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Sur les traces des archosaures qui ont sillonné le Valais il y a 240 millions d'années

Deux paléontologues à la recherche de traces de reptiles primitifs, les archosaures.
Deux paléontologues à la recherche de traces de reptiles primitifs, les archosaures. / 19h30 / 3 min. / le 28 août 2020
Deux paléontologues sont partis à la recherche de nouvelles traces d'archosaures, ancêtres des dinosaures, qui ont foulé la roche au-dessus de l'actuel village des Marécottes (VS). La RTS les a suivis sous les hautes falaises du vallon d'Emaney.

Ces empreintes figurent parmi les plus vieilles traces de vertébrés découvertes en Suisse. Il ne s'agit pas de dinosaures, mais de leurs aïeux: les archosaures. Ces reptiles de 3 mètres sont les ancêtres lointains des crocodiles et des dinosaures.

Les premières traces d'archosaures en Suisse ont été découvertes en 2003, là où aujourd'hui des bouquetins foulent la roche. Le réchauffement de ces dernières décennies et le déneigement ont révélé cette voie, à 2400 mètres d'altitude sur des dalles de grès.

Après avoir étudié ces traces et publié leurs travaux en 2012, les chercheurs du Muséum d'histoire naturelle de Genève ont trouvé de nouvelles pistes, sur le site de Bas Veudale, découvertes avec la fonte d'un névé en 2015.

Une route de près de 7 kilomètres

En comparant les deux petits fragments de piste de Bas Veudale et de la Cascade d'Emaney, séparés de 6,4 kilomètres, les chercheurs du Muséum parviennent à dessiner une possible route rectiligne, empruntée il y a 240 millions d'années par une même espèce de reptile archosaure. "Ce n'est pas complètement impossible que les deux petits bouts de piste aient été laissés par le même animal", affirme Lionel Cavin.

Aujourd'hui, c'est sous les hautes falaises du vallon d'Emaney que Lionel Cavin et André Piuz, également paléontologue au Muséum d'histoire naturelle de Genève, vont suivre de nouvelles pistes.

Un climat chaud

Les empreintes ont résisté à la formation des Alpes. Lorsque ces archosaures se déplaçaient, l'environnement était bien différent: "Les Alpes n'existaient pas, on était à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer. Cela ne ressemblait donc pas du tout à maintenant. Il faudrait plutôt imaginer les Bahamas, une mer chaude, un climat plus chaud qu'actuellement", explique Lionel Cavin.

Les vestiges de ce rivage fossile où déambulaient les animaux se découvrent petit à petit. La neige qui recouvrait le site disparaît l'été, libérant de nouvelles dalles à explorer.

Lumière artificielle

Depuis le passage des archosaures, les montagnes se sont soulevées, déplacées, les masses de roches ont glissé les unes sur les autres. "On n'espérait pas trouver des empreintes de pas dans ces environnements-là, mais pourtant il y en a. Donc c'est un endroit exceptionnel. Plus par le contexte géologique que par la beauté des traces, car elles sont très discrètes", confie le chercheur.

Des traces tellement discrètes qu'il est difficile de les voir en plein jour, même pour un oeil averti.

"L'objectif de ce soir est d'observer les empreintes à la lumière artificielle, c'est-à-dire avec des projecteurs. On peut les diriger nous-mêmes avec une lumière très basse, pour augmenter les reliefs", explique Lionel Cavin.

La lumière artificielle très basse permet d'augmenter les reliefs. [RTS]

Déplacement en couple

Ce soir-là, les deux scientifiques ne seront pas déçus. Ils ont fait une nouvelle découverte: deux séries de traces, parallèles. Au lever du jour, ils mesurent et cartographient les nouvelles empreintes, alignées sur presque 30 mètres.

"C'est peu probable que ces deux pistes soient parallèles par hasard. Ces animaux se déplaçaient probablement en même temps. On peut imaginer un début de comportement en couple: un mâle et une femelle ou une mère et son petit. On le verra en analysant la taille de ces empreintes", précise Lionel Cavin.

Comme un crocodile dressé sur ses pattes

Grâce aux empreintes et aux squelettes retrouvés ailleurs en Europe, on arrive à dresser le portrait des archosaures.

"On imagine que l'animal devait ressembler à une espèce de crocodile de 3 à 4 mètres, mais dressé sur ses pattes. On en est sûr, car les pistes sont très étroites ici", souligne Lionel Cavin.

A partir de l'observation des empreintes, il est possible de reconstituer le comportement de ces êtres vivants du passé: vitesse de marche, direction, pause, saut, seul ou en groupe. Les chercheurs pensent qu'il y a eu au moins deux, voire trois espèces différentes.

André Piuz n'a pas perdu une once d'enthousiasme devant ces nouvelles découvertes: "C'est incroyable, car on a préservé dans ces roches un moment unique de quelques instants, du passage d'un animal, d'un de ces reptiles primitifs archosaures, qui a traversé une petite zone sableuse au bord d'une rivière, il y a 240 millions d'années."

Instant fugitif et désormais éphémère, car ces traces sont vouées à disparaître avec l'érosion.

Aurélie Coulon et Feriel Mestiri

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