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Le sommeil des nourrissons décrypté pour mieux aider les parents fatigués

SOS mon bébé ne dort pas. [RTS]
SOS mon bébé ne dort pas / 36.9° / 23 min. / le 20 septembre 2023
Moment clé du développement du bébé, l'apprentissage du sommeil implique intimement la relation aux parents et réclame la mise en place d’un cadre sécurisant. Mais il est parfois difficile de ne pas perdre patience pendant cette phase de construction du sommeil. Pour mieux comprendre ce domaine méconnu et l'accompagner au mieux, l’Université de Fribourg a créé un laboratoire de recherche: "le Baby Sleep Laboratory".

Quand le marchand de sable ne passe pas, les parents se retrouvent en manque de sommeil, désespérés, et c’est tout l’équilibre familial et professionnel qui est en péril.

Pour la pédiatre Russia Ha-Vinh Leuchter, du service Développement & Croissance à l'Hôpital des enfants des HUG, c’est un motif récurrent de consultation. "Il y a un peu une attente double dans notre société. D'une part, une grande volonté d’être très proche de son bébé, de beaucoup le porter, et d’autre part, une volonté assez rapide que l’enfant soit autonome la nuit. Il y a parfois comme un 'mismatch' entre les besoins de l’enfant, ou ce qu’il est capable de faire, et ce que les parents attendent", détaille-t-elle.

Une méconnaissance du sommeil du bébé

L’architecture du sommeil des nourrissons est aujourd'hui encore mal comprise. C’est pour explorer ce domaine encore méconnu que l’Université de Fribourg a créé un laboratoire de recherche: "le Baby Sleep Laboratory".

Mais collecter des données chez les nourrissons est un travail délicat. Il faut trouver des familles volontaires, avec un bébé au développement normal, perturber le moins possible l’enfant et compter sur sa collaboration.

"Chez le nourrisson, c’est très brouillon. Il a un sommeil qui va être beaucoup plus immature et les différentes phases de sommeil vont être moins bien définies. Entre trois et six mois, on commence à voir une évolution du signal et, à six mois, ça commence à être un petit peu plus simple pour définir ces phases", résume Matthieu Beaugrand, neuropsychologue au Baby Sleep Laboratory du Département de psychologie de l'Université de Fribourg.

Micro-réveils

Un nouveau-né dort en moyenne 16 à 17 heures par jour. La majeure partie de son sommeil est constituée de sommeil agité, avec des cycles courts qui ne durent que 50 à 60 minutes. De micro-réveils interviennent entre chacun de ces cycles et certains bébés vont mieux parvenir à se rendormir que d’autres.

A trois mois, l’alternance jour-nuit s’installe, les cycles s’allongent à 70 minutes. Le sommeil calme devient un sommeil profond, il occupe désormais plus de la moitié du temps. Il se décline en deux stades: sommeil lent léger et sommeil lent profond.

Le sommeil paradoxal est très important, mais on ne sait pas encore exactement dans quelle mesure. S'il n’était pas si utile que cela, il y aurait eu un changement au cours de l’évolution

Matthieu Beaugrand, Neuropsychologue, Baby Sleep Laboratory, Département de Psychologie, UniFR

Vers neuf mois, le sommeil agité diminue toujours pour n’occuper que 20% du temps. Et il se déplace en fin de cycle.

Entre un et trois ans, le sommeil de l’enfant continuera à acquérir une structure proche de celui de l’adulte avec, notamment, une augmentation du sommeil lent à 70%.

L'importance du sommeil paradoxal

Les mammifères – comme l’être humain – dont les petits naissent immatures, présentent donc une forte proportion de sommeil agité ou paradoxal. "Ce sommeil paradoxal est très important, mais on ne sait pas encore exactement dans quelle mesure. S'il n’était pas si utile que cela, il y aurait eu un changement au cours de l’évolution", constate Matthieu Beaugrand.

Parmi les hypothèses des chercheurs, celle que ce type de sommeil sert à la mise en place de circuits nerveux et à la maturation cérébrale. Il prépare le bébé à des fonctions qui seront ensuite celles de l’éveil. Ainsi, les mimiques du nouveau-né dans son sommeil – un sourire ou une grimace de peur – serviraient de répétition à celles qu'il utilisera quelques semaines plus tard dans ses interactions, conscientes cette fois.

Lien entre sommeil et microbiote

Les recherches menées à l’Université de Fribourg ont mis en lumière, pour la première fois, une corrélation entre le microbiote intestinal de l’enfant et la maturation de son sommeil. Grâce aux données récoltées, l’équipe a remarqué qu'un groupe d’enfants doté d’un certain type de profil sur le plan des bactéries intestinales présentait moins de sommeil profond. Et les bébés qui font davantage de sieste, ceux qui dorment plus fréquemment et plus longtemps durant la journée, ont un microbiote moins diversifié. L’immaturité du rythme de sommeil va donc de pair avec l'immaturité du microbiote.

Il arrive que les parents restent fixés sur un conseil qu'on leur a donné, qui était adapté à une période précoce, et qu'ils maintiennent ce conseil-là pendant très longtemps

Dre Nadia Bruschweiler Stern, Pédiatre Pédopsychiatre , Directrice du Centre Brazelton Suisse, Clinique des Grangettes

C’est vers l’âge de trois mois que ce lien étroit entre le sommeil et le microbiote est le plus évident. Il se passerait donc quelque chose de très important entre la maturation du sommeil, du système digestif et du cerveau dans cette période. Entre six et douze mois, ce lien existe toujours mais il est moins fort.

C’est aussi de trois à quatre mois que le bébé commence à régler son horloge interne sur l’alternance jour-nuit. Et cela va encore se consolider jusqu'à ses six mois. L’allongement de ces cycles de sommeil lui permet aussi de franchir cette étape.

Attention aux habitudes

A cet âge, l’enjeu est aussi comportemental, car vers trois-quatre mois l’enfant commence à se souvenir, et donc à prendre des habitudes. L’attitude des parents est alors déterminante.

"Il arrive que les parents restent fixés sur un conseil qu'on leur a donné, qui était adapté à une période précoce, et qu'ils maintiennent ce conseil-là pendant très longtemps. Ne pas laisser pleurer c’est important effectivement, en tout cas dans les trois premiers mois, je dirais. Ensuite, le bébé a appris ce qu’était une interaction. Il a compris que, quand il pleurait, il faisait venir ses parents", développe la doctoresse Nadia Bruschweiler Stern, pédiatre et pédopsychiatre, directrice du Centre Brazelton Suisse à la Clinique des Grangettes.

Reportage TV: Raphaëlle Aellig, Clémentine Bugnon

Adaptation web: Gaëlle Bisson

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