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Les élus victimes de menaces dans la campagne sur la loi Covid

Le conseiller d'Etat valaisan Mathias Reynard. [Keystone - Etienne Bornet]
La haine avant la votation sur la loi COVID / Mise au point / 13 min. / le 14 novembre 2021
Le conseiller d’Etat valaisan en charge de la Santé, Mathias Reynard, a reçu des menaces de mort après avoir débattu en faveur de la loi Covid lors de l’émission Infrarouge du 27 octobre dernier, tandis que le conseiller d'Etat genevois Mauro Poggia a déposé plainte pour avoir été comparé à Hitler. Au niveau fédéral, les nombres de menaces et insultes ont quadruplé en 2020. Fedpol dénonce une augmentation de la virulence depuis la rentrée politique.

Décision de l'AIEP: l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio - télévision (AIEP) a admis le jeudi 22 juin une plainte pour le sujet intitulé "La haine avant la votation sur la loi Covid" diffusé dans l’émission Mise au Point du 14 novembre 2021. L’AIEP estime que  les devoirs de diligence accrus avant les votations populaires n’ont pas été respectés.  (Lire le détail de la décision de l'AIEP) Un recours de la SSR contre cette décision a été rejeté par le Tribunal fédéral le 20 septembre 2023. (Lire le détail de la décision du Tribunal fédéral.)

Mathias Reynard est sous le choc: "quand on reçoit une menace de mort, évidemment, c’est choquant et on se demande forcément si on risque quelque chose. On se dit que ça dépasse tout. Et qu’il ne faut pas laisser passer."

Le socialiste de 34 ans a endossé au mois de mai seulement, en pleine crise pandémique, son nouveau costume de ministre de la Santé en Valais. Auparavant, il a passé 10 ans sur les bancs du Conseil national, mais jamais il n'avait vécu une telle violence. "Je trouvais important d'en parler, parce que les gens ne se rendent pas compte qu’il y a cette réalité, cette violence", s'est confié l'élu dans le reportage de Mise au Point.

Une campagne de votation très tendue

Engagé dans la campagne en faveur du "oui" à la loi Covid soumise au vote populaire le 28 novembre prochain, Mathias Reynard n'aurait jamais cru craindre pour sa vie. "C'est bien évidemment lié à l’approche de la votation. C’est une période très tendue où il est éprouvant d'être aux responsabilités. On travaille pour l’intérêt général, pour sortir collectivement de la crise et en face, il y a de la haine, de la violence", déplore-t-il.

J'ai reçu des menaces de mort simplement pour avoir donné les chiffres officiels de l’hôpital. C'est complètement taré!

Mathias Reynard, conseiller d'Etat en charge de la Santé (PS/VS)

Les menaces de mort sont arrivées après sa participation au débat de l'émission Infrarouge consacré à la votation sur la loi Covid. Mathias Reynard justifiait notamment les mesures sanitaires pour protéger les hôpitaux: "J’ai reçu des menaces de mort, simplement pour avoir donné les chiffres officiels de l’hôpital. C’est complètement taré!"

A l'issue de ce même débat, la violoncelliste Estelle Revaz, engagée en tant que citoyenne en faveur de la loi pour que soit assuré le maintien de la vie culturelle, a aussi dû subir une salve d'injures, notamment sexistes. Dimanche sur le plateau de Mise au Point, elle a plaidé pour que le terrain du débat démocratique ne soit pas abandonné à des auteurs de messages de haine.

>> Voir l'interview d'Estelle Revaz :

La violoncelliste Estelle Revaz menacée en raison de son engagement
La violoncelliste Estelle Revaz menacée en raison de son engagement / Mise au point / 3 min. / le 14 novembre 2021

Les opposants à la loi Covid partagent le constat

Du côté des opposants à la loi, Rossana Scalzi, membre du comité référendaire, dénonce aussi ce climat de campagne tendu: "C'est vrai qu'on est inquiet pour ce climat qui pour nous découle vraiment de ce durcissement, de ces mesures qui incitent les gens à la haine, à la violence, à la délation".

