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Les points de Lagrange, une destination spatiale très attirante

La chronique scientifique (vidéo) - Les points Lagrange
La chronique scientifique (vidéo) - Les points Lagranges / La Matinale / 3 min. / le 17 janvier 2022
Le télescope spatial James Webb, qui a décollé le jour de Noël, devrait atteindre son but d'ici le 24 ou 25 janvier. Il vise un point de Lagrange, un lieu tout à fait exotique, avec des lunes fantômes, voire des cimetières de vaisseaux abandonnés.

Les points de Lagrange – du nom du mathématicien qui les a théorisés au XVIIIe siècle – sont les endroits où l'attraction de la Terre et du Soleil se compensent de manière à ce que si un objet s'y trouve, il y reste. Chacun tire de son côté: le Soleil de l'un, la Terre de l'autre. Les forces ne s'annulent pas, mais ensemble, elles donnent juste l'élan nécessaire pour que l'objet reste fixe par rapport à la Terre et l'accompagne dans sa course autour du Soleil.

En tout, il y a autour du couple Terre-Soleil cinq points de Lagrange, et ils sont bien pratiques pour les télescopes spatiaux et autres sondes, notamment parce que se maintenir à ces emplacements demande nettement moins d'énergie qu'ailleurs – un peu comme une bonne vieille chaise longue très attirante, dont il est difficile de se sortir.

Les cinq points de Lagrange autour du couple Terre-Soleil. [NASA]

Une fois sur place, les engins ne peuvent pas totalement se laisser aller, parce que plusieurs de ces points ne sont pas vraiment stables, mais ils dépensent nettement moins de carburant que s'ils étaient dans un endroit moins accueillant – gravitationnellement parlant.

A l'opposé du Soleil

L2, le point de Lagrange visé par le James Webb, est dans la direction diamétralement opposée au Soleil, à 1,5 million de kilomètres de notre planète. Ça n'est d'ailleurs pas le premier télescope spatial (lire encadré) à choisir ce point de vue parfait pour observer le fin fond de l'Univers parce qu'il est tout le temps à l'ombre de la Terre: pas besoin de parasol, quoique le James Webb en a quand même pris un de la taille d'un terrain de tennis, car il est vraiment très sensible.

>> Au sujet des enjeux scientifiques de l'instrument : James-Webb, le télescope le plus puissant jamais conçu, s'envolera à Noël

En revanche, si on préfère les destinations plus ensoleillées, mieux vaut choisir L1, le point de Lagrange qui se trouve pile à l'opposé, tout droit en direction du Soleil: c'est d'ailleurs un poste de choix pour les sondes qui observent notre astre, comme celle nommée SOHO.

Le mythe d'une Anti-Terre

Le troisième point de Lagrange, L3, est lui aussi dans cette direction, mais beaucoup plus loin, de l'autre côté du Soleil. Cet emplacement, symétrique au nôtre dans le système solaire, faisait déjà fantasmer les disciples de l'école pythagoricienne au V siècle avant notre ère. Ils imaginaient qu'il y avait là-bas une sorte d'Anti-Terre, qu'on retrouve d'ailleurs notamment dans "Ada ou l'Ardeur", un roman de Vladimir Nabokov, ou dans les comics de Marvel. Une Terre-miroir, inversée, où les droitiers sont gauchers, où l'Amérique du Nord a été colonisée par les Russes et les Français, ou encore, peuplées d'extraterrestre prêts à nous envahir ou qui se cachent de nous, selon les versions.

Malheureusement pour notre imaginaire collectif, ces trois points de Lagrange sont instables – des chaises longues pas si confortables que ça, si on veut – et il est donc peu vraisemblable qu'une horde de gauchers et de gauchères nous y attendent, que ce soit pour prendre le thé ou nous faire passer un mauvais quart d'heure.

Des hamacs de l'espace

Reste les deux derniers, les points de Lagrange L4 et L5, qui se trouvent sur la même orbite que la Terre autour du Soleil, avec L4 loin devant nous et L5 loin derrière. Et ces deux points là sont stables, bien moelleux, des vrais hamacs de l'espace qui ont de quoi attirer toutes sortes de choses, d'où le fantasme du cimetière de vaisseaux extraterrestres.

D'ailleurs, si on regarde le système Soleil-Jupiter, qui a aussi des points de Lagrange, comme n'importe quel système de deux corps massifs, il y a des milliers d'astéroïdes parqués sur L4 et L5. Ces endroits sont aussi de formidables nids à poussière. Et des observations suggèrent qu'il y a aux points de Lagrange du système Terre-Lune des sortes de Lunes fantômes constituées de gigantesques nuages de poussières spatiales.

Les astéroïdes troyens – sur le shéma noté "Greeks" et "Trojans" – parqués aux points L4 et L5 du système Jupiter-Soleil. [Wikimedia Commons - Orion8/CC]

Auto-stop galactique

Quant aux points de Lagrange stables du système Terre-Soleil, on n'y a pour l'instant détecté que deux astéroïdes de quelques centaines de mètres. Les deux sont actuellement en villégiature à L4, devant nous, même s'il l'un d'entre eux a peut-être d'abord séjourné à L5, avant de passer par L3 et de finir à L4, en bon auto-stoppeur de la galaxie, qui suit les courants gravitationnels, en se faisant déposer dans les endroits les plus attirants.

On n'y a en revanche repéré aucun cimetière de vaisseaux extraterrestres pour l'instant. Mais peut-être que si on continue à y envoyer nos sondes et nos télescopes, les points de Lagrange seront un jour des musées de l'exploration spatiale, qu'on pourra aller visiter quand on maîtrisera mieux l'art de l'auto-stop à grande échelle.

>> Pour savoir en tout temps où se trouve le télescope James Webb, une page de la NASA: Where is Webb?

Orbite du James Webb Space Telescope selon trois axes. [NASA - Wikimedia Commons]

Sujet radio: Lucia Sillig

Version web: Stéphanie Jaquet

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Le CMB, une cartographie de Planck au L2

Le satellite Planck est arrivé au point Lagrange 2 en juillet 2009. Pour plus de précision, il orbite autour de ce point à une distance moyenne de 400'000 kilomètres: c'est important car cela veut dire qu'il n'est jamais dans l'ombre de la Terre afin que ses panneaux solaires – qui lui donnent toute son énergie – puissent toujours voir le Soleil.

C'est lui qui a scanné le ciel pour cartographier le fond diffus cosmologique, le Cosmic Microwave Background (CMB). Il s'agit de la radiation "fossile", ou résiduelle, du Big Bang.

Une image des piliers fond diffus cosmologique, le Cosmic Microwave Background (CMB), réalisé par le satellite Planck depuis le point Lagrange 2. [ESA - Planck]

>> Lire : Le satellite Planck remonte le temps jusqu'à l'aube du Big Bang