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A Verbier, un milliardaire italien risque de perdre son chalet à 15 millions

A Verbier, un milliardaire italien risque de perdre son chalet à 15 millions. [RTS]
A Verbier, un milliardaire italien risque de perdre son chalet à 14,9 millions à la suite d'une violation de la Lex Koller. / 19h30 / 2 min. / le 4 octobre 2020
Construit en 2010, le chalet d'un milliardaire italien situé dans les hauts de Verbier dépasse largement les 250 mètres carrés de surface habitable autorisés par la Lex Koller, révèle l’enquête de la RTS. Le canton du Valais va sûrement rouvrir ce dossier.

Ce chalet se trouve à 1750 mètres d’altitude dans une petite rue très calme. Il a sept pièces, un garage de trois places et surtout une vue imprenable. Selon des documents en possession de la RTS, il a été acheté en 2010 par un milliardaire italien pour 14,9 millions de francs.

Ce propriétaire vit à l’étranger et il est donc soumis à la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger, plus connue sous le nom de Lex Koller. Cette loi spécifie que la surface nette de plancher habitable "ne doit pas, en règle générale, dépasser 200 mètres carrés". Elle peut aller jusqu'à 250 mètres carrés si le propriétaire justifie ses besoins.

Pour faire simple, un étranger ne peut donc pas s'offrir un logement de plus de 250 mètres carrés de surface habitable.

Pourtant, d’après notre enquête, la surface habitable du chalet du ressortissant italien dépasse largement la limite autorisée. "On peut imaginer un ordre de grandeur de 350-400 mètres carrés", assure au 19h30 le lanceur d’alerte Gabriel Luisier, connu comme le loup blanc dans la station.

La piscine de la discorde

Au coeur de cette affaire, il y a une piscine d'environ 80 mètres carrés construite avec ce chalet. Selon la jurisprudence, si c'est une piscine extérieure, elle ne compte pas comme une surface habitable. En revanche, si c'est une piscine fermée, elle doit compter comme une surface habitable.

Ici, comme on a pu le constater mercredi en nous rendant sur place, la piscine est complètement fermée. Elle a un toit, des murs, quatre grandes vitres et des stores automatiques marrons.

Pourquoi le Registre foncier a-t-il alors autorisé l’achat de ce chalet en 2010 ? A notre demande, Sergio Biondo, le chef de ce service, s'est replongé dans ce dossier traité avant son entrée en fonction, en 2016. Dans les grandes lignes, il explique qu'à l’époque, le service travaillait principalement sur dossier. Il étudiait notamment les plans remis et le descriptif du logement avant de prendre une décision.

"Selon nos plans, le requérant a opté pour une piscine ouverte. C’est ce qui ressort des plans et du dossier complet. Et c'est sur cette base qu'on a octroyé une autorisation en 2010", répond Sergio Biondo.

Qui a triché ?

Il y a donc eu tricherie : le registre foncier a donné son feu vert à une piscine ouverte, mais c'est une piscine couverte et fermée qui a été construite.

Que s'est-il passé ? On prend contact avec l’architecte Raymond Bruchez qui a construit le chalet en 2010. Au téléphone, il met fin rapidement à la discussion. Quelques heures plus tard, son avocat se manifeste et nous invite à transmettre nos questions par écrit.

Les réponses arrivent le lendemain. En substance, l'avocat Romain Deillon fait savoir qu'à l'époque, son client a obtenu l'autorisation de la commune de Bagnes de construire "une piscine ouverte vers l’extérieur", et que c’est ce qu'il a réalisé.

"Le 29 mars 2012, soit plus de deux ans après le transfert de la propriété et de la possession de l'immeuble au nouvel acquéreur (le milliardaire italien), le service des constructions de la Commune de Bagnes a délivré un permis d'habiter attestant de la conformité du bâtiment au regard des autorisations de construire, respectivement des plans déposés. Ce document permet d'attester qu'au moment du transfert de possession de l'immeuble, les ouvertures en façade autorisées étaient présentes conformément à la seconde autorisation délivrée", affirme l’avocat dans son courriel.

Me Deillon ajoute que son client ne saurait "répondre d’éventuelles modifications ultérieures apportées" à ce projet immobilier.

Accueillant puis silencieux

Mercredi, on tente alors d'approcher le propriétaire. Coup de chance pour nous, il est de passage dans son chalet. L'Italien est accueillant. Il nous invite à venir sur sa terrasse, fait état de son amour pour Verbier, assure qu'il n’a rien à cacher et que son avocat répondra à toutes nos questions par écrit.

Le lendemain, pourtant, l'avocat tessinois Nicola Gianoli semble avoir changé d’avis. Il nous fait parvenir un courriel laconique : "Nous ne ferons aucun commentaire. Notre client a obtenu toutes les autorisations nécessaires."

Dans cette affaire, on a donc une fraude, mais pas de responsables.

La commune avait été avertie

Là où l'histoire se corse, c'est qu'en 2016, déjà, le lanceur d’alerte Gabriel Luisier a signalé par courriel à la commune de Bagnes cette infraction à la Lex Koller. "Le président en a connaissance. Tout le Conseil communal en a connaissance. Mais ça fait maintenant quatre ans qu'ils n’ont rien fait", estime Gabriel Luisier.

A Bagnes, le président Eloi Rossier ainsi que les autres membres du Conseil communal laissent le soin de nous répondre au porte-parole Jean-Marc Sandoz. Il assure que la commune n'est pas restée les bras croisés après avoir reçu ce courriel. "Le service des constructions de la commune de Bagnes a vérifié que les objets sous sa compétence avaient été correctement traités. Il n'est pas entré en matière sur des dénonciations de la Lex Koller, qui dépendent uniquement d’une compétence cantonale", explique Jean-Marc Sandoz.

L'Exécutif communal n'a donc pas jugé utile de transférer le courriel du lanceur d’alerte au registre foncier.

Mais aujourd'hui, à la lumière de nos révélations, l'affaire rebondit. L'Etat va rouvrir le dossier et il pourrait annuler l’autorisation d'achat qu’il a délivré en 2010. Le milliardaire italien pourrait alors perdre son chalet à la vue imprenable.

Fabiano Citroni

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