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Un gigantissime trou noir détecté grâce à une lentille gravitationnelle

Illustration artistique d'un trou noir: son champ gravitationnel intense déforme l'espace qui l'entoure. Cela déforme les images lumineuses en arrière-plan, alignées presque directement derrière lui, en anneaux circulaires distincts. Cet effet de lentille gravitationnelle offre une méthode d'observation pour déduire la présence de trous noirs et mesurer leur masse, en fonction de l'importance de la courbure de la lumière. [CC BY 4.0 - ESA/Hubble, Digitized Sky Survey, Nick Risinger (skysurvey.org), N. Bartmann]
Un gigantissime trou noir détecté grâce à une lentille gravitationnelle / Le Journal horaire / 31 sec. / le 29 mars 2023
Des astronomes britanniques ont détecté et mesuré l'un des plus gros trous noirs jamais observé: il fait plus de 30 milliards de fois la masse de notre Soleil. Il a été révélé grâce à une lentille gravitationnelle, un phénomène permettant à la gravitation de courber la lumière aux abords d'un objet massif.

Ce trou noir supermassif a une masse équivalente à plus de 30 milliards de fois celle du notre Soleil, selon l'étude parue cette semaine dans une revue scientifique de la Royal Astronomical Society britannique.

James Nightingale, astronome à l'Université britannique de Durham et premier auteur de l'étude, a déclaré à la BBC qu'il avait même du mal à "comprendre l'ampleur de cette chose", ajoutant: "Si vous regardez le ciel nocturne, que vous comptez toutes les étoiles et les planètes que vous pouvez voir et que vous les placez en un seul point, cela représenterait une fraction de pourcent de la taille de ce trou noir. Il est plus grand que la majorité des galaxies de l'Univers". De quoi avoir le vertige (lire encadré).

>> En juin 2022, un trou noir de "seulement" 3 milliards de masses solaires était découvert : Des astronomes d'Australie découvrent un gigantesque trou noir

Sur cette photographie, la gravité d'une galaxie rouge lumineuse a déformé la lumière d'une galaxie bleue beaucoup plus éloignée: c'est l'effet dit de lentille gravitationnelle. En général, une telle déformation donne lieu à deux images discernables de la galaxie lointaine mais, ici, l'alignement de la lentille est si précis que la galaxie d'arrière-plan est déformée en un fer à cheval – un anneau presque complet. Cet effet de lentille ayant été prédit en détail par Albert Einstein il y a plus de 70 ans, les anneaux de ce type sont aujourd'hui connus sous le nom "anneaux d'Einstein". [APOD/NASA - ESA/Hubble]

Et c'est le premier trou noir dont les caractéristiques sont déterminées grâce à la technique de détection par lentille gravitationnelle. Ce phénomène est provoqué par la présence d'un objet si massif – une ou plusieurs galaxies, un trou noir supermassif, beaucoup de matière noire – qu'il courbe l'espace-temps.

La lumière provenant d'une source lointaine en paraît ainsi déformée quand elle passe à proximité; la gravitation plie la course des photons.

L'utilisation de cette technique devrait permettre d'en savoir plus sur les milliers de ces géants cosmiques que l'on s'attend à découvrir dans les prochaines années.

Si l'on peut observer une galaxie, on ne peut pas, littéralement, voir un trou noir: cette singularité gravitationnelle a pour particularité d'être si dense que même la lumière ne peut s'en échapper, ce qui la rend par conséquent invisible. On ne peut voir que la lumière et le gaz qui tournoient à très grande vitesse autour d'un trou noir.

"Beaucoup de chance"

Cette fois, les astronomes ont eu "beaucoup de chance", explique James Nightingale. L'équipe de recherche a pu observer la lumière d'une galaxie située loin derrière: son trajet paraissait dévié par le trou noir, à environ deux milliards d'années-lumière de la Terre.

Pour faire cette constatation, les scientifiques ont inclus dans une simulation un trou noir ultramassif et ont remarqué que cette trajectoire lumineuse correspondait à un trajet réel vu sur des images prises par le télescope Hubble, comme l'explique le communiqué de Durham.

Comment la courbure de la lumière due à la gravité a révélé l'un des plus grands trous noirs jamais découverts et comment la simulation a éclairé la réalité:

La plupart des galaxies sont censées abriter en leur centre un trou noir. Mais jusqu'ici, pour détecter leur présence, il fallait observer les émissions d'énergie qu'ils produisent en absorbant de la matière qui s'est aventurée trop près. Ou bien en constatant leur influence sur la trajectoire des étoiles qui sont en orbite autour d'eux.

>> Le trou noir supermassif Sagittarius A* – : Un trou noir existe bel et bien au centre de la Voie Lactée

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La future carte d'Euclid

Ces techniques ne fonctionnent cependant que pour des trous noirs suffisamment proches de la Terre.

Simulation animée d'un trou noir glissant devant une galaxie lointaine: l'effet de lentille gravitationnelle est visible lors de son passage. [Wikimedia/GNU Free Documentation License - Urbane Legend/Alain r]

En revanche, la technique de lentille gravitationnelle permet aux astronomes de "découvrir des trous noirs dans les 99% de galaxies qui sont actuellement inaccessibles" à l'observation traditionnelle, parce que trop lointaines, indique l'astronome, comme par exemple des trous noirs inactif ou extrêmement massifs. Les scientifiques pourront aussi étudier comment ils sont devenus si gargantuesques.

On recense environ 500 lentilles gravitationnelles, dont au moins une est désormais le fait d'un trou noir supermassif. Mais "ce paysage est sur le point de changer radicalement", selon James Nightingale.

La mission de l'Agence spatiale européenne Euclid, dont le décollage est prévu en juillet, va inaugurer "une ère de données massives" pour les chasseuses et chasseurs de trous noirs, en créant une carte haute résolution d'une partie de l'Univers, ajoute-t-il. Selon le scientifique, en six ans d'observation, Euclid pourrait détecter jusqu'à 100'000 lentilles gravitationnelles, dont potentiellement plusieurs milliers de trous noirs.

La découverte effectuée par l'astronome et ses collègues s'est basée sur des simulations informatiques et des images obtenues par le télescope spatial Hubble. Ces observations confirment et expliquent celles menées il y a 18 ans par un astronome de l'Université de Durham et collègue de James Nightingale, Alastair Edge, qui soupçonnait la présence d'un trou noir au centre de la galaxie massive et elliptique Abell 1201.

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Stéphanie Jaquet et l'afp

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Un million? Un milliard?

Pour prendre la mesure de ces objets à peine imaginables, il faut aussi saisir la différence d'échelle entre un million et un milliard. Oui, un milliard est égal à mille millions: six zéros derrière le "1" pour le million et neuf pour le milliard. Mais ces nombres gigantesques restent difficiles à se représenter concrètement.

Pour le faire, prenez comme unité de base la seconde et posez-vous ces deux questions: avez-vous déjà vécu un million de secondes? Et qu'en est-il d'un milliard de secondes?

La réponse donne le vertige: un million de secondes correspondent à onze jours et demi. Quant à un milliard, c'est presque trente-deux ans!