé vous garantir que tout ce qu’on vous sert dans les restaurants labellisés - à quelques exceptions près, dûment précisées sur la carte par un astérisque - ait véritablement été transformé et confectionné sur place. Des contrôles inopinés seront régulièrement effectués par des vérificateurs de la FRC.

>> Le label "fait maison", qu'est-ce que c'est? (ABE, 07.11.2017) :

Un début en fanfare

Les plus sourcilleux auraient voulu un label plus contraignant, faisant la part belle au local, au bio. D’autres soulignent que le fait maison devrait être une évidence pour tous les restaurants.

Malgré les critiques, en deux mois, le label a déjà fait 190 adeptes, et même certaines grandes tables envisagent de l’adopter. L'objectif est d'atteindre 300 établissements labellisés en Suisse romande à la fin 2018. Un cap essentiel pour tenter de franchir ensuite la Sarine et en faire un label vraiment national.

www.neighborsfood.ch/ - RTS

La structure est toute jeune, elle a quelques semaines à peine. Elle repose sur une idée simple: vous n’avez ni l'envie, ni surtout le temps de cuisiner, alors votre voisin, chef d’occasion, vous mijote un bon petit plat. Il suffit, pour passer commande, d'un clic de souris sur le site Neighbors Food.

A l’heure dite, vous vous rendez chez votre cuisinier amateur et vous emportez votre repas tout chaud, payé au préalable. Le tout est piloté depuis Rolle par Fabrice Sorlat, un partisan convaincu de la cuisine maison. De leur côté, les chefs amateurs mettent en ligne leurs spécialités culinaires et choisissent les jours et les plages horaires où ils sont disponibles pour ce service. Pour nombre d’entre eux, il s'agit d'une manière de faire découvrir les plats de leur pays.

Comme si c’était fait par maman

A ce jour, 15 chefs amateurs proposent déjà leurs spécialités sur Neighbors Food. Et vu le nombre de nationalités présentes en Suisse, la diversité est garantie. Les premiers clients semblent ravis par cette offre nouvelle. Pour Paola Chittaro, déjà une habituée, "le rapport est tout autre, j’ai l’impression que c’est ma maman qui a cuisiné pour moi".

Keystone - Laurent Gilliéron

Vous la sentez, cette odeur sans pareille du pain sorti du four. Vous êtes persuadés que la miche dans laquelle vous allez croquer, c’est votre boulanger qui l’a façonnée. Et pourtant rien n’est moins sûr. En effet, l’an dernier, la Suisse a consommé plus de 130'000 tonnes de produits de boulangerie industriels. Ces produits congelés, importés principalement d'Europe de l'Est, ne sont pas utilisés que dans les shops ou les grandes surfaces. Certains boulangers aussi cèdent à la tentation de l’industriel.

Cette démarche est pourtant parfaitement légale, rien dans la loi fédérale sur les denrées alimentaires ne s'y oppose. La seule chose que vous puissiez faire, c’est d’interroger votre boulanger sur la fabrication et la provenance de son pain. D'ailleurs, aucun contrôle n’est prévu.

Le canton de Vaud en pionnier?

A Berne comme dans les cantons, plusieurs personnalités politiques estiment qu'il y a une forme d’usurpation à vous vendre du pain industriel sans vous en informer. Elles s'activent pour que cela change. Le canton de Vaud pourrait jouer les pionniers en imposant, à terme, l’indication de la provenance. Il faudra, dans la foulée, déterminer comment concrètement indiquer la provenance des produits sur l'emballage du pain, dans la vitrine. Une petite musique d’avenir...

>> Boulangeries artisanales et industrielles: David contre Goliath (ABE, 26.01.2016) :

Keystone - Gaëtan Bally

Et si la vraie cuisine "faite maison" était tout simplement celle qu'on fait chez soi? Une pratique qu’on aurait tout intérêt à se réapproprier, ne serait-ce que pour s’assurer la maîtrise de son alimentation. Pour ce faire, il faut commencer par retrouver le véritable sens du goût, pas celui formaté par la cuisine industrielle.

Mais notre vie trépidante nous laisse-t-elle encore le temps de cuisinier. Pour la journaliste culinaire Annick Jeanmairet, la question du temps est une fausse excuse. "Faire sa propre pâte à gâteau, ça prend 10 minutes, son propre bouillon de légumes, c'est un quart d’heure", affirme-t-elle.

Bon appétit ou bonne chance?

Mais faire soi-même sa cuisine, c’est aussi prendre soin de sa santé. En privilégiant les produits de saison, on met tous les atouts de notre côté. Et n’allez pas dire à Annick Jeanmairet qu’il est trop tard pour bien faire, que la cuisine industrielle a déjà gagné le combat de l’alimentation. "Les gens ont trop conscience du fait que, quand on passe à table aujourd'hui, on ne se dit plus 'bon appétit' mais 'bonne chance'."

Le restaurant de haute gastronomie La Maison Pic à Valence affiche le label "plats faits maisons, élaborés sur place à partir de produits bruts".

Pour la maîtresse des lieux, Anne-Sophie Pic, c’est une évidence. Mais comment gagner le combat contre le précuisiné ? La cheffe triplement étoilée estime que les grands cuisiniers doivent jouer le rôle de guides. Ils pourraient s'investir dans l'industriel pour amener davantage de goût. Ce n'est pas incompatible, mais il faut le faire en toute honnêteté et en toute conscience, ajoute Anne-Sophie Pic.

>> L'interview d'Anne-Sophie Pic :

Keystone - Jean-Christophe Bott