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Devant la justice pour un "J'aime" ou un "partage" sur les réseaux sociaux

Devant la justice pour un like sur internet
Devant la justice pour un like sur internet / Mise au point / 13 min. / le 9 mai 2021
Un simple "like", une simple mention "J'aime", sur les réseaux sociaux peut conduire son auteur devant la justice. Les plaintes déposées contre les commentaires injurieux ou calomnieux se multiplient en Suisse. Plus de 700 personnes font l'objet d'une enquête concernant une seule et même affaire en Valais.

L'histoire commence dans un restaurant du centre-ville de Martigny. Pour des raisons écologiques et économiques, le patron Fred Faibella a choisi de faire payer la carafe d'eau à ses clients. Mais un soir d'octobre, la décision du restaurateur n'est pas comprise.

"Quatre personnes rentrent, ils vont s'installer et ils passent commande. Ils souhaitent une carafe d'eau, alors ma fille leur répond que la politique de la maison est, effectivement, de la facturer. Ils n'ont pas du tout apprécié. Ils sont partis et ils ont été un peu se venger sur les réseaux sociaux", raconte Fred Faibella dans Mise au point.

Avalanche de réactions

Le lendemain, l'un des clients rédige en effet un commentaire sur son "mur" Facebook en indiquant le nom du restaurant, "La vache qui vole". La publication est abondamment "likée", partagée et commentée. En trois jours, Fred Faibella assiste, médusé, à une tempête sur les réseaux sociaux: "La vache qui vole rackette le client", "Une cruche de gérante et une vache qui vole, un duo peu recommandable" ou encore "Sale pute fessée de chef hautaine et indigne... ta vache qui vole de merde".

"Il n'est pas possible que les gens puissent continuer à insulter, à calomnier. L'une de mes collaboratrices, qui a dû consulter, a été en arrêt maladie pendant une semaine. Elle avait des angoisses. Ces gens font énormément de mal. Ce n'est pas possible que cela continue", explique Fred Faibella.

Plus de 700 personnes dénoncées

Ainsi, la plus importante plainte du genre en Suisse a été lancée (lire encadré). Plus de 700 personnes ont été dénoncées devant le Ministère public valaisan. Elles sont donc convoquées tour à tour par la police pour avoir écrit des commentaires malveillants dans cette affaire, pour les avoir partagés ou pour les avoir approuvés avec un "J'aime".

Avec une telle procédure, que le Ministère public est en train de faire prospérer, on va peut-être dissuader tout le monde de persister dans cette voie

Sébastien Fanti, avocat

"Je pense qu'on a dépassé toutes les limites de la bienséance et du respect. Avec une telle procédure, que le Ministère public est en train de faire prospérer, on va peut-être dissuader tout le monde de persister dans cette voie. Car on aura à la fin des gens qui auront des montants très importants à payer", estime l'avocat du restaurateur Sébastien Fanti. "(...) Pour que l'exercice ait un sens, il faut que tout le monde soit dénoncé."

"J'aurais dû réfléchir"

L'immense majorité des personnes dénoncées ont refusé de témoigner devant la caméra de Mise au point. Mary-Claude, elle, en a eu le courage. Si elle ne connaît pas le restaurant de Martigny, elle n'est pas restée indifférente au commentaire du client en colère. "Je me suis dit que le restaurant exagérait. J'ai donc voulu faire de l'humour. En tant qu'ancienne journaliste, j'aurais dû réfléchir."

La retraitée, qui passe pas mal de temps sur Facebook, écrit ce commentaire "Une cruche de gérante et une vache qui vole, un duo peu recommandable". "Moi j'ai écrit cela? Ce n'est pas très gentil. J'ai été peut-être un peu fort", avoue Mary-Claude. Elle a donc été entendue par la Police cantonale. "J'ai cru à une farce", reconnaît-elle. Depuis, elle essaie d'être plus sage sur les réseaux sociaux.

L'avocat Sébastien Fanti reconnaît qu'il y a une différence entre les commentaires "humoristiques" et haineux. "Mais les gens ne se rendent pas compte que même en faisant la petite blague, l'effet de meute est en train d'arriver. Le premier qui va commenter ou qui va diffuser l'information est, très souvent, dépassé par les événements. Sauf que ce qu'il ne sait pas, c'est qu'il lui appartient de modérer les commentaires."

Le deuil et les commentaires haineux

Le Valais a connu un autre exemple de discussion sur les réseaux sociaux qui dégénère. Le 23 janvier dernier, un guide et son client sont emportés par une avalanche en faisant du hors-piste. Si le client s'en est sorti, le guide est décédé. Christophe Gay-Crosier, 56 ans, était père de deux filles, Manon et Coline.

Mais à la douleur de perdre leur papa s'est ajoutée celle de lire les commentaires qui se sont aussitôt déchaînés sous les articles relatant ce tragique fait divers: "C'est un attardé", "Il va en faire quoi de son pognon, maintenant qu'il est mort" ou encore "S'il est suffisamment con pour accepter de se faire payer pour aller prendre des risques".

"Les gens disent des horreurs"

"Même moi, qui ne connaît pas très bien la montagne, je sais qu'un guide, c'est quand même fait pour faire du hors piste", explique Coline. "(...) La réalité, c'est que c'était quelqu'un de prudent qui faisait ce métier pour nourrir sa famille. Du coup, c'est violent, parce qu'on n'a pas choisi que cette histoire soit exposée."

Quand on dit du mal de quelqu'un qui est mort et, en plus, quand on dit des choses qui ne sont pas vraies, c'est de la diffamation

Manon Gay-Crosier

Et sa soeur Manon d'ajouter: "Les gens disent des horreurs et ce n'est pas correct. Quand on dit du mal de quelqu'un qui est mort et, en plus, quand on dit des choses qui ne sont pas vraies, c'est de la diffamation. Ça salit la mémoire."

Coline et Manon, après avoir longtemps hésité, ont finalement déposé plainte contre cinq auteurs de commentaires les plus blessants. Et elles ont défendu, en février dernier, l'honneur de leur père dans Le Nouvelliste. L'article a suscité beaucoup d'émotions dans le canton. "Il y a vraiment eu un mouvement de solidarité et de soutien. Cela soulageait et il y avait presque un sentiment de justice", conclut Manon.

>> Les explications de Pierre Bavaud:

Reportage TV: Pierre Bavaud

Adaptation web: Valentin Jordil

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Le TF confirme que "liker" des insultes sur Facebook peut mener devant la justice

Partager un avis diffamatoire sur Facebook ou presser la touche "J'aime" revient à propager cet avis et peut donc entraîner des suites judiciaires. En février 2020, le Tribunal fédéral a confirmé en partie un jugement en ce sens.

>> Relire : "Liker" des insultes sur Facebook peut bel et bien mener au tribunal en Suisse

En 2018, la Cour suprême du canton de Zurich avait condamné à des jours-amendes avec sursis un quadragénaire pour diffamation répétée à l'égard du défenseur de la cause animale Erwin Kessler.

>> Relire aussi : Condamné pour un "J'aime" sur Facebook, une première en Suisse

Par un courriel, par un commentaire sur Facebook et en activant les fonctions "J'aime" ou "partager" sur les pages d'autres personnes, il avait souscrit à des accusations d'antisémitisme, de fascisme et de racisme contre le fondateur de l'association contre les usines d'animaux.

Dans un arrêt publié, le Tribunal fédéral rappelle que la propagation de propos diffamatoires constitue à elle seule un délit. En pressant les touches "j'aime" ou "partager", un utilisateur contribue à améliorer la visibilité d'un contenu sur Facebook.