Le coprésident des Amis de la Constitution Werner Boxler confirme qu'il faut parfois recadrer des militants: "A l'intérieur des Amis de la Constitution nous avons une charte que nous appliquons. Quand quelqu'un déborde, on le recadre. C'est arrivé par moments de devoir le faire. Quand le Conseil fédéral a franchi la ligne rouge le 8 septembre sur le pass sanitaire, il y a eu une augmentation de la virulence. C'est une conséquence de ses actes, on ne peut pas prendre le citoyen, la population suisse, pour des gens immatures."

Plaintes pénales déposées par Mathias Reynard et Mauro Poggia

À la suite de ces menaces de mort proférées par des auteurs anonymes contre Mathias Reynard, la police valaisanne a dû mettre en place un dispositif, avec une sécurité accrue lors de certains déplacements du conseiller d’Etat. Par ailleurs, Mathias Reynard a déposé plainte. "Il le faut, c’est quelque chose de beaucoup trop grave, on ne peut pas banaliser de telles menaces", explique-t-il. À ce jour, deux auteurs des menaces ont déjà pu être identifiés et l'affaire suit son cours.

Mathias Reynard a également informé ses collègues de la conférence romande des ministres de la Santé qui lui ont témoigné leur soutien. D’autant que chacune et chacun des ministres en place a subi des attaques personnelles, des insultes et des menaces. Chaque canton a par ailleurs pris des mesures de sécurité spécifiques depuis le début de la pandémie.

Le conseiller d'Etat genevois Mauro Poggia a lui déposé plainte pénale après la diffusion sur les réseaux sociaux d'une image de lui trafiquée en Hitler. L'auteur a pu être identifié et entendu par la police. Il a écrit une lettre d'excuses au Conseiller d’Etat genevois, qui n’a pas encore décidé des suites qu'il allait donner.

Les menaces et injures envers les élus fédéraux explosent

Le conseiller national Philippe Nantermod a lancé au mois de juillet déjà un appel pour que tout le monde se vaccine sur son blog hébergé par le journal Le Temps. Il a lui aussi fait les frais d'auteurs de messages haineux: "on m’a promis l’échafaud, on m'a promis qu'on réglera nos comptes, que les personnes comme moi devraient y passer… Des propos assez violents, on n'a pas tellement l'habitude dans les campagnes. Je comprends que les gens sont très touchés, mais par moments on dépasse les bornes."

Stéphane Theimer est le Chef de la sécurité des élus et du conseil fédéral à Fedpol. Quand il a pris ses fonctions, en janvier, le nombre d’interventions à la suite des menaces signalées par des élus venait de quadrupler. En 2020, Fedpol a par ailleurs identifié 64 mises en danger potentielles de la vie de nos élus. Et cela ne s’améliore pas en cette rentrée politique: "Ce qu'on constate surtout c'est une certaine virulence et un ton qui devient toujours de plus en plus agressif. Ce que je peux dire c'est que la situation est très dynamique et inédite pour nous. C'est-à-dire qu'elle change à peu près toutes les minutes, l'utilisation des réseaux sociaux fait que les informations vont très très vite."

>> Lire aussi : Les menaces contre la classe politique augmentent sur les réseaux sociaux

"On n’est pas habitué à ça en Suisse"

Pour Mathias Reynard, au-delà des mesures de sécurité qu’imposent de telles menaces, le danger de ce climat haineux réside dans une détérioration du débat démocratique. "Après de telles menaces, le risque est de ne plus oser parler. C’est donc une attaque contre la démocratie", estime-t-il, pointant du doigt un climat inédit. "On n'est vraiment pas habitués à ça en Suisse. Ici, quand on participe à un débat, on reçoit quelques félicitations, quelques critiques, peut-être une ou deux insultes. Mais quand ça devient des menaces de mort, franchement ça dépasse tout, ça n’a pas sa place dans notre pays."

Le conseiller d'Etat rappelle cependant qu'il s’agit d'une infime minorité de personnes qui usent de la violence dans leur propos. "L’immense majorité des gens soutiennent la gestion des autorités dans cette crise, estime-t-il. Mais il faut un retour à la sérénité, au calme, au consensus et au respect". Mauro Poggia estime par ailleurs qu'il faut "continuer à occuper le terrain sur les réseaux sociaux, en tant qu’autorité".

>> Revoir le débat d'Infrarouge consacré à la loi Covid :

Loi covid: le pass à la trappe?
Loi covid: le pass à la trappe? / Infrarouge / 64 min. / le 27 octobre 2021

Nathalie Ducommun/vic

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