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Les droits de notre cerveau, ou la limite de la vie privée

Les progrès exponentiels des neurotechnologies posent la question des droits du cerveau. Le Chili se saisit de la thématique dans sa nouvelle constitution
Les progrès exponentiels des neurotechnologies posent la question des droits du cerveau. Le Chili se saisit de la thématique dans sa nouvelle constitution / 19h30 / 2 min. / le 14 décembre 2021
Les neurotechnologies ont fait des progrès incroyables, permettant d'explorer ou de manipuler notre cerveau. Des données qui intéressent évidemment l'armée, les politiques ou des entreprises commerciales. La question du droit de notre cerveau comme dernière frontière à la vie privée devient brûlante.

Manipuler artificiellement le cerveau pour changer la réalité. Les neurotechnologies ont été largement exploitées dans les films de science-fiction. Mais les progrès incroyables réalisés dans le domaine médical ces dernières années rendent ces performances bien réelles.

Dans un avenir proche, des implants permettront de guérir la cécité ou la surdité. Grâce à des stimulateurs cérébraux, il sera possible d'améliorer la vie des patients atteints des maladies d'Alzheimer, de Parkinson ou de schizophénie. Les neurotechnologies permettent également aux patients amputés de contrôler un membre artificiel par la pensée.

Réglementer l'utilisation du cerveau

A l'EPFL, le laboratoire d'ingénierie translationel va encore plus loin et travaille sur l'homme "augmenté": "La même technologie qui est utilisée pour un patient AVC pourrait être utilisée pour un sujet sain, dans le but d'améliorer une certaine fonctionnalité. Cela peut être, par exemple, la possibilité de contrôler trois bras en même temps, un onzième doigt ou un troisième pouce", explique le neuroingénieur du laboratoire, Solaiman Shokur, mardi dans le 19h30.

Ces avancées majeures, qui permettent de lire et d'inscrire des informations dans notre cerveau, s'accompagnent d'inquiétudes sur la limite de la vie privée. Le droit du cerveau, ou "neurodroit", devient un enjeu crucial. Car le cerveau et son exploitation attirent l'attention de l'armée, de la politique ou encore des entreprises commerciales.

Pour Marcello Ianca, bioethnicien à l'EPFL et l'ETHZ, il faut impérativement réglementer l'utilisation des données liées à l'exploitation du cerveau: "La neurotechnologie dans le domaine médical est extrêmement et strictement réglementée. Il y a des normes éthiques et des lois contraignantes. Mais quand on arrive dans le domaine commercial, c'est un no man's land sans règles."

Enjeux financiers

Des casques récoltant les données cérébrales sont déjà vendus pour lutter contre l'insomnie ou la dépression, à la manière des montres connectées. Les enjeux financiers sont tels qu'ils attirent de nombreux investisseurs. Et les applications possibles dépassent parfois le domaine médical.

Facebook, par exemple, cherche depuis des années à établir un lien direct entre le cerveau humain et les machines, sans passer par une souris ou un mouvement de doigt. Elle développe actuellement un bracelet capable de piloter un ordinateur via des signaux électriques transmis aux muscles par le cerveau.

De son côté, le milliardaire américain Elon Musk, à travers sa start-up Neuralink, développe des implants cérébraux visant à restaurer la mobilité chez des personnes paralysées.

Risque de hacking ou manipulation

Ces avancées, aussi bénéfiques soient-elles, s'accompagnent aussi du risque qu'un jour, nos cerveaux soient hackés ou manipulés.

C'est le combat d'éthiciens comme Marcello Ianca: "Quand les réseaux sociaux ont été développés, il y avait peu d'intérêt pour l'éthique ou la réglementation. Aujourd'hui, on ne sait plus comment s'en sortir, parce qu'on a réagi trop tard. Avec la neurotechnologie, on ne peut pas attendre pour réagir, parce que les enjeux sont trop grands."

Le Chili a déjà relevé le défi. Il est le premier pays à avoir inscrit dans sa Constitution le droit des citoyens à leurs pensées et à la protection de celles-ci. Le Conseil européen et l'OCDE travaillent également sur la même problèmatique.

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Delphine Gianora/fme

